Carlo M. Cipolla Sources d'énergie et histoire de l'humanité In: Annales. Écono
Carlo M. Cipolla Sources d'énergie et histoire de l'humanité In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e année, N. 3, 1961. pp. 521-534. Citer ce document / Cite this document : Cipolla Carlo M. Sources d'énergie et histoire de l'humanité. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e année, N. 3, 1961. pp. 521-534. doi : 10.3406/ahess.1961.420740 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1961_num_16_3_420740 DÉBATS ET COMBATS Sources d'énergie et Histoire de l'Humanité Est-il permis à un historien que préoccupent depuis longtemps les problèmes économiques du passé, de présenter, à ses risques et périls, un résumé rapide de l'histoire entière de l'humanité ? Le dessein de cette esquisse est fort simple : trop simple, peut-être, mais nous avons voulu attirer l'attention des historiens sur un aspect de la vie écono mique fondamental et certainement trop négligé 1. La vie, les activités de l'homme dépendent des sources d'énergie dont il dispose. Faute d'énergie, pas de vie, pas d'activités créatrices. Certes l'énergie n'est pas le seul facteur en jeu : l'eau, certaines matières premières, le sol fertile, les possibilités de communication, l'existence d'un climat supportable, voire un milieu social et culturel dynamique et favorable — ce sont là d'autres éléments, et tous essentiels. Mais les disponibilités d'énergie représentent la base nécessaire à l'organisa tion de la matière et à tout développement de l'histoire des hommes. Ceci dit, je voudrais démontrer rapidement que l'utilisation des diff érentes formes d'énergie représente, en fait, le fil conducteur d'une his toire matérielle de l'Humanité et que les deux grands tournants de cette longue histoire, la Révolution Néolithique (que j'appellerais plutôt agricole) et la Révolution Industrielle, sont mieux expliqués et définis par ce nouvel aperçu. Tout ce que l'homme consomme est de l'énergie transformée : énergie chimique, les hydrates de carbone, protéines, matières grasses indispen sables à sa vie physiologique. Dépense d'énergie encore, le chauffage, l'éclairage, les transports, la fabrication de produits manufacturés, le fonctionnement des machines. Pour tenir compte des différentes formes d'énergie, le choix s'impose 1. Pour une première orientation, W. Ostwald, Energetische Grundlagen der Kulturwissenschaft, Clipaig, 1909 ; E. W. Zimmermann, World Ressources and Indust ries, New York, 1951, chap. 5 ; F. Cottrell, Energy and Society, New York-Toronto- Londres, 1955 ; Europe's Growing Needs of Energy, О. Е. С. Е., Paris, 1956, p. 13 ; H. Thirring, Energy for Man, Bloomington, 1958. 521 ANNALES d'une commune mesure qui permettra les comparaisons nécessaires, ce qui ne va pas sans difficultés. Ainsi la calorie, équivalent de la quantité de chaleur nécessaire pour augmenter d'un centigrade la température d'un litre d'eau distillée, est utilisable, bien que la transformation des différentes valeurs énergétiques en équivalents caloriques, dans une unité de mesure unique, s'effectue seulement de façon très approximative, avec une large marge d'erreur 1. Soit donc, la calorie, unité de mesure. L'être humain peut s'alimenter — c'est-à-dire se maintenir en vie et travailler — à condition de dispo ser, sous forme de protéines, d'hydrates de carbone et matières grasses, d'une quantité de calories qui oscille entre 2 000 et 3 900 par jour, selon son âge, son poids, son sexe, sa profession, et enfin le climat dans lequel il vit. Mais cette quantité d'énergie ne suffit pas. S'alimenter n'est pas tout. Au-delà de ce minimum vital, une grande quantité de calories est encore requise pour la satisfaction d'autres besoins plus ou moins essent iels avec lesquels on ne saurait cependant trop transiger. Récemment, un calcul du besoin moyen en calories, par an et par homme, a donné les résultats suivants, sous les réserves 2 : Tableau I CONSOMMATION PAR AN ET PAR HOMME AU POINT DE VUE ÉNERGÉTIQUE Aliments Fibres Combustibles Electricité Matériaux de construction . . Fer Métaux non reux Papiers et duits similaires Besoin 2 000-3 100 cal. par jour 3-10 kilos par an 100-5 000 kilos de charbon équivalent par an 200-2 000 kwhr. par an 200-2 000 kilos par an 20-200 kilos par an 5-50 kilos par an 10-50 kilos par an Total Calories nécessaires par an 8.0-10.7 X 105 1.2-5 X 10* 7.2-36 X 10e 1.7-17 X 105 négligeable 3.4-34 X 10* 3.7-37 X 10* 4.20 X 10* 1-4 X Ю7 1. Pour cet article, nous nous sommes fondés sur les équivalences suivantes : 860 calories (Kcal) environ = 1 Kilowatt /heure (Kwh) ; 1 Kwh = 103 Watts /heure (Wh) ; 1 megawatt /heure (mWh) = 1 000 KWh = 106 Wh. 2. R. L. Meier, Science and Economie Development, New York-Londres, 1956, p. 10. 522 SOURCES D'ÉNERGIE De tels calculs sont évidemment très approximatifs. L'auteur de notre tableau se donne d'ailleurs un champ de variation large entre une limite basse et une limite haute. Le schéma n'est donc qu'une esquisse. Dans les sociétés primitives, l'homme a consommé beaucoup moins de calories que n'en indique le minimum signalé ci-dessus ; de leur côté les sociétés industrialisées les plus avancées ont tendance à dépasser les limites de consommation énergétique que propose l'hypothèse la plus large. En fait, ces chiffres donnent, au plus, une idée approchée des n iveaux moyens d'énergie qu'exigent nos sociétés civilisées. La quantité d'énergie qui est en réserve dans l'univers est pratique ment infinie. Pour l'homme, le gros problème est de contrôler cette éner gie puis de la transformer économiquement dans des formes utiles, au moment même où il en a besoin. D'où le rôle des convertisseurs. Que le lecteur me pardonne ce mot. J'aurais pu dire machine, mais le terme eût prêté à confusion. J'appelle convertisseur un « objet » qui recueille telle ou telle forme d'énergie et la transforme en une autre forme, du type requis et au moment voulu : une machine à vapeur par exemple est un convertisseur transformant une forme brute d'énergie — le charbon — en une énergie mécanique utile. Bien entendu, toute transformation d'éner gie entraîne des consommations et des pertes, l'énergie utile obtenue est toujours moindre que l'énergie employée au départ. Le rendement technique d'un convertisseur s'établit d'après le rapport arithmétique entre énergie employée et énergie utile produite. Bien souvent, plusieurs transformations successives sont nécessaires, et les pertes s'ajoutent les unes aux autres x. Par exemple, dans le cas du charbon (énergie ch imique) transformé en vapeur, qui est ensuite transformé en énergie électrique, qui est enfin transformée par exemple en énergie mécanique. Une suite de transformations de ce type entraîne des pertes globales de l'ordre de 80 % de l'énergie utilisée à l'origine. Or, plantes et animaux sont des convertisseurs naturels. Les plantes, par le processus de photosynthèse, transforment l'énergie solaire en énergie chimique. L'homme peut utiliser cette énergie accumulée — les hydrates de carbones et les protéines végétales — en consommant les plantes. Ou bien, brûlant les plantes, il se servira de cette énergie sous forme thermique. Les animaux au travail sont des convertisseurs trans formant l'énergie chimique — les hydrates de carbone et protéines des fourrages — en énergie mécanique ; consommés à leur tour comme viande de boucherie, les animaux servent alors à transformer les four rages en énergie chimique — protéines et graisse animale — ayant pour l'homme une plus haute valeur nutritive. Plantes et animaux impliquent eux aussi, comme tous les convertis seurs, des pertes d'énergie. Une partie de l'énergie employée, est, en effet, 1. Etude sur la structure et les tendances de V économie énergétique, C. E. C. A. 523 ANNALES consommée par les plantes et les animaux pour leur vie même. Quant aux animaux de trait, leur travail comporte une forte perte d'énergie sous forme de chaleur. Bref, l'homme mange-t-il une plante ? Il utilise une quantité d'énergie qui n'est qu'une fraction seulement de l'énergie solaire employée par cette même plante x. S'il mange de la viande, il utilisera à son profit une quant ité d'énergie représentant une fraction seulement de celle que l'animal a absorbée à partir des plantes dont il s'est nourri. Autrement dit, lorsque l'homme consomme de l'énergie sous forme de protéines animales, il consomme un produit grevé d'une perte cumulative en raison des taux de rendement des deux convertisseurs successivement employés 2. Voilà la raison pour laquelle une quantité donnée de calories coûte moins cher sous forme d'hydrates de carbone que sous forme de protéines animales 3, une des raisons aussi pour laquelle les peuples pauvres consomment moins de viande que les peuples riches. L'homme est aussi un convertisseur d'énergie ; il consomme de l'énergie chimique sous forme d'hydrates de carbone, de protéines, de matières grasses ; il produit de l'énergie utilisable sous forme d'énergie nerveuse et mécanique. L'esclavage est une forme institutionalisée de l'exploita tion de l'homme dans sa qualité même de convertisseur produisant de l'énergie mécanique. Et calculé en ces termes, l'homme a un taux de re ndement oscillant en moyenne entre 10 et 25 %, suivant le genre de tra vail, la vitesse à laquelle le travail est accompli, le degré de spécialisa tion du travailleur *. Pour une meilleure compréhension de l'histoire générale de l'util isation énergétique, il convient donc de classer les différents convertisseurs dont l'homme se sert en deux grandes catégories : les convertisseurs biologiques — l'homme même, les plantes, les animaux — uploads/s3/ sources-d-x27-energie-et-histoire-de-l-x27-humanite-carlo-m-cipolla-1961.pdf
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- Publié le Nov 23, 2022
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