54 L'HABEAS CORPUS Boumediene et al. v. Bush 128 S. Ct. 2229 (12 juin 2008) [V
54 L'HABEAS CORPUS Boumediene et al. v. Bush 128 S. Ct. 2229 (12 juin 2008) [V Natale, « L'ultime tentative de la Cour suprême américaine pour préserver les droits des détenus de Guantanamo », RSC 2008, p. 893·897 : RD pl/hl. 2009, p. 926·928, chrono M. Rosenfeld. E. Cohen 1 FAITS 1 Une semaine après les attaques terroristes contre les deux tours du World Trade Center à New York qui tua quelque 3 000 personnes et contre le Penta- gone à Washington, le Congrès adopta une résolution autorisant le Président « à user de toute la force nécessaire et appropriée contre ces nations, organisa- tions ou personnes qui, selon lui, ont planifié, permis, commis, ou aidé à commettre les attaques terroristes survenues le Il septembre 2001, ou donné refuge à ces organisations ou à ces personnes, afin de prévenir tout acte de terrorisme susceptible d'être commis dans l'avenir contre les États-Unis par de telles nations, organisations ou personnes». Trois ans plus tard, une majorité de la Cour se dégagea pour reconnaître que ce texte couvrait la mise en détention des personnes arrêtées au cours des opérations menées en Afghanistan. Saisie d'un recours formé par un citoyen américain arrêté dans la zone des combats, d'abord classé dans la catégorie « ennemi combattant» et incarcéré à Guantanamo, puis transféré sur le territoire américain sitôt sa nationalité connue, elle jugea qu'il avait droit à une procédure régulière de droit (due process of law), c'est-à-dire « à recevoir la notification des éléments factuels qui ont servi de base à son classement et à se voir offrir la possibilité de les réfuter devant un organe de décision neutre», Hamdi V. Rumsfeld, 542 U,S. 507, 533 (2004). À la suite de cette décision, le secrétaire adjoint à la défense établit des « Tribunaux de révision du statut de combat- tant», tribunaux militaires chargés de décider si les personnes incarcérées à 54 BOUM/IJU'NE '·T A/ V BUSH 843 Guantanamo étaient bien des « ennemis combattants» au sens où le gouverne- ment définissait ce terme. Sur le fondement de la résolution adoptée par le Congrès en septembre 200 l, Boumediene et d'autres personnes furent arrêtées sur ordre du département de la défense, puis transférées à Guantanamo. Parmi elles, certaines avaient été arrêtées en Afghanistan, mais d'autres avaient été capturées dans des endroits aussi éloignés de ce champ de bataille que la Bosnie ou la Gambie. Tous étaient des étrangers, mais aucun n'avait la nationalité d'un pays contre lequel les États-Unis étaient en guerre. Chacun d'entre eux niait être un membre de l'organisation AI Qaeda ou affiliée au régime des Talibans qui l'abritait. Chacun comparut séparément devant un Tribunal de révision du statut de combattant, fut reconnu « ennemi combattant» et forma un recours d'habeas corpus devant la cour fédérale de district pour le District de Columbia. Les premiers recours furent formés en février 2002. La cour de district les rejeta au motif que la base navale de Guantanamo était située en dehors de la souveraineté territoriale des États-Unis. La cour d'appel pour le District de Columbia confirma. La Cour suprême renversa au motif que la loi fédérale sur l'habeas corpus s'appliquait à Guantanamo, Rasul V. Bush, 542 U.S. 466, 473 (2004). À la suite de cette décision, les recours furent consolidés par la cour de district en deux séries d'affaires. Dans la première, le juge fédéral donna satisfaction au gouvernement, en décidant que les détenus n'avaient aucun droit qui pouvait être garanti par un recours d' habeas corpus tandis que, dans la seconde, un autre juge fédéral estima que les détenus avaient droit à une procédure régulière de droit. 2 Les appels contre les décisions de la cour de district étaient pendants quand le Congrès adopta la loi sur le traitement des détenus dont l'article 1005 décida, d'une part, qu'« aucune cour, ni aucun juge n'auront compétence pour entendre et juger ... un recours d'habeas co/pus formé par l'une des personnes détenues par le département de la défense à Guantanamo» et, d'autre part, que la cour d'appel pour le District de Columbia aurait compétence exclusive pour contrôler les décisions des Tribunaux de révision du statut de combattant. Dans un arrêt Hamdan V. Rumsfeld, 548 V.S. 557, 576-577 (2006), la Cour suprême jugea que l'article 1005 ne s'appliquait pas aux affaires (comme celles des requérants en la présente espèce) qui étaient pendantes quand la loi sur le traitement des détenus fut votée. Le Congrès répondit en adoptant une loi sur les commissions militaires, sorte de tribunaux militaires, dont l'article 7 modifia derechef la loi fédérale qui organise le recours d' habeas corpus devant les cours fédérales en leur retirant toute compétence pour se prononcer sur les recours d'habeas corpus pendants devant elles au moment de son adoption. À la suite de cette décision, les requêtes de Boumediene et autres furent jointes en appel et les parties déposèrent des mémoires additionnels prenant en considération les implications de la décision Hamdan. La cour d'appel consi- déra que la loi sur les commissions militaires devait être interprétée comme 844 LI ,(;I{"IlS .\I{I{(·ISIll· LAC()LI{~l'l'I{I~II III ~ El \I~.U\IS 54 ayant retiré à toutes les autres cours fédérales. y compris elle-même, la compé_ tence pour juger de recours àhabeas co/pus, et décida que les plaignants ne jouissaient ni du privilége de l'habeas corpus, ni des garanties prévues par la clause de suspension de ce recours dans l'article I, sec. 9, ci. 2 de la Constitu- tion, et que, par conséquent, il était inutile de se demander si la loi Sur le traitement des détenus adoptée par le Congrès prévoyait ou non un substitut adéquat et effectif au recours d'habeas co/pus. La Cour suprême accorda aux plaignants un writ of' certiorari et renversa la décision de la cour d'appel à une majorité de cinq voix contre quatre. 3 OPINION DE LA COUR (Kennedy, juge) Il A titre préliminaire, nous devons décider si la loi sur les commissions mili- taires interdit aux cours fédérales d'examiner les recours d'habeas corpus pen- dants devant elles au moment de son adoption. Nous décidons que la loi prive effectivement les cours fédérales de compétence pour exercer cet examen de sorte que, si elle est valide, les requêtes des plaignants devront être nécessaire- ment rejetées [...J III 4 Pour juger des problèmes constitutionnels soulevés par ces affaires, il nous faut décider du point de savoir si les plaignants seraient privés du droit de former un recours d'habeas corpus ou d'invoquer les garanties de la clause de suspension de ce recours soit à cause de leur statut, c'est-à-dire, leur appartenance, selon l'Exécutif, au groupe des ennemis combattants, soit à cause du lieu où ils se trouvent, c'est-à-dire, Guantanamo. Le gouvernement prétend que les étrangers qui sont identifiés comme ennemis combattants et qui sont détenus sur un territoire situé hors des frontières nationales n'ont aucun droit constitutionnel, ni aucun privilège d'habeas corpus. Les requérants soutiennent qu'ils ont des droits constitutionnels et qu'en cherchant à les priver du recours d'habeas corpus qui leur permet de faire valoir leurs droits, le Congrès a légiféré en violation de la clause de suspension [de l'article l, sec. 9. cI. 2 de la ConstitutionJ [...J 5 Les constituants regardaient la protection contre toute détention illégale comme un précepte fondamental de la liberté, et ils ont conçu le recours d'ha- beas corpus comme un instrument vital pour garantir cette liberté. L'expérience leur avait toutefois appris que le recours qui n'était garanti que par la seule common law s'était révélé insuffisant pour écarter les abus du pouvoir monar- chique. Aussi bien, l'histoire les a-t-elle conduits à inscrire le recours d'habeas corpus en termes exprès dans la Constitution de manière à en garantir l'exer- cice et à assurer sa place dans notre système juridique [...J Que les constituants aient regardé le recours d'habeas corpus comme un instrument vital pour protéger la liberté individuelle est évident par le soin qu'ils 54 BOUMtDII'NI' ,·:r AL. V. Busu 845 ont mis à définir les conditions de sa suspension : "Le privilège de l'ordon- nance d'habeas corpus ne sera pas suspendu, sauf lorsqu'en cas de rébellion ou d'invasion l'ordre public l'exige -. article l, sec. 9, ci. 2 de la Constitution [ ... J Nous savons qu'en common law, le statut d'étranger n'était pas un obstacle catégorique à ce que le plaignant puisse obtenir une ordonnance d'habeas corpus, v. par exemple, l'affaire Sommersett, 20 How. SI. Tr. 1, 80-82 (1772) (où le juge ordonna la remise en liberté d'un esclave africain parce que les explications du geôlier étaient insuffisantes); v. sur un plan général, Khera v. Secretary of State for the Home Dept., [1984JA.C. 74, 111 [« La protection de l'habeas corpus est souvent réputée limitée aux 'sujets britanniques'. Est-elle vraiment limitée aux nationaux britanniques? Qu'il suffise de dire que la juris- prudence a répondu par un 'non' retentissant à la question ,,) [...J IV Partant du fait qu'en common law, les cours de justice ne délivraient d'ordon- nance d'habeas corpus que dans des territoires sur lesquels la couronne d'An- gleterre exerçait sa souveraineté, le uploads/S4/ habeas-corpus 1 .pdf
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- Publié le Jui 18, 2022
- Catégorie Law / Droit
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