Une séance pédagogique autour d'un document de référence. Picasso : Les Demoise
Une séance pédagogique autour d'un document de référence. Picasso : Les Demoiselles d'Avignon (1907) Christine Colaruotolo et le groupe « La Durance » Le 18 octobre 2002 Professeure au Lycée Marseilleveyre MARSEILLE christine.colaruotolo@wanadoo.fr Cet article présente un des documents de référence proposés comme repères culturels dans le programme d'histoire de 4e Les Demoiselles d'Avignon de Pablo Picasso. Il offre l'occasion de réfléchir aux relations entre art et histoire et de faire le point sur les connaissances et les stratégies pédagogiques à mettre en œuvre dans le cadre d'un projet de leçon autour de ce tableau. Histoire et art : une histoire de l'évolution des formes artistiques ou une histoire culturelle de l'art1 ? "L'histoire de l'art, comme toute histoire ne trouve pas ses objets tout faits mais les construit à travers des formes de perception, des catégories et des formes de narration choisit par l'historien" précise Yves Michaud ne serait-ce que par le choix des œuvres qui favorisent certaines productions artistiques au détriment d'autres. Le discours historique, poursuit l'auteur, peut mettre en relation l'œuvre avec d'autres œuvres, avec les gestes de l'artiste ou avec le contexte politique, économique, social et culturel. L'historien avance également des hypothèses sur les intentions des artistes. Tout ceci aboutit à des récits divers parfois contradictoires. Ces différences de construction font débat chez les historiens divisés entre ceux qui privilégient l'histoire de l'évolution des formes artistiques et les considèrent "comme isolées du reste des déterminations historiques" et d'autres favorables à une histoire culturelle des arts soulignant les liens entre les productions artistiques et les mutations politiques et socioculturelles. Yves Michaud se prend à rêver d'une histoire idéale "totale" qui conjuguerait les deux mais irréalisable car cela "nécessiterait une maîtrise de l'articulation des causes et déterminations dont nous ne disposons pas pour expliquer les actions humaines." En revanche, l'historien privilégie une approche plurielle qui préserve d'un récit trop unilatéral et concourt au remplacement de "l'histoire de l'art" par "des histoires de l'art". Les enjeux identitaires de l'art sont trop souvent négligés. Ainsi, l'art moderne a bénéficié, dans les années 1850-1860, d'un label d'internationalisme paradoxal, même s'il était produit à Paris ou à Zurich, les caractéristiques locales ou nationales étant négligées. Autres dimensions à prendre en compte, les productions artistiques, tout comme les artistes sont le reflet des idées du moment et de la réalité sociale et culturelle. La notion d'engagement prend alors tout son sens. Quid du professeur d'histoire qui doit enseigner les grands traits de l'évolution culturelle et artistique entre 1815 et 1914 dans le cadre du programme d'histoire d'une classe de 4e ? 1 Cette partie de l'article s'inspire largement de l'article d’ Yves Michaud consacré à l'art contemporain extrait de la documentation photographique consacrée à l'art contemporain N° 8004. Août 1998. 1 Une œuvre d'art est au même titre qu'un autre document une source historique Elle est à la fois témoin et producteur d'histoire. Or, l'un des rôles du professeur d'histoire est de rendre intelligible les sociétés passées ou étrangères. Il peut, par conséquent, privilégier une approche culturelle laissant au soin du professeur d'art plastique l'étude plus approfondie de la composition et des techniques utilisées par l'artiste dans le cadre d'un travail interdisciplinaire. Néanmoins, l'œuvre d'art, prenant la suite d'une tradition qu'elle nie, réactualise et prolonge, ne peut réellement se comprendre que si elle est replacée dans l'évolution artistique. Il est donc important que le professeur d'histoire articule cette partie du programme autour de quelques œuvres significatives et à caractère patrimonial (Les Demoiselles d'Avignon de Picasso) reflétant les grandes ruptures dans l'évolution artistique de la période et qui sont autant de repères culturels pour les élèves. Quelques mots sur cette oeuvre En 1907, Picasso, jeune peintre espagnol installé à Paris, termine une grande toile Les Demoiselles d'Avignon2. Cette toile met en scène cinq femmes nues (des prostituées de la rue d'Avignon à Barcelone) aux corps et aux visages anguleux, disloquées, devant un fond composé d’étoffes de plusieurs couleurs et qui sollicite le spectateur de leurs regards insistants. La composition et le traitement des modèles semblent évoluer de la gauche vers la droite, allant vers une représentation de plus en plus abstraite et décomposée des personnages. D'ailleurs, le nez de la femme de gauche est rabattu sur le côté pour que l'on voie comme le dit Picasso "que c'était un nez" 3! Une rupture "C'est comme si tu voulais nous donner à boire du pétrole pour cracher du feu" aurait dit Georges Braque à Picasso qui lui montrait les Demoiselles d'Avignon pour la première fois en 1907. Cette toile ouvre la voie à un nouveau courant artistique, le cubisme (1908-1914), dont l'apparition et le développement, vont déterminer une révolution esthétique en France et qui "change complètement la face de l'art européen"4. Le terme cubisme est d'ailleurs employé par dérision par le critique Louis Vauxcelles, lors d'une exposition consacrée à Georges Braque en 1908, pour dénoncer la "simplification terrible" des paysages et la réduction de tous "les sites, figures et maisons à des schémas géométriques, à des cubes.4" Les réactions passionnées et indignées proviennent des amis du peintre et des collectionneurs. L'œuvre n'est exposée en public qu'en 1939. Ce tableau est considéré par les contemporains comme une véritable rupture dans la représentation. Après avoir détesté Les Demoiselles d'Avignon, Apollinaire, ami de Pablo Picasso, est acquis. Il écrit en 1908 dans la revue berlinoise Der Sturm " : le cubisme si l'on veut s'exprimer avec précision est un art qui consiste dans la recherche de la composition nouvelle avec des éléments formels empruntés ou non à la réalité mais à la réalité de la conception." 2 32 Les Demoiselles d'Avignon, peinture de Pablo Picasso, 1907, huile sur toile ( 243 x 237 cm), Museum of Modern Art, New York. 3 Picasso à Kahnweiler dans P. Calme, le siècle de Picasso, Denöel, 1975 4 4 Jean Louis Ferrier , Picasso, Edition Pierre Terrail, Paris, 2001. 2 Il ajoute plus loin " la légitimité d'une telle peinture ne peut être discutée. Chacun comprendra facilement que la chaise de quelque côté qu'on la regarde, ne cessera jamais d'avoir ses quatre pieds, son dos et son siège et que si on lui enlève un de ces éléments, on enlève l'essentiel de sa réalité.5". Le projet pédagogique se doit de mettre en avant la rupture engendrée par cette œuvre, rupture qui transparaît aux travers des réactions des contemporains. Ceci nous amène également à prendre en compte les difficultés éventuelles que peuvent éprouver les élèves face ce tableau. Elle est en effet la première peinture proposée à être en rupture réelle avec les représentations que les élèves peuvent avoir d'une œuvre peinte. Au cours de cette séance, il est indispensable de leur donner des repères culturels pour les aider à déchiffrer le message délivré par cette œuvre. Il convient de mettre l'accent sur trois points : • Montrer que le cubisme s'insère dans une évolution artistique. Le professeur doit s'attacher à resituer le tableau dans l'évolution artistique du XIXe siècle et rappeler les influences sur l'œuvre de Picasso, de Cézanne, de la sculpture ibérique (avant la conquête romaine) et de l'art africain ou art nègre, sensibles sur les visages désaxés et hachurés de couleurs vives des deux demoiselles de droite. Les Européens découvrent l'art africain en ce début de XXe siècle lors des expositions coloniales • Resituer l'œuvre dans son contexte social, technique et culturel Dans le cadre de cette séance, il est à rappeler aux élèves qu'une révolution technique, la photographie, vient éclipser au XIXe siècle le travail du peintre en permettant de saisir immédiatement l'évènement ou le personnage. S'ensuit, à partir du courant impressionniste, une volonté de s'affranchir de la réalité telle qu'elle est perçue au bénéfice d'une réalité reconstituée afin de descendre comme le conseille Cézanne "dans la réalité des choses". • Donner des clés aux élèves pour les aider à comprendre le projet du peintre et mieux "entrer" dans le tableau. Il convient de montrer aux élèves que ce n'est pas tant le sujet, les prostituées, qui choque mais la façon dont Picasso le traite. Le cubisme va essentiellement lutter contre la représentation proposée jusque-là d'un monde bien fixe, stable, bien posé, qui n'est que mensonge. Voulant définir précisément les formes choisies, le peintre les réduit à leurs épures géométriques et tente de relever le défi de la représentation spatiale la plus complète des objets et des êtres sur une surface plane. "Moi" disait Picasso " je vise toujours à la ressemblance…Un peintre doit observer la nature, mais jamais la confondre avec la peinture. Elle n'est traduisible en peinture que par des signes mais on n'invente pas un signe. Il faut fortement viser à la ressemblance pour aboutir au signe. Pour moi, la surréalité n'est autre que chose, et n'a jamais été autre chose, que cette profonde ressemblance au-delà des formes et des couleurs sous lesquelles les choses se présentent7…". A souligner également l'influence de Picasso qui marque profondément la vie artistique dans la première moitié du XXe siècle. 5 Cité dans Martin Heidegger, Qu'est ce qu'une chose ? uploads/s3/ les-demoiselles-davignon.pdf
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- Publié le Jui 26, 2021
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