Chronique historique / Historical chronicle Histoires de fontes. Entre le phlog

Chronique historique / Historical chronicle Histoires de fontes. Entre le phlogistique et la plombagine : ou ` situer la « fonte a ` l’oxyge `ne » ? Jean Le Coze E ´cole nationale supe ´rieure des mines, CNRS UMR 5146, 42023 Saint-E ´tienne cedex 2, France Rec xu le 11 octobre 2007 ; accepte ´ apre `s re ´vision le 30 novembre 2007 Available online 22 January 2008 Re ´sume ´ Cet article de ´crit l’e ´volution des connaissances sur l’acier et la fonte ainsi que l’influence des premie `res analyses chimiques quantitatives de Lavoisier au cours du XVIIIe sie `cle et au de ´but du XIXe. Apre `s la classification, par Re ´aumur, du fer, de l’acier et des fontes sur la base de teneurs croissantes « en sels et en soufres », remplace ´s par le phlogistique et la plombagine, l’annonce faite par Lavoisier de fortes teneurs en oxyge `ne dans la fonte va bouleverser et obscurcir la compre ´hension de la me ´tallurgie du fer. Il faudra attendre Berzelius, au de ´but du XIXe sie `cle, pour re ´tablir la situation. Pour citer cet article : J. Le Coze, C. R. Chimie 11 (2008).  2007 Acade ´mie des sciences. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Abstract Iron stories. Between phlogiston and plumbago : which place for ‘oxygen cast-iron’ ? The evolution of knowledge on steel and iron, with the first quantitative chemical analysis by Lavoisier, is described along the 18th century and the first years of the 19th. After the classification by Re ´aumur of wrought iron, steel and cast iron, based on an increasing content of ‘sulphurs and salts’, replaced by phlogiston and plumbago, the publication by Lavoisier of a high oxygen content in cast iron darkened the understanding of iron metallurgy. It was necessary to wait until the beginning of the 19th century, when Berzelius restored the situation. To cite this article: J. Le Coze, C. R. Chimie 11 (2008).  2007 Acade ´mie des sciences. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots-cle ´s : Phlogistique ; Plombagine ; Oxyge `ne dans la fonte Keywords: Phlogiston; Plumbago; Oxygen in cast-iron Au citoyen Lavoisier, guillotine ´ sous la Terreur, avant d’avoir acheve ´ son œuvre scientifique 1. Introduction Au XVIIIe sie `cle, la mise en place de me ´thodes d’analyse chimique quantitatives, gra ˆce en particulier aux travaux de Lavoisier a profonde ´ment modifie ´ la description des proce ´de ´s d’e ´laboration du fer, de la Adresse e-mail : lecoze@emse.fr 1631-0748/$ - see front matter  2007 Acade ´mie des sciences. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. doi:10.1016/j.crci.2007.11.011 Available online at www.sciencedirect.com C. R. Chimie 11 (2008) 772e787 http://france.elsevier.com/direct/CRAS2C/ fonte et des aciers. Il se produisit alors une transition fondamentale entre le langage de Re ´aumur au de ´but du sie `cle et celui de Lavoisier et de ses disciples, au dernier quart du sie `cle. Avec le recul du temps, on peut constater que cette e ´volution n’a pas e ´te ´ line ´aire. Elle fut pluto ˆt chaotique. Certaines de ´couvertes du de ´- but du XVIIIe sie `cle ont e ´te ´ e ´carte ´es vers la fin du sie `cle, et il a fallu attendre le XIXe sie `cle pour e ´clair- cir la situation. Les questions discute ´es ici concernent la description de la relation entre la fonte blanche et la fonte grise au XVIIIe sie `cle, mais ceci n’est possible qu’en relation avec le proble `me ge ´ne ´ral de la classification entre le fer doux, la fonte et l’acier, lequel n’est que rapidement aborde ´. Diffe ´rentes notions vont apparaı ˆtre tour a ` tour : (1) la purete ´ et son plus ou moins grand degre ´ dans la fonte, l’acier et le fer, (2) le phlogistique et la plombagine, et enfin (3) la forte teneur en oxyge `ne dans la fonte. A ` la me ˆme e ´poque, se mettaient en place les premie `res ide ´es concernant le ro ˆle du carbone dans le fer, c’est- a `-dire que le charbon n’e ´tait pas seulement un combus- tible, mais que le carbone du charbon entrait dans le me ´tal sous diffe ´rentes combinaisons, par exemple la plombagine et certaines formes de me ´langes ou de « so- lutions », encore a ` de ´finir. Apre `s un rappel de nos de ´finitions actuelles des dif- fe ´rents types de fontes, seront e ´tudie ´es les descriptions des fontes et produits ferreux depuis Re ´aumur jusqu’a ` l’Encyclope ´die, puis celles des de ´buts de l’analyse quantitative de Lavoisier a ` la fin du XVIIIe sie `cle, pour en arriver aux e ´claircissements du de ´but du XIXe sie `cle, en particulier par Berzelius. 2. De ´finitions pre ´alables Ce paragraphe rappelle quelques points essentiels des connaissances actuelles sur les fontes, pour aider a ` situer les proble `mes qui se sont pose ´s au XVIIIe sie `cle. Une telle de ´marche cherchant a ` faciliter l’interpre ´tation des textes anciens en utilisant nos connaissances ac- tuelles comporte un pie `ge. Elle masque l’effort ne ´ces- saire a ` la compre ´hension du cheminement intellectuel de nos pre ´de ´cesseurs, qui inventaient les connaissances dont nous disposons aujourd’hui. En effet, une lecture trop rapide peut conduire a ` ranger certains paragraphes un peu « touffus » dans la rubrique « divagations passa- ge `res ou non fonde ´es », alors qu’il faut prendre le temps d’analyser chacun des mots d’un langage scientifique qui nous est peu familier aujourd’hui. Pour la discussion des sujets techniques qui nous inte ´ressent, la bonne me- sure sera sans doute d’ope ´rer des allers-retours d’un langage a ` l’autre, en progressant par approximations successives. Les fontes sont essentiellement des alliages de fer et de 3 a ` 5% de carbone, plus d’autres e ´le ´ments (Si, Mn, P, etc.). La classification actuelle se fait entre fontes d’affinage, destine ´es a ` la conversion en acier et fontes de moulage, destine ´es a ` la fonderie de pie `ces diverses. Re ´aumur [1 (p. 390)] avait propose ´ les termes fonte de gueuse et fer fondu pour repre ´senter ces deux fa- milles de produits. Le mot « gueuse » vient de l’alle- mand gießen, couler. Comme au XVIIIe sie `cle, on classe encore les fontes en « blanches, grises, truite ´es et noires », a ` partir de l’as- pect des surfaces de rupture du mate ´riau. Dans la fonte blanche, nous savons que le carbone est combine ´ au fer sous forme de ce ´mentite (carbure Fe3C), alors que, dans une fonte grise (ou noire), le carbone est en partie sous forme de graphite (noir) et en partie sous forme de ce ´- mentite. Si on sait que le silicium est un e ´le ´ment graph- itisant, contrairement au mangane `se, qui facilite la formation de ce ´mentite, on sait aussi que la composition chimique ne suffit pas a ` elle seule pour de ´finir le carac- te `re blanc ou gris de la fonte, car la se ´lection de la struc- ture se fait au moment de la solidification. Lorsque la vitesse de solidification est rapide, on obtient de la fonte blanche et, lorsqu’elle est lente, il se forme une fonte grise. C’est la zone de vitesse critique qui est fonction de la composition chimique. A ` partir de la me ˆme com- position, on peut donc fabriquer une fonte blanche ou grise, selon la vitesse de refroidissement. De plus, si on refond une fonte grise, on la transforme en fonte blanche par solidification rapide, et si on refond cette me ˆme fonte blanche, on la transforme a ` nouveau en fonte grise par solidification lente, a ` condition de tra- vailler a ` composition constante, en prote ´geant la fonte liquide de toute re ´action chimique avec l’oxyge `ne de l’air qui aurait pour effet de bru ˆler du silicium et du car- bone, et donc de modifier la composition. En pratique, on produit couramment des pie `ces dont la surface re- froidie rapidement est blanche et dure, avec un cœur gris refroidi plus lentement, moins dur, et donc moins fragile [2,3]. Des termes de « chymie » du XVIIIe sie `cle vont appa- raı ˆtre dans les citations utilise ´es plus bas. Il s’agit essen- tiellement de terres, sels, soufres, calcination, chaux, phlogistique et plombagine. Ces mots ont des significa- tions parfois complexes et toujours diffe ´rentes des no ˆtres. Des explications sont propose ´es dans l’annexe 1. D’un point de vue lexical, le terme fonte a une longue histoire [4] : autrefois, on disait fer de fonte ou fonte de fer, et le mot fer, sans autre qualificatif, repre ´sentait aussi bien le fer forge ´ ou fer doux que ce que nous 773 J. Le Coze / C. R. Chimie 11 (2008) 772e787 appelons la fonte de moulage ou d’affinage. La raison en est que le fer forge uploads/s3/10-1016atj-crci-2007-11-011.pdf

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