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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/32230460 Droit et sciences sociales Article · January 2010 Source: OAI CITATIONS 13 READS 66 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: dialogical networks View project Law at Work (co-edited collection) View project Baudouin Dupret French National Centre for Scientific Research 203 PUBLICATIONS 530 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Baudouin Dupret on 24 September 2015. The user has requested enhancement of the downloaded file. Droit et sciences sociales Baudouin DUPRET halshs-00197135, version 1 - 8 Jan 2008 INTRODUCTION Le droit constitue l’une des formes majeures d’ordonnancement des relations sociales. A ce titre, il a fait l’objet d’élaborations philosophiques, doctrinales et techniques extrêmement variées et abondantes, qui visaient à exploiter ses ressources d’instrument d’intervention dans le domaine de la vie en société. C’est avec la naissance des sciences sociales que le regard sur le droit s’est déplacé, qu’il est passé, pour reprendre l’expression de François Ost et Michel Van de Kerchove (Ost & Van de Kerchove, 1991), de la scène au balcon. Le droit est alors devenu, non plus seulement une source de véridiction ou un instrument normatif, mais un objet d’enquête sociologique, anthropologique et linguistique. La multiplication des revues portant sur le droit dans une perspective non juridique atteste de l’importance de cette interrogation nouvelle. Ceci ne signifie naturellement pas que les sciences sociales du droit se présentent aujourd’hui de manière unifiée. La combinaison de plusieurs disciplines (le droit et les sciences sociales) et traditions juridiques (civiliste et anglo-saxonne, pour ne parler que d’elles) a entraîné l’apparition de multiples « foyers » (Serverin, 2000) de production sociojuridique. Il serait toutefois réducteur d’opposer trop radicalement les sciences sociales du droit telles qu’elles se sont développées à l’ombre de la Common Law à celles qui se sont inscrites dans des contextes juridiques de tradition civiliste. Dans les deux cas, il faut bien constater l’obstacle constitué par le dogmatisme juridique sur le chemin d’une analyse du droit informée par les sciences sociales. Dans les deux cas, il convient également de constater une double réticence : celle des juristes, qui hésitent à emboîter le pas des sciences sociales ; mais aussi celle des sciences sociales, qui ne parviennent pas vraiment à « prendre le droit au sérieux » (Dworkin, 1977), se cantonnant souvent dans une attitude critique de soupçon et de dénonciation. C’est ainsi que l’étude de l’ontologie du droit reste encore largement à faire. Comme le souligne Bruno Latour, « dire du droit qu’il est symbolique, qu’il est une chose mentale, une production du cerveau humain, une construction sociale arbitraire, reviendrait à capituler d’entrée de jeu en renonçant à découvrir l’ontologie propre qui lui convient » (Latour, 2002 : 295-296). L’ouvrage qui suit entend présenter les différentes façons, pour les sciences sociales, de faire du droit leur objet. Il a semblé possible de les regrouper en quatre tendances. Tout d’abord, le culturalisme, qui fait du droit un reflet des différentes cultures propres au genre humain et le porteur de leurs structures profondes et valeurs essentielles. Nous regroupons, sous ce label, les écoles historiques du droit (école historique allemande, école des sciences juridiques historiques et comparatives, courants évolutionnistes), l’anthropologie du droit (anthropologie coloniale, anthropologie culturelle, anthropologie interprétative) et les courants se réclamant du pluralisme juridique (le droit vivant, le nouveau pluralisme juridique, la polycentricité, le nativisme). La tendance critique, ensuite, qui, interrogeant le droit en tant que fait de société, y voit principalement l’instrument de l’organisation et de la reproduction du pouvoir et des rapports de domination. Dans cette mouvance, nous considérons la sociologie du droit dans la tradition française (l’œuvre de Durkheim et de ses héritiers, la juristique, la sociologie politique du droit), la sociologie dans la tradition anglo-saxonne (la sociological jurisprudence, le courant Law and Society), les traditions critiques (marxisme, théorie de l’agir communicationnel, théorie des champs, postmodernisme, Critical Legal Studies, psychanalyse). Nous identifions également une tendance institutionnaliste, qui, sous des formes très diverses, s’interroge sur le droit en tant que système positif de régulation des rapports sociaux et en traite donc comme d’une institution sociale. Sous ce label, nous regroupons les différentes formes de positivisme juridique (Austin, Kelsen, Hart), les théories 1 halshs-00197135, version 1 - 8 Jan 2008 compréhensives (Weber et son héritage) et les tendances fonctionnalistes et systémiques (Malinowski, Parsons, autopoièse). La quatrième tendance est, pour sa part, d’inspiration pragmatique ou praxéologique. Elle tend à saisir le droit tel qu’en lui-même, dans son déploiement contextuel, ses interactions, son activité de production de sens, ses pratiques. Nous y plaçons la philosophie du langage (Wittgenstein, Austin), les courants réalistes (réalisme américain, réalisme scandinave, nouveau réalisme), les tendances interactionnistes et constructivistes (interactionnisme symbolique, sémiotique juridique, théorie narrativiste, sémiotique latourienne) et les études praxéologiques du droit (ethnométhodologie, analyse de conversation, ethnographie du travail juridique). A l’exception du dernier de ces courants, il faut constater que les sciences sociales, parce qu’elles ont cherché à expliquer le droit en termes de traduction symbolique d’une culture intériorisée, de modernité et de rationalisation ou de rapports de force, de pouvoir et de domination, n’ont cessé d’avoir sur le droit, ses manifestations, les phénomènes qui s’y rattachent et ses pratiques un regard extérieur qui en fait la ressource explicative de vastes théories du social plutôt qu’un objet de recherche légitime en lui-même et pour lui-même. Entre l’aporie culturaliste, la dissolution du phénomène juridique dans la critique ou l’oubli du contexte, ces trois grands courants ont eu tendance à tourner autour du droit sans vraiment s’y attaquer pour lui-même, en tant qu’il est un phénomène social à part entière. Tout au contraire, le quatrième de ces courants, celui qui s’intéresse au droit en action (Travers et Manzo, 1997), c’est-à-dire au droit en tant qu’il est une activité pratique, vise à tenir le droit, non pour une ressource, mais pour un objet d’investigation « de plein droit ». Là où, dans la recherche sociologique traditionnelle, la phénoménologie du droit constitue une zone d’ombre, l’étude du droit en action s’attache précisément à ce « quelque chose qui manque » (Garfinkel, 1967). Tout en passant en revue la littérature qui s’est intéressée au droit dans la perspective des sciences sociales, il convient de développer une critique des traditions sociojuridiques qui, dans leur vaste majorité, ont manifesté une tendance aux généralisations théoriques et abstraites, à la dissolution du droit dans la notion de contrôle social et à l’oubli du fait que le droit est, avant tout, un phénomène qui se saisit dans ses pratiques (en action) et dans ses différents environnements (en contexte). L’on tentera donc de rendre compte, de manière aussi fidèle, systématique et synthétique que possible, des traditions de recherche, de leurs fondements et de leurs développements, mais l’on proposera aussi, en conclusion des trois premières parties, une critique raisonnée du courant en question et une reformulation de son questionnement qui permette de mieux saisir l’objet premier de son interrogation, à savoir le droit. La quatrième partie sera consacrée à une analyse détaillée de cette reformulation et, en conclusion, à ses implications fondamentales. Il s’agit donc de parcourir les sciences sociales du droit pour aboutir à une respécification des études sociojuridiques qui, faisant du droit un objet d’investigation en lui-même et pour lui-même, produise une description fine et en contexte des modalités d’exercice des professions et activités liées au droit, d’établissement des faits, de mise en œuvre des règles, de référencement des faits à des règles, dans le cours routinier du travail ou des rencontres avec la justice (Dupret, 2006). L’on vise bien, de ce fait, à décrire le droit dans sa réalité phénoménologique la plus précise. Le reproche est parfois fait à ce type d’analyse de ne pas ouvrir à une connaissance nouvelle ni d’inciter véritablement à la réflexion (Bouvier, 1999 : 14). L’on prétend, tout à l’inverse, que le retour au droit, en tant qu’objet d’étude « de plein droit », que le souci de l’empirie, en tant que seul objet de la sociologie, et que l’attention donnée aux pratiques, en tant que lieu unique d’accomplissement du social, non seulement nous sauvent des sociologies juridiques sans phénoménologie, mais représentent une 2 halshs-00197135, version 1 - 8 Jan 2008 contribution fondamentale à l’intelligence de ce phénomène de part en part social qu’est le droit. 3 halshs-00197135, version 1 - 8 Jan 2008 Première partie Droit et culture Sous cet intitulé, l’on regroupe toutes ces tendances de l’étude du droit qui font de celui-ci le reflet des différentes cultures propres au genre humain et le porteur de leurs structures profondes et valeurs essentielles. Sous-jacente à cette perspective, il y a l’idée que le droit est un langage spécifique à un ensemble culturel et qu’il traduit les modes d’organisation spécifiques aux différents groupements humains. On peut remarquer, dans cette perspective, un penchant explicite ou implicite pour une forme d’évolutionnisme qui verrait dans le droit une réponse spécifiquement adaptée à chaque particularisme culturel, l’état du droit aujourd’hui étant le produit de l’ajustement « indigène » adéquat à des uploads/S4/ droit-et-sciences-sociales.pdf

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  • Publié le Sep 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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