Chap. 3 : Pourquoi des lois ? I/ Pourrait-on vivre sans lois ? S’il n’y avait p

Chap. 3 : Pourquoi des lois ? I/ Pourrait-on vivre sans lois ? S’il n’y avait pas de lois ni de manière concrète de les faire respecter, chacun suivrait son bon plaisir, sa spontanéité, et il est à parier que l’état de nature deviendrait une réalité. Une première réponse à la question consiste à affirmer que la première fonction des lois est d’instaurer un ordre dans la société humaine. Sans lois, les passions, les pulsions, les impulsions et les caprices seraient les principaux moteurs de nos actions et nous ne pourrions pas vivre bien longtemps : Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir. (…) Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a leu droit d’opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n’a droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même. (…) Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle, qui commande à tous. Un peuple obéit, mais il ne sert pas. Il a des chefs, et non pas des maitres ; il obéit aux lois mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 1764 ! la loi semble être, paradoxalement le moyen de rendre les hommes libres. Comment le comprendre ? Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme toute entière s'élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif. On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquis de l'état civil la liberté morale, qui seule rend l'homme vraiment maître de lui ; car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. Rousseau, Du contrat Social, livre I, chap. 8 Rousseau reprend ici une célèbre analyse spinoziste du Traité théologico- politique : On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la raison. Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait. Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans une Etat et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui- même mais un sujet. Dès lors que les lois politiques apparaissent comme ce qui rend possible la liberté des hommes et comme la garantie d’une vie paisible en société, grâce à l’ordre ainsi établi, il est nécessaire de le respecter et d’y obéir. Il existe d’ailleurs des instances qui entendent garantir l’obéissance à la loi et le respect de l’ordre (forces de l’ordre, tribunaux jugeant et punissant « au nom de la loi »). Dans les faits, d’ailleurs, l’obéissance aux lois est acquise pour tous (« Nul n’est censé ignorer la loi »), on y obéit par habitude. Pourtant, face à cette exigence d’obéissance, on peut être tenté de se soustraire et de considérer que la loi vaut pour les autres et pas nécessairement pour nous. D’abord parce que la loi est une formule générale, qui vaut pour tous de la même manière : en étant une norme, elle entend normaliser les comportements (les rendre « normaux », mais aussi, faire en sorte qu’ils soient susceptibles d’être jugés selon un même critère). Or, les comportements humains sont nécessairement particuliers, et animés d’intérêts toujours différents. De sorte que la loi peut être vécue comme contraignante du fait de sa rigidité. On peut parfois avoir le sentiment que l’on est une exception et que nous appliquer ainsi une formule générale ne nous convient pas et présente une forme d’injustice. Cela peut alimenter une certaine « tragédie du politique », à savoir que la politique est essentiellement un « art des moyens » (alors que la morale et la justice sont plutôt du côté des fins) qui consiste à déterminer, pour un groupe donné la sécurité, la paix, la liberté, le développement, la solidarité, qui ne forment pas un ensemble forcément cohérent. D’où le recours parfois à des décisions ou à des arbitrages particulièrement délicats parce qu’injustes : en ne tenant pas compte des cas particuliers, en appliquant à la lettre le droit, on peut commettre des injustices. C’est le sentiment de Criton (dans le dialogue de Platon du même nom), qui rend visite à Socrate dans son cachot, avant son exécution, et qui lui propose une évasion. Un passage célèbre (« la prosopopée des Lois ») illustre le conflit socratique : SOCRATE : (…) Suppose qu’au moment où nous allons nous évader, ou quel que soit le terme dont il faut qualifier notre sortie, les lois et l’État viennent se présenter devant nous et nous interrogent ainsi : « Dis-nous, Socrate, qu’as- tu dessein de faire ? Que vises-tu par le coup que tu vas tenter, sinon de nous détruire, nous, les lois et l’État tout entier, autant qu’il est en ton pouvoir ? Crois-tu qu’un État puisse encore subsister et n’être pas renversé, quand les jugements rendus n’y ont aucune force et que les particuliers les annulent et les détruisent ? » Que répondrons-nous, Criton, à cette question, et à d’autres semblables ? Car que n’aurait-on pas à dire, surtout un orateur, en faveur de cette loi détruite, qui veut que les jugements rendus soient exécutés ? Leur répondrons-nous : « L’État nous a fait une injustice, il a mal jugé notre procès ? » Est-ce là ce que nous répondrons ou dirons-nous autre chose ? CRITON : C’est cela, Socrate, assurément. SOCRATE : Et si les lois nous disaient : « Est-ce là, Socrate, ce qui était convenu entre nous et toi ? Ne devrais-tu pas t’en tenir aux jugements rendus par la cité ? » Et si nous nous étonnions de ce langage, peut-être diraient-elles : « Ne t’étonne pas, Socrate, de ce que nous disons, mais réponds-nous, puisque tu as coutume de procéder par questions et par réponses. Voyons, qu’as-tu à reprocher à nous et à l’État pour entreprendre de nous détruire ? Tout d’abord, n’est-ce pas à nous que tu dois la vie et n’est-ce pas sous nos auspices que ton père a épousé ta mère et t’a engendré ? Parle donc : as-tu quelque chose à redire à celles d’entre nous qui règlent les mariages ? les trouves-tu mauvaises ? – Je n’ai rien à y reprendre, dirais-je. – Et à celles uploads/S4/ ch-3-premiere-partie.pdf

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  • Publié le Aoû 15, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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