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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Fermer enfin Guantanamo: un test important pour Biden PAR FRANÇOIS BONNET ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 12 JANVIER 2021 Manifestation à Washington, le 11 janvier 2016, pour demander la fermeture de Guantanamo. © Mandel Ngan/AFP La prison de Guantanamo entre dans sa vingtième année d’existence. 40 personnes y sont toujours détenues, dont 15 depuis 2002. Le fiasco des tribunaux militaires et l’horreur judiciaire construite empêchent toute libération et violent tous les droits. Outre de nombreux élus démocrates, Joe Biden devra affronter l’armée et la CIA pour obtenir la fin de ce scandale. Deux jours seulement après son entrée en fonction comme président des États-Unis, Barack Obama signait le 22 janvier 2009 le décret no 13492 – « executive order », à lire ici : – ordonnant la fermeture du « centre de détention » de Guantanamo Bay. Cela doit être fait « le plus vite possible et pas plus tard que dans l’année qui vient », précisait-il alors. Ouverte le 11 janvier 2002, cette prison entre aujourd’hui dans sa vingtième année d’existence. 40 personnes y sont toujours détenues, dont 15 depuis l’année d’ouverture. 780 personnes y sont passées depuis 2002. Symbole du non-droit, de l’arbitraire et de la torture, Guantanamo est la honte des États-Unis (lire notre précédent article). Donald Trump n’a cessé de défendre Guantanamo. Après avoir expliqué que « la torture fonctionne, les gars, d’accord ? Croyez-moi, ça marche », il avait promis de « la remplir à nouveau avec quelques affreux », ce qu’il n’a pas fait. Manifestation à Washington, le 11 janvier 2016, pour demander la fermeture de Guantanamo. © Mandel Ngan/AFP Mais Joe Biden ne signera pas de décret présidentiel. Il n’a pas promis de fermer au plus vite Guantanamo. Interrogé à ce sujet lors de sa campagne, l’ancien vice- président d’Obama ne s’est pas étendu sur le sujet. Cette prison « mine la sécurité nationale américaine en alimentant le recrutement de terroristes et elle est en contradiction avec nos valeurs », a-t-il dit. Oui, bien sûr, il est favorable à la fermeture de Guantanamo. Mais Biden s’est gardé de dire quand et comment. « Cela ne peut se faire sans le Congrès », a seulement constaté celui qui est aujourd’hui président et dispose d’une majorité dans les deux Chambres du Congrès. Son entourage a fait savoir au New York Times qu’il était hors de question de réitérer la promesse d’Obama, une promesse non tenue, et qu’il faudrait agir autrement, sans doute plus discrètement. Effectivement, le Congrès, avec l’appui d’une majorité d’élus démocrates, a bloqué avec constance et durant huit ans toutes les initiatives d’Obama pour obtenir cette fermeture. Si sa détermination a été réelle jusqu’aux derniers jours de sa présidence, des parlementaires démocrates sont pour leur part toujours venus en renfort des élus républicains pour que Guantanamo perdure. Joe Biden pourra-t-il changer cette équation politique ? C’est un test important, tant Guantanamo est une ignominie qui ne fait que grandir. Dès sa création, cette prison constitua un scandale humanitaire et juridique puisqu’elle s’affranchissait des lois de la guerre (les Conventions de Genève), de toutes les normes et traités internationaux, et s’organisait comme un prolongement du réseau de prisons secrètes de la CIA, où fut massivement pratiquée la torture. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Mais depuis, la prison de Guantanamo s’est également transformée en scandale financier et administratif. Elle mobilise 1 500 personnes (militaires, administratifs, personnels de justice, médecins, etc.) pour garder 40 détenus. Elle coûte plus de 500 millions de dollars par an (13 millions de dollars par détenu). Et, au bout de vingt ans, elle nécessiterait des centaines de millions de travaux pour rénover des installations dégradées. Tout cela incitera-t-il l’administration Biden et les élus démocrates à « en finir une bonne fois pour toutes » ? C’est ce que demande Amnesty International, qui a publié ce 11 janvier un épais rapport qui dresse un état des lieux complet de Guantanamo aujourd’hui – il est à lire en anglais ici , un résumé en français est ici. Amnesty rappelle le discours tenu par Joe Biden le 7 février 2009, lors de la conférence annuelle sur la sécurité qui se tient à Munich : « L’Amérique ne torturera pas. Nous fermerons le centre de détention de Guantanamo Bay. Nous disons à nos amis que les alliances, les traités et les organisations internationales que nous construisons doivent être crédibles et efficaces. » Vite des actes, demande l’organisation de défense des droits humains. Il y a deux ans, pourtant, fin 2018, le Pentagone ordonnait aux dirigeants du camp de planifier la poursuite de son fonctionnement pour les vingt-cinq ans à venir. Soit jusqu’en 2043 ! À cette date, le prisonnier le plus âgé aura 96 ans, à condition d’être toujours vivant, le plus jeune 62 ans. En plus de convaincre les démocrates, Joe Biden devra affronter deux puissances qui ne veulent rien entendre : l’armée et la CIA. Fermer Guantanamo, c’est décider du sort de ses 40 prisonniers par des procédures judiciaires ordinaires, bien loin des « commissions militaires », ces tribunaux d’exception créés à Guantanamo. Or tout démontre depuis des années qu’une procédure « normale » est impossible, tant elle révélerait les sévices et tortures subis par les détenus et ouvrirait la voie à des poursuites contre leurs auteurs. Il n’y a pas que George Bush, son vice-président Dick Cheney, son ministre de la défense Donald Rumsfeld et un bataillon de juristes ayant organisé la torture. Il y a aussi ces centaines d’agents et de militaires qui ont pratiqué les « nouvelles méthodes d’interrogatoire renforcé ». Gina Haspel, actuelle directrice de la CIA, a très probablement dirigé une prison secrète de la CIA à l’intérieur même de Guantanamo en 2002 et 2003. © (dr) Interrogée il y a quelques mois par Mediapart, la juriste Sharon Weill, auteure d’une remarquable étude sur la justice à Guantanamo – elle peut être lue ici (pdf, 569.3 kB) –, insistait sur ce point. « C’est bien la question de la torture et de la protection de ceux qui l’ont pratiquée qui empêche le fonctionnement de ces commissions militaires. Tout bute là-dessus et tout a été mis en place pour éviter la publication des informations relatives aux tortures pratiquées par la CIA », dit-elle. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Amnesty International fait dans son rapport ce constat. Les 40 prisonniers de Guantanamo sont détenus sur cette base depuis au moins douze années. Plus de la moitié sont auparavant passés par les prisons secrètes de la CIA. Six d’entre eux ont aujourd’hui le statut de « transférables », c’est-à-dire de personnes libérables pouvant être envoyées dans un autre pays. Aucun ne l’a été (l’un d’eux est transférable depuis 2010 !). À ce jour, un seul détenu a été condamné par les commissions militaires et purge sur la base une peine de prison à vie. Huit autres sont inculpés mais leur procès est toujours dans la phase des « audiences préliminaires ». Enfin, vingt-cinq prisonniers ne sont ni accusés ni jugés. Mais ils demeurent détenus parce que toujours « hautement dangereux » (« high value detainees »), estiment les agences de renseignement et le ministère de la défense. Dans le cas Moath al-Alwi porté jusqu’à la Cour suprême, les juristes du département de la justice et du département de la défense étaient allés jusqu’à soutenir qu’une détention à perpétuité, sans inculpation et sans jugement, était parfaitement justifiée puisqu’une situation de guerre contre le terrorisme existait toujours en Afghanistan et en Irak. La pandémie de Covid-19 a cette année mis à l’arrêt la plupart des travaux des commissions militaires. Ainsi le procès de Khalid Cheikh Mohammed, organisateur présumé des attentats du 11-Septembre, et de quatre de ses complices vient d’être une fois de plus repoussé. Après sept années de procédure, il devait se tenir le mois prochain. Il aura lieu au mieux après septembre 2021, a fait savoir le juge militaire chargé de l’affaire. À part protéger les organisateurs et les auteurs des tortures, Guantanamo n’a ainsi rempli aucun de ses objectifs, à commencer par le premier d’entre eux, « juger et punir les terroristes », disait George Bush. Les citoyens américains ont été privés du grand procès public du « 9/11 », expliquait l’organisation Human Rights First, quand, dans le même temps, « les tribunaux fédéraux ordinaires ont condamné près de 500 terroristes depuis le 11-Septembre ». Guantanamo, ce sont «des détentions inexorablement liées à de multiples strates de conduite illégale du gouvernement au fil des ans – transferts secrets, interrogatoires au secret, alimentation forcée de grévistes de la faim, torture, disparitions forcées et absence totale de respect de la légalité», estime Daphne Eviatar, l’une des responsables d’Amnesty International États-Unis. Voilà une liste non exhaustive qui impose à l’administration Biden de faire de cette fermeture une priorité. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart uploads/S4/ article-933833.pdf
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- Publié le Jul 18, 2022
- Catégorie Law / Droit
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