Le marketing du droit Pierre DE MONTALIVET Professeur de droit public à l’Unive
Le marketing du droit Pierre DE MONTALIVET Professeur de droit public à l’Université Paris-Est Créteil Même dans le cadre d’un colloque consacré aux relations entre droit et marché, le rapprochement du droit et du marketing peut surprendre. Non seulement les deux mots ne sont pas souvent associés, mais les deux matières semblent elles- mêmes bien éloignées l’une de l’autre. Constituant à la fois une pratique – un « art » diraient certains – et une science, composante des sciences de gestion, le marketing a pu être défini comme « l’activité, l’ensemble des institutions et des processus visant à créer, commu- niquer, délivrer et échanger les offres qui ont de la valeur pour les clients, les consommateurs, les partenaires et la société au sens large »1. Appréhendé dans son sens le plus courant, il regroupe l’ensemble des activités visant la satisfaction des besoins des consommateurs2 et s’applique à des produits de consommation tels que les automobiles ou les téléphones portables, autrement dit des objets marchands. Toujours dans le but de communiquer et créer de la valeur ajoutée pour les consommateurs, le marketing préconise le recours à diverses méthodes, comme les études de marché, les campagnes de promotion, la création ou l’extension d’une marque, l’amélioration de l’emballage ou du design d’un produit. Autant de choses qui semblent bien éloignées du droit. 1. P . Kotler, K. Keller, D. Manceau, Marketing Management, Paris, Pearson France, 14e éd., 2012, glossaire, p. 788. Cette définition reprend celle proposée par l’American Marketing Association. 2. Selon l’arrêté du 18 févr. 1987 relatif à l’enrichissement du vocabulaire économique et financier, la mercatique – nom francisé du marketing – « est conçue comme l’ensemble des actions qui ont pour objectif de prévoir ou de constater – et le cas échéant, de stimuler, susciter ou renouveler – les besoins du consommateur en telle catégorie de produits ou de services, et de réaliser l’adaptation continue de l’appareil productif et de l’appareil commercial d’une entreprise aux besoins ainsi déterminés ». 128 Le droit est-il un marché ? Et pourtant, la rencontre entre le droit et le marketing est possible ; elle s’est même déjà opérée. S’est déjà constitué un droit du marketing, qui porte sur l’emballage du produit, son prix, sa publicité ou encore sur les droits de propriété intellectuelle. Faisant l’objet de manuels spécialisés3, il constitue une composante du droit des affaires et de la consommation et plus généralement du droit du marché. Le marketing est ainsi saisi par le droit. On mettra ici en lumière un phénomène inverse, selon lequel le droit est lui-même saisi par le marketing, le marketing étant appliqué au droit4. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte d’expansion du marketing. Ce dernier a dépassé son domaine d’application initial pour s’étendre à une multitude d’objets différents, notamment non marchands, qu’il s’agisse de territoires, d’administrations, de services, de causes ou même de personnes. On connaît notamment l’importance du marketing politique, appliqué aux candidats aux élections et plus généralement à l’offre politique5. Tel candidat est vu comme un produit à vendre à des consommateurs-électeurs et se voit alors appliquer des méthodes du marketing : relooking6, positionnement sur l’échiquier politique, segmentation du discours, etc. Autre figure de cette expansion, le marketing social consiste quant à lui, « pour une organisation non gouvernementale, une administration publique ou une institution internationale, à promouvoir une cause d’intérêt général »7, comme le fait de manger cinq fruits et légumes par jour ou de cesser de fumer. Se développe également un marketing territorial8, prisé notamment par les collectivités locales. Prenant acte de la concurrence accrue des territoires9, les 3. V. par exemple N. Ferry-Maccario, Droit du marketing, Paris, Pearson, 2008. 4. Cette contribution s’inscrit dans la continuité d’un précédent article, plus général : P . de Montalivet, « La “marketisation” du droit. Réflexions sur la concurrence des droits », D., n° 44, 26 déc. 2013, Chron., p. 2923. 5. V. par exemple P . J. Maarek, Communication & marketing de l’homme politique, Paris, LexisNexis, coll. Carré droit, 3e éd., 2007. 6. P . François, Le marketing politique. Stratégies d’élection et de réélection, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 159 et s. 7. P . Kotler, K. Keller, D. Manceau, Marketing management, op. cit., p. 721. Plus généralement, selon Philip Kotler, l’auteur de référence en la matière, le marketing peut s’appliquer à des informations ou des idées (P . Kotler, G. Amstrong, E Le Nagard-Assayag, T. Lardinoit, Principes de marketing, Paris, Pearson France, 11e éd., 2013, p. 5). V. également J.-P . Helfer, J. Orsoni, avec la collab. de J.-L. Nicolas, Marketing, Paris, Vuibert, 11e éd., 2009, p. 24. 8. V. notamment P . Kotler, I. Rein, D. Haider, Marketing Places. Attracting Investment, Industry, and Tourism to Cities, States, and Nations, New York, Free Press, 1993 et B. Meyronin, Marketing territorial. Enjeux et pratiques, Paris, Vuibert, 2e éd., 2012. Le marketing territorial comprend le marketing urbain, sur lequel v. A. Sedjari, « Le rôle du marketing urbain dans le développement des villes », in Terres du droit. Mélanges en l’honneur d’Yves Jegouzo, Paris, Dalloz, 2009, p. 723. 9. V. par exemple le colloque sur « Territoires en concurrence », organisé par les universités de Corte et de Nice le 6 déc. 2013. Le marketing du droit 129 collectivités comme les États visent à attirer de nouveaux habitants, de nouvelles entreprises ou de nouveaux touristes, en recourant à diverses techniques de communication et de promotion, tels les logos ou les marques. C’est ainsi qu’afin de rendre leurs territoires plus attractifs pour les entreprises, l’État français a lancé la « marque France »10 et la région Bretagne la « marque Bretagne »11. Chaque collectivité territoriale s’est aujourd’hui dotée de son logo ou de son emblème12, vecteur de communication. Plus généralement, émerge un marketing public, auquel ont recours de nombreuses institutions. Les universités par exemple, afin d’attirer de nouveaux étudiants ou enseignants, utilisent de plus en plus les techniques du marketing, comme le montre la création de la marque Sorbonne. Même le Conseil d’État n’échappe pas à cette tendance, diffusant sur son site internet une série de films sur la justice administrative réalisés par une agence de communication13. Plus proche encore de notre sujet, s’est enfin développé un marketing juridique, s’appliquant aux services des cabinets d’avocats14. Sous l’influence notamment des structures anglo-saxonnes, les services juridiques font eux aussi l’objet de communication, notamment de publicité. Le phénomène d’extension du marketing aux normes juridiques s’inscrit également dans un contexte de marchandisation du droit. À la question, posée par le programme du colloque, de savoir si le droit est un marché, une réponse positive doit être apportée15, en ce que se rencontrent une demande et une offre 10. V. M. Van Renterghem, « Au chevet de la marque France », Le Monde, 17 mai 2013 et M. Visot, « La “marque France” victime d’une bisbille gouvernementale », Le Figaro, 27 mars 2014. V. également le classement des marques des pays réalisé par le cabinet BrandFinance in BrandFinance Nation Brands 2013 (www.brand- finance.com/knowledge_centre/reports/brandfinance-nation-brands-2013). 11. V. www.marque-bretagne.fr. Selon la présentation faite sur ce site internet, « L’attractivité de la Bretagne, sa capacité à rayonner au niveau national et international, à attirer touristes, investisseurs, étudiants, actifs… est un enjeu stratégique majeur pour le développement de la région. Dans la concurrence entre les territoires qui se joue à l’échelle mondiale, la capacité à se distinguer, à séduire et à être repéré par les décideurs est primordiale. C’est pourquoi la Bretagne a créé une marque de territoire destinée à être partagée par tous ceux qui se réfèrent à la Bretagne pour se faire connaître et promouvoir leurs intérêts ou leurs créations sur la scène nationale ou internationale ». 12. V. notamment M. Verpeaux, « Les collectivités territoriales et les emblèmes », in Mélanges en l’honneur de Jean-François LACHAUME. Le droit administratif : permanences et convergences, Paris, Dalloz, 2007, p. 1083. 13. V. notamment www.conseil-etat.fr/Actualites/Le-Conseil-d-Etat-vous-ouvre-ses-portes/ La-justice-administrative-en-films 14. V. par exemple L. Marlière, Le marketing du cabinet d’avocats. Communication, relations publiques, publicité, Paris, Éditions d’Organisation, 1999. 15. V. notamment E. A. O’Hara, L. E. Ribstein, The Law Market, New York, Oxford University Press, 2009 ; I. B. Lee, « Le marché du droit. Observations néoclassiques sur les rapports Doing Business et la rivalité common law – droit civil », in J.-F. Gaudreault-Desbiens, E. Mackaay, B. Moore, S. Rousseau (dir.), Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes juridiques, Les Journées Maximilien-Caron 2008, Montréal, Themis, 2009, p. 77. V. également J.-B. Auby, La globalisation, le droit et l’État, Paris, LGDJ, coll. Systèmes, 2e éd., 2010, p. 125. 130 Le droit est-il un marché ? de droit. Au-delà des droits, comme les droits à polluer16, le droit est en effet de plus en plus appréhendé comme un produit par les entreprises, qui sont en demande de certaines normes juridiques adaptées à leurs besoins17. Aidées par la multiplication des classements des États en fonction de la qualité de leurs réglementations, les entreprises font le choix de la législation nationale ou de la tradition juridique qui sert le mieux leurs intérêts, que ce soit pour la conclusion d’un uploads/S4/le-marketing-du-droit-pdf.pdf
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- Publié le Jul 01, 2022
- Catégorie Law / Droit
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