LA CLASSIFICATION DES CATÉGORIES JURIDIQUES EN DROIT COMPARÉ – MÉTAPHORES TAXON

LA CLASSIFICATION DES CATÉGORIES JURIDIQUES EN DROIT COMPARÉ – MÉTAPHORES TAXONOMIQUES* Michelle CUMYN** INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1. LES CATÉGORIES JURIDIQUES EN DROIT CIVIL ET EN DROIT DE TRADITION ANGLAISE . . . . . . . . . . 8 1.1 Une définition commune de la catégorie juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 1.2 Des différences dans la manière de classifier les catégories juridiques en droit civil et en droit de tradition anglaise . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2. LA CLASSIFICATION DES ESPÈCES DANS LES SCIENCES NATURELLES . . . . . . . . . . . . . . . 23 2.1 L’approche phénétique . . . . . . . . . . . . . . . . 25 2.2 L’approche phylogénique . . . . . . . . . . . . . . . 32 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Vol. 110, septembre 2008 1 * La présente étude a été réalisée dans le cadre d’un projet de recherche sur le rôle des catégories dans le raisonnement juridique en droit civil et en common law, grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Elle donne suite à une conférence présentée lors du Xe Congrès de l’Association internationale de méthodologie juridique à l’Université de Sher- brooke les 25 et 26 octobre 2007, qui avait pour thème la sécurité juridique. L’au- teure remercie Mme Bonnie Huen, étudiante au baccalauréat à la Faculté de droit de l’Université Queen’s, ainsi que M. Jean-Paul Gakwerere, étudiant au doctorat à l’Université Laval, pour les recherches effectuées. ** Professeure agrégée, Faculté de droit, Université Laval. INTRODUCTION La classification des catégories juridiques a suscité ces derniè- res années un intérêt renouvelé, à la suite des déclarations contro- versées du professeur Peter Birks, qui a insisté sur l’importance de la « taxonomie juridique » et sur la nécessité de procéder à une grande entreprise de systématisation du droit privé britannique. En réponse à ces déclarations, le professeur Geoffrey Samuel a criti- qué l’emploi de métaphores taxonomiques, estimant que le droit ne doit pas prendre pour modèle les sciences naturelles et que toute analogie avec la classification des êtres vivants ne peut qu’être trom- peuse. Après avoir proposé une définition commune des catégories juridiques, l’auteure décrit les manières différentes dont elles sont classifiées en droit civil et en common law. Les civilistes ont de leurs catégories une représentation fixe ; elles s’ordonnancent suivant une structure hiérarchique allant des catégories les plus générales aux plus spécifiques. Pour les common lawyers, les catégories juri- diques s’enchaînent au sein d’une structure évolutive qui s’ap- parente à une généalogie. En taxonomie, on retrouve également deux approches fondamentalement différentes de la classification des espèces, l’approche phénétique et l’approche phylogénique ou phylogénétique. La première évoque le mode de classification qui domine en droit civil, tandis que la seconde rappelle celui qui tend à prévaloir en common law. There has been renewed interest in the classification of legal categories in recent years, following Professor Peter Birk’s contro- versial statements about the importance of “legal taxonomy” and on the English private law being in urgent need of systematisation. Responding to Birks, Professor Geoffrey Samuel has been critical of the use of taxonomic metaphors and has insisted that a comparison of law with the natural sciences is ill-founded ; accordingly, any analogy with the classification of living organisms must only lead to error. After proposing a definition of legal categories common to both legal traditions, this paper describes the different ways in which such categories are classified within the civil law and the common law. Civilians tend to view their legal categories as fixed ; such cate- gories are ordered within a hierarchical scheme leading from the more general categories to the more specific. Common lawyers per- Vol. 110, septembre 2008 CLASSIFICATION DES CATÉGORIES JURIDIQUES EN DROIT COMPARÉ 3 3 ceive their categories as appearing, disappearing or evolving over time ; such categories are connected to each other within a classifi- catory scheme that resembles a genealogy. In taxonomy, one also finds two fundamentally different approaches to the classification of species, the phenetic approach and the phylogenic or phylogenetic approach. The first is evocative of the dominant form of classifica- tion in the civil law, while the second is reminiscent of the scheme that tends to prevail in the common law. La sécurité juridique, cette valeur chère aux juristes, est sou- vent évoquée en rapport avec les catégories juridiques. De l’avis de plusieurs, il appartient en effet à la doctrine d’articuler et d’entre- tenir ces catégories. Celles-ci exigeraient une attention constante afin qu’elles puissent représenter l’état du droit et répondre ainsi aux besoins de la pratique. Il faudrait, au fil du temps, en retracer les contours et réarticuler les relations qu’elles ont entre elles au sein d’une organisation plus large du champ juridique. Ce travail de la doctrine serait essentiel pour que les catégories assurent au mieux la sécurité juridique1. Pour d’autres auteurs plus critiques cependant, les catégories juridiques et leur scientificité apparente détournent les juristes des enjeux réels qui se posent à eux. Une nouvelle division apparaît parmi ces auteurs critiques, entre ceux pour qui les catégories juri- diques constituent un carcan trop rigide, qui nuit à la recherche de la solution la plus juste et à l’évolution du droit et ceux pour qui, au contraire, la catégorie juridique est si sujette à manipulation par l’interprète, qu’elle ne fait que voiler l’incertitude du droit et la dis- crétion judiciaire. Selon les auteurs critiques du premier groupe, les catégories juridiques assurent une trop grande sécurité juridique, au détriment d’autres valeurs comme la flexibilité ou la justice. De l’avis des auteurs critiques du second groupe, la sécurité qui semble découler de l’élaboration et de la mise en œuvre des catégories juri- diques ne serait qu’un leurre. Pour ces derniers, les catégories parti- ciperaient à cette grande illusion de l’objectivité et de la rationalité du droit. La Revue du Notariat, Montréal 4 LA REVUE DU NOTARIAT 1. Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, 4e éd., Paris, Dalloz, 2003, no 191, p. 221 : Le système des catégories juridiques permet de discipliner le désordre et l’incerti- tude des faits sociaux en les saisissant plus aisément sous une qualification claire et des règles déterminées. Pouvoir couler dans « des moules éprouvés par l’expé- rience » les faits et actes de la vie sociale ayant des caractères communs et leur appliquer un régime connu et objectivement déterminé constitue une garantie d’impartialité et de sécurité juridique. Les catégories juridiques constituent aussi un facteur de simplification du droit. Notre objectif n’est pas ici de vérifier l’aptitude réelle des caté- gories à assurer la sécurité juridique ou à servir d’autres fins chères aux juristes telles que l’accessibilité du droit, sa cohérence interne, sa capacité à s’adapter aux changements sociaux ou à promouvoir la justice. L’analyse à laquelle nous nous livrons est toutefois sus- ceptible de contribuer à ce débat plus large. Il s’agit de réfléchir à la classification des catégories juridiques et à la manière dont elle con- tribue à structurer le droit. À l’évidence, la catégorie juridique est un élément fondamental de la méthodologie du droit tant dans la tradition de droit civil que dans celle de common law. Ces dernières années, la discussion sur la classification des catégories juridiques a été ravivée en droit de tradition anglaise par le juriste britannique Peter Birks, qui s’est fait l’apôtre de la « taxonomie juridique » et de la nécessité de procéder à une grande entreprise de systématisation des institutions et des règles du droit privé britannique2. Cela n’a pas manqué de susciter des réactions assez vives chez d’autres auteurs dans la tradition anglaise qui se sont élevés contre une méthode apparemment ins- pirée des sciences naturelles et – autre raison de s’en méfier ! – du droit civil. Une de ces réponses est venue du professeur Geoffrey Samuel dans un article intitulé « Can Gaïus really be compared to Dar- win ? »3. Dans ce texte, Samuel argue que les formes de logique ou de rationalité propres aux sciences ne conviennent pas au droit. Il affirme que la taxonomie des espèces animales ou végétales ne peut pas servir de modèle pour les juristes, et rejette ce modèle, sans toutefois l’étudier4. Samuel est sans doute un peu injuste dans sa Vol. 110, septembre 2008 CLASSIFICATION DES CATÉGORIES JURIDIQUES EN DROIT COMPARÉ 5 2. Peter BIRKS (dir.), English Private Law, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; Peter BIRKS (dir.), The Classification of Obligations, Oxford, Clarendon Press, 1997 ; uploads/S4/ cumyn-2009-revue-notariat.pdf

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  • Publié le Oct 05, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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