RDCO2007-4-046 Revue des Contrats, 01 octobre 2007 n° 4, P. 1335 - Tous droits

RDCO2007-4-046 Revue des Contrats, 01 octobre 2007 n° 4, P. 1335 - Tous droits réservés Contrats La maîtrise des codes sources par le client utilisateur d'un logiciel Les entreprises, quel que soit leur secteur d'activité, et tout particulièrement les opérateurs de télécommunications, doivent faire face à une dépendance technologique croissante vis-à-vis de solutions informatiques complexes, auxquelles elles recourent pour la réalisation d'une grande partie des tâches nécessaires à leur activité. En effet, une fois mises en place, ces solutions informatiques, dans la mesure où elles reposent sur des composants logiciels, doivent faire l'objet d'une maintenance continue, que ce soit pour en corriger les erreurs (bogues)1 ou pour en assurer l'adaptation face aux évolutions réglementaires et techniques qui peuvent en affecter l'environnement2. Or, en pratique, le client utilisateur d'un logiciel ne dispose souvent que d'un droit d'usage limité à sa version exécutable (ou « code objet »), tandis que le fournisseur du logiciel3 conserve seul la maîtrise des « codes sources ». Le « code objet » est la traduction du logiciel dans un langage (le binaire)4, que seule la machine est capable de comprendre en l'état5. Il est insuffisant pour assurer la maintenance du logiciel, puisqu'il ne permet pas à l'homme de l'art d'en comprendre le fonctionnement ni de le modifier, faute de pouvoir l'appréhender. Les « codes sources » correspondent pour leur part à la version du logiciel écrite dans un langage de programmation compréhensible par l'homme6. Ils sont indispensables pour comprendre le fonctionnement du programme et donc pour le modifier. Cette situation peut se révéler très inconfortable pour le client utilisateur d'un logiciel ou d'une solution informatique basée sur des éléments logiciels. En effet, si le fournisseur du logiciel disparaît suite à une procédure collective, cesse son activité ou se montre défaillant dans l'exécution de ses obligations de maintenance, le client, faute de disposer des « codes sources » du logiciel, se trouve dans l'incapacité de procéder lui-même (ou de faire procéder par un tiers) à sa maintenance. La question de la maîtrise et de l'accès aux codes sources des logiciels est donc essentielle pour tout praticien confronté à la rédaction d'un contrat informatique. Face au silence des textes et au caractère incertain de la jurisprudence quant à la reconnaissance d'un droit d'accès implicite aux codes sources , le client utilisateur d'un logiciel devra veiller à s'aménager conventionnellement ce droit (I). En fonction des circonstances et des intérêts poursuivis par les parties en présence, cet aménagement conventionnel pourra, en pratique, prendre différentes formes telles que la cession ou la concession de droits inconditionnels sur le logiciel en code source, la stipulation d'un engagement de remise des codes sources sous conditions, la conclusion d'un contrat d'entiercement spécifique ou encore l'adhésion du client à un programme de séquestre proposé par le fournisseur du logiciel (II). I - L'absence de droit implicite dévolu au client sur les codes sources du logiciel A. - L'ineffectivité des textes Contrairement à la tradition législative française, marquée par une conception synthétique des droits de l'auteur, l'article L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle7 explicite de manière détaillée les droits reconnus à l'auteur d'un logiciel8. À la lecture de ce texte, on constate que le créateur d'un logiciel bénéficie d'importantes prérogatives patrimoniales d'exploitation, qui lui permettent d'interdire aux tiers la reproduction, l'utilisation, l'adaptation et la commercialisation de son oeuvre, effectuées sans son accord. Il n'y aura donc rien d'étonnant à ce qu'aucune disposition légale ne prévoie l'obligation pour le fournisseur d'un logiciel d'en communiquer les codes sources à ses clients9. Néanmoins, une partie de la doctrine10 a pu déduire des dispositions du Code de la propriété intellectuelle le droit de l'utilisateur de connaître le contenu des sources à partir du code objet dont il dispose. Le cas le plus net paraît être celui de la « décompilation » du logiciel, qui consiste dans la traduction du code objet en code source11 dont l'article L. 122-6-1, IV, n'accorde cependant le droit au client que dans le cas où elle serait « indispensable pour obtenir des informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels ». L'interopérabilité désignant « la capacité d'échanger des informations sur les principes, méthodes et structures mises en oeuvre par un logiciel quand il interagit avec son environnement logiciel ou matériel »12, on comprendra que la faculté de décompilation offerte par le Code la propriété intellectuelle se limite à des fins assez éloignées des préoccupations d'un utilisateur simplement désireux de corriger les bogues d'un programme. En tout état de cause, pour que la décompilation puisse lui permettre de disposer de codes sources exploitables, le client devra disposer d'un grand nombre d'informations que, en pratique, seul le fournisseur du logiciel connaît (notamment le compilateur13 utilisé pour générer le code objet à partir des codes sources et le langage de programmation de haut niveau utilisé par le développeur qui n'est pas toujours standardisé). Quelle que soit la portée des textes, il est donc purement et simplement illusoire de croire qu'il est aujourd'hui techniquement possible, à partir d'une version exécutable d'un logiciel, d'obtenir les codes sources par le simple jeu de la décompilation14. À l'image du droit de décompiler le logiciel, l'article L. 122-6-1, I, du Code de la propriété intellectuelle a lui aussi pu être interprété dans le sens d'un accès implicite aux sources . Ainsi, ce texte dispose que « ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur » les actes de reproduction, traduction, adaptation et d'arrangement, « lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs ». La question est de savoir si cette disposition pourrait conférer à l'utilisateur un droit d'accès aux codes sources , dans la mesure où ceux-ci sont indispensables à l'exercice des droits de correction et d'adaptation auxquels le texte semble ouvrir droit. À cette question, E. Montero15 répond par la négative dans le sens où, pour lui, la correction des erreurs est prévue au titre d'une simple exception aux droits exclusifs de l'auteur. Il s'ensuit que l'utilisateur jouirait dès lors d'une simple faculté, et non d'un droit, de procéder à la correction des erreurs. On comprendra donc que l'analyse des textes n'est pas des plus favorables à la reconnaissance d'un droit implicite du client de disposer des sources du logiciel, les seules dispositions pouvant aller dans ce sens étant particulièrement débattues, lorsqu'elles ne sont pas dépourvues de toute portée pratique. Face à ce constat, il conviendra de se pencher sur la position du juge en la matière. B. - L'incertitude jurisprudentielle La jurisprudence n'est pas beaucoup plus explicite, lorsqu'il s'agit de tenter de reconnaître au client un droit implicite sur les codes sources du logiciel dont il est utilisateur. En matière de logiciel standard ou progiciel16, le juge, comme une grande partie de la doctrine, considère qu'à défaut de clause contraire, la fourniture d'un logiciel standard n'implique pas automatiquement la délivrance de ses codes sources 17. En effet, les codes sources d'un logiciel standard sont rarement communiqués au client, puisque, soucieux de se réserver l'exploitation du logiciel standard, dont le développement est financé par lui, le fournisseur ne souhaite pas communiquer les codes sources de son oeuvre au risque d'en faciliter le plagiat. Pour ce qui est des logiciels spécifiques18, des auteurs estiment que le client dispose d'un droit d'accès aux codes sources 19 en tant qu'accessoire de la prestation de développement du logiciel. Le devoir de bonne foi et l'obligation d'information, son corollaire, sont aussi parfois invoqués. Un arrêt de Cour d'appel a pu conforter, dans un premier temps, cette position doctrinale, affirmant le caractère accessoire des codes sources .20 Cependant, d'autres juridictions sont depuis allées en sens contraire, à l'instar du juge des référés parisien21 et, plus particulièrement, de la Cour de cassation qui a refusé de retenir l'argument suivant lequel la fourniture d'un logiciel spécifique impliquait nécessairement, à la différence des progiciels standard, le droit d'accès à son code source22. Il semblerait donc que le critère jurisprudentiel de l'accès aux codes sources ne tienne pas tant à la distinction entre logiciel standard et logiciel spécifique, qu'à l'étendue des droits accordés à l'utilisateur sur le logiciel concerné. En l'absence de disposition conventionnelle, la jurisprudence actuelle tend à refuser l'accès au code source à l'utilisateur qui ne dispose que d'un simple droit d'usage du logiciel standard ou spécifique, sans faculté de le modifier ou de le corriger. Reste que l'utilisateur qui se serait vu concéder des droits plus étendus sur le logiciel, tels que notamment un droit de modification et/ou de correction (hypothèse que l'on rencontrera le plus fréquemment en matière de logiciels spécifiques), pourra peut-être chercher à soutenir l'existence d'un droit d'accès implicite au code source pour pouvoir exercer ses droits. On pourra en effet arguer du fait que les codes sources sont moins l'accessoire du développement du logiciel que l'accessoire des droits concédés puisqu'ils sont indispensables à l'exercice de certains droits et notamment des droits de modification et de correction qui pourraient être reconnus uploads/S4/ code-sources.pdf

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  • Publié le Dec 13, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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