LES CAMARADES INFLUENCENT-ILS LA RÉUSSITE ET LE PARCOURS DES ÉLÈVES ? Les effet

LES CAMARADES INFLUENCENT-ILS LA RÉUSSITE ET LE PARCOURS DES ÉLÈVES ? Les effets de pairs dans l’enseignement primaire et secondaire Olivier Monso MENJ-DEPP, sous-direction des synthèses, OSC et LIEPP, Sciences Po Paris Denis Fougère CNRS, OSC et LIEPP, Sciences Po Paris, CEPR (Londres) et IZA (Bonn) Pauline Givord Insee, CREST et LIEPP, Sciences Po Paris Claudine Pirus MENJ-DEPP, bureau des études statistiques sur les élèves 23 En éducation, les effets de pairs résultent des différents types d’interactions entre élèves, au sein d’une même classe ou d’un même établissement. Toutefois, caractériser la nature et mesurer l’ampleur de ces interactions pose des problèmes méthodologiques substantiels. Cet article vise à présenter les difficultés relatives à la mesure des effets de pairs en éducation, ainsi que les résultats des recherches qui leur ont été consacrées dans l’enseignement primaire et secondaire. Au sein d’un établissement, les élèves sont influencés par la composition socio-économique et le niveau scolaire de leurs pairs. Les élèves de milieu défavorisé, ou en difficulté scolaire, y sont en général plus sensibles. En raison de tels effets, la ségrégation entre et au sein des établissements est susceptible d’aggraver les inégalités scolaires. Les résultats des recherches relatives aux effets de pairs ne sont toutefois pas convergents. M esurer et comprendre l’influence qu’ont nos collègues de travail, nos amis, nos voisins, sur nos comportements et notre parcours socio-professionnel est une thématique qui concerne plusieurs champs disciplinaires, et qui a fait l’objet de nombreuses recherches. Par ailleurs, cette thématique soulève des problèmes de méthodologie statistique importants. En effet, s’il est facile de mettre en évidence une corrélation entre le comportement d’une personne (en termes de consommation, de parcours scolaire, etc.)  ÉDUCATION & FORMATIONS N° 100 DÉCEMBRE 2019 24 et celui de ses collègues, amis ou camarades de classe, il est bien plus difficile d’en déduire une causalité, notamment parce que la formation des groupes de pairs est rarement le fait du hasard. Comprendre cette difficulté, et y apporter des réponses méthodologiques, est toutefois nécessaire en raison des enjeux de politique publique. Le domaine de l’éducation illustre pleinement la nature de ces enjeux : aux politiques et aspirations visant à promouvoir la mixité sociale et scolaire font écho les interrogations récurrentes quant à leur efficacité pour les élèves concernés. La thématique des effets de pairs évoque également la question de la constitution de classes de niveau dans les établissements, notamment dans les collèges. Cet article actualise des travaux de synthèse antérieurs consacrés aux effets de pairs en éducation [Brodaty, 2010 ; Sacerdote, 2011]. Il doit, tout d’abord, permettre d’exercer un regard critique sur la littérature relative aux effets de pairs. Il doit, ensuite, permettre de dégager les principales convergences et divergences des résultats empiriques, ainsi que les points qui sont à ce jour peu éclairés par ces recherches, notamment dans le cas français. Nous commencerons par définir et présenter les principaux types d’effets de pairs. Puis nous aborderons les difficultés méthodologiques liées à leur identification et nous présenterons les principales méthodes statistiques utilisées pour mesurer ces effets. Enfin, nous présenterons un aperçu des principaux résultats des recherches internationales conduites sur ce thème, en mettant plus particulièrement l’accent sur les quelques travaux français disponibles. LES EFFETS DE PAIRS : DE QUOI PARLE-T-ON ? Les effets de pairs correspondent aux effets résultant des interactions entre individus : par l’intermédiaire de leurs caractéristiques et leur comportement, des personnes situées dans un environnement commun (habitant dans le même quartier, scolarisées dans la même classe, etc.) s’influencent mutuellement. La notion d’« effets de pairs » est donc inséparable de celle de « groupe de pairs », qui, dans cet article, correspond en général aux élèves faisant partie de la même classe ou du même établissement scolaire 1. Néanmoins, au sein d’une classe, les élèves n’interagissent pas tous de la même façon, à cause notamment de leurs affinités plus ou moins grandes. Le groupe de pairs peut donc varier d’un élève à l’autre. Certains travaux, comme celui de Bramoullé, Djebbari et Fortin [2009], utilisent des informations sur les liens d’amitié qui permettent d’identifier plus finement ces groupes de pairs. Dans le champ de l’éducation, un effet de pairs correspond à l’influence des caractéristiques des camarades, ou de leur comportement, sur le résultat et le comportement des élèves. Cette définition, assez large, inclut selon Sacerdote [2011] des interactions de nature très diverse : − les effets transitant par les interactions entre élèves, par exemple si des élèves plus performants font bénéficier les autres élèves de leurs acquis ; − les effets transitant par les interactions avec l’enseignant ; par exemple, la présence d’élèves plus performants peut conduire ce dernier à accroître ses exigences ; 1. Certains travaux font un compromis entre ces deux choix en considérant comme pairs de l’élève tous les élèves scolarisés dans le même niveau, le même établissement et la même année que lui (par exemple les élèves de sixième d’un collège donné, une année donnée). LES CAMARADES INFLUENCENT-ILS LA RÉUSSITE ET LE PARCOURS DES ÉLÈVES ? 25 − ou encore les effets transitant par les familles ; c’est par exemple le cas si les parents d’élèves exercent une influence sur le fonctionnement de l’établissement. Depuis l’article pionnier de Manski [1993], on distingue traditionnellement deux grands types d’effets de pairs : − les « effets endogènes » (endogenous effects), correspondant au fait que le comportement d’un individu est influencé par celui de ses pairs ; de tels effets résultent des interactions directes entre pairs ; − les « effets exogènes » (ou contextuels) (exogenous/contextual effects) : le comportement d’un individu est influencé par les caractéristiques propres de ses pairs, leur origine sociale par exemple. Pour Manski [1993], les effets de pairs doivent être distingués de ce qu’il nomme les « effets corrélés ». Ces derniers traduisent le fait qu’au sein d’un groupe de pairs, les individus sont soumis au même environnement, qui exerce une influence sur eux, ou partagent des caractéristiques communes qui ne relèvent pas à proprement parler d’effets de pairs. Ainsi, des élèves d’une même classe de collège ont les mêmes enseignants, et ces derniers peuvent avoir un effet conjoint sur la progression de l’ensemble des élèves. Ces effets corrélés peuvent également recouvrir des effets de sélection dans les classes ou les établissements. Par exemple, si les élèves sont sélectionnés dans un établissement en fonction de leurs résultats scolaires précédents, les niveaux scolaires à l’issue de la scolarité des élèves de cet établissement seront sans doute très corrélés. On aurait néanmoins tort de considérer cette corrélation comme résultant des interactions entre élèves. L ’existence d’effets corrélés traduit la difficulté pour l’économiste à identifier les effets de pairs séparément des autres mécanismes exerçant une influence sur la scolarité. Ces notions, courantes dans les travaux des économistes, font écho aux recherches des sciences de l’éducation sur les effets de contexte et les effets de composition, même si ces différentes notions doivent être distinguées, car renvoyant à des phénomènes différents ↘ Encadré 1 p. 26. Les effets endogènes et exogènes sont liés, dans la mesure où les effets exogènes, qui représentent les caractéristiques des pairs, influent sur les comportements et donc sur les interactions. Toutefois, leurs implications pour les politiques éducatives diffèrent. Les effets exogènes dépendent directement de la composition de la classe ou de l’établissement. Ils ont donc une importance toute particulière pour les politiques de mixité sociale ou scolaire. Les caractéristiques exogènes des pairs sont de nature diverse : si la plupart des travaux privilégient le niveau scolaire des pairs (être entouré de camarades de niveau 2 plus ou moins élevé), d’autres s’intéressent à leurs caractéristiques socio-économiques (élèves de milieu social plus ou moins favorisé, d’origine étrangère, etc.). Or, les résultats et interprétations portant sur ces différentes formes de mixité ne se recoupent pas forcément, car les dimensions en question, même si elles sont assez fortement corrélées (origine sociale et niveau scolaire par exemple), ne se définissent pas de la même façon. De leur côté, les effets endogènes traduisent l’importance du mécanisme appelé « multiplicateur social » [Manski, 1993] : les pairs influencent leurs camarades et, dans un second temps, ils bénéficient eux-mêmes de la hausse générale du niveau de la classe, par un 2. Dans le cadre des effets de pairs exogènes, c’est le niveau initial des pairs qui importe, avant interactions avec les autres élèves. Ce niveau est par exemple mesuré suivant des tests réalisés en début d’année ou l’année précédente.  ÉDUCATION & FORMATIONS N° 100 DÉCEMBRE 2019 26 EFFETS DE PAIRS, EFFETS DE CONTEXTE, EFFETS DE COMPOSITION Le vocabulaire employé pour étudier les facteurs influençant la réussite et les parcours des élèves est d’une grande diversité, qui renvoie notamment aux choix faits par les chercheurs de différentes disciplines. Cette diversité prête parfois à confusion. La figure 1 ci-dessous peut nous éclairer sur les principaux mécanismes qui entrent en jeu. Ainsi, l’expression « effets de contexte » désigne l’ensemble des déterminants de la réussite et du parcours de l’élève qui ne sont liés ni à ses caractéristiques individuelles (aptitudes innées, état de santé, etc.), ni uploads/s3/depp-2019-ef100-article-02-1221886.pdf

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