L'influence du Code Napoléon de 1804 sur les systèmes juridiques arabes et musu
L'influence du Code Napoléon de 1804 sur les systèmes juridiques arabes et musulmans1 Par Georges Saad, maître de conférences, Université libanaise Contribution prononcée lors du colloque de la faculté de droit de Grenoble (participation financée par l’AUF, bureau de Beyrouth). Avec le Code civil de 1804 les règles juridiques de l’Ancien régime furent entièrement modifiées puisque ce Code a tenu compte des transformations fondamentales de la Révolution: la disparition de la féodalité, la garantie des libertés personnelles, l’égalité des citoyens devant la loi et la laïcité2. Mais le Code civil a renforcé l’autorité paternelle dans la famille, et réduit la condition de la femme et des enfants et le droit de propriété, pour les citoyens, fut sacralisé. Toutefois le droit français a évolué radicalement depuis. Je traite ici de la réception du Code Napoléon dans les systèmes juridiques arabes et musulmans. Le titre est bien trop ambitieux. Je tente de lancer quelques idées à ce sujet. Je survolerai deux pôles essentiels, dialectiquement liés: la bonne réception et la mauvaise réception du Code civil dans le monde arabe. 1ère partie : La bonne réception du Code civil A- Un accueil formidable dans le monde arabo-musulman L’influence du code napoléonien et en général du droit français sur les régimes juridiques des pays arabes a déjà fait l’objet d’une contribution brillante rendue par le Professeur libanais Pierre Gannagé dans le cadre des travaux de l’Association Henri Capitant sur le thème « la circulation du modèle juridique français »3. Monsieur Gannagé cite justement plusieurs références de travaux ayant étudié la question de la réception du droit français au Proche-Orient4. Bien qu’il évoque dès le début l’influence du code napoléonien, il insiste sur le fait que l’influence juridique réciproque existait 1 - Ce travail représente la communication que j’ai présentée lors du colloque organisé par la Faculté de droit de Grenoble sur le thème "Code civil et droits de l'homme" les 3-4-5 décembre 2003. 2 - Les avis sont partagés sur le lien entre le Code civil et les droits fondamentaux. Certains auteurs posent des interrogations sur ce lien. C'est la position du professeur Xavier Martin lors du colloque "Code civil et droits de l'homme"; communication à paraître dans les Actes de ce colloque qui s'est tenu les 3, 4 et 5 décembre 2003, organisé par le Centre historique et juridique des droits de l'homme de la Faculté de droit de Grenoble II. Voir l'article de l'auteur "fondements politiques du Code Napoléon", Revue trimestrielle de droit civil (RTC), avril-juin 2003. 3 - Litec, 1994. entre l’Occident et les Etats d’Orient. Il signale l’influence de l’enseignement de Beyrouth sur la codification de Jusitinien5 (travaux de P. Collinet, in Mélanges Huvelin, op.cit. p. 75 s.). Sous les Ottomans, dans les régions libanaises et syriennes s’appliquaient les règles juridiques de l’empire. Mais l’empire ottoman avait beaucoup emprunté aux systèmes juridiques occidentaux6. Sous l’influence d’intellectuels libéraux l’empire avait commencé à prendre un autre visage. Aprèsdes tentatives échouées faites par le sultan Mahmoud II (1809-1839) l'état des lieux va changer sous ses successeurs Sélim III en 1839 où les codifications napoléoniennes vont frayer leur chemin et vont inspirer la plupart des codes ottomans. Sauf en droit civil où la "Medjalla" codifiait le droit hanafite. Au niveau juridictionnel les tribunaux ottomans étaient organisés à la manière française. Plus tard les Ottomans vont beaucoup emprunter au droit français (larges emprunts aux codes de commerce, pénal, procédure civile). Ce n’est qu’en 1932 que la Medjalla cessa de s’appliquer au Liban et en 1949 en Syrie. La France comme puissance mandataire essaya de moderniser davantage le droit civil libanais7. Ce fut fait mais avec des limites dans le domaine du droit des personnes et de la famille (statut religieux) ; par contre une ouverture s’établissait en matière de successions, du régime des biens et des obligations. Monsieur Gannagé signale en même temps les légères infiltrations du code napoléonien en droit de la famille (comme l’acte de fiançailles conclu en dehors de la participation de l’autorité religieuse)8. En ce qui concerne le droit des biens le code libanais de la propriété foncière, et en dehors de la survivance de la loi ottomane comme l’institution de « wakf »9, adopte largement les catégories juridiques du droit français (régime de bornage, théorie des servitudes..). Jean Chevallier note qu’au Liban, si infiltration il y a en matière de statut personnel, il s’agit au contraire d’une véritable réception en matière de droit 4 - Citons : Jean-Marc Mousseron, « la réception au Proche-Orient du droit français des obligations », Rev. Int. Dr. Comp. 1968, p. 37 et s. "L’influence du code civil dans le monde", semaine internationale organisée par l’Association Henri Capitant (notamment l’article de Jean Chevallier sur le Liban et la Syrie), éd. Pedone, 1954; Le droit libanais, Livre du vingt- cinquième anniversaire de l’Ecole française de droit de Beyrouth, Sirey, 1938 et Le droit libanais, cinquantenaire de l’U.S.J. tome 1, p. 2, LGDJ, Paris, 1963. Voir aussi le rapport introductif du Professeur Philippe Ardant, à l’ouvrage « La circulation du modèle juridique français", op. cit. 5 - Influence de l’école de Beryte dans la rédaction du Digeste. Monsieur Mousseron signale l’influence des juristes proche-orientaux du VI siècle sur la renaissance du droit romain dans les pays occidentaux au X11 siècle (cité par Gannagé, op.cit. p. 254.) 6 - Par exemple les réformes de Soliman 1er le Magnifique au XVI siècle. 7 - L’influence du droit français au Liban ne commence pas avec le mandat français bien entendu. Signalons seulement que l’Ecole française de droit de Beyrouth a été établie depuis 1913, et des juristes français étaient chargés de la préparation des divers codes. 8 - Ainsi que dans la loi successorale du 23 juin 1959 régissant seulement les non- musulmans où l'emprunt au code civil français a touché surtout les modes de preuve : Gannagé, op.cit. p 255. 9 - Qui sert à immobiliser un bien dans un but pieux mais qui, selon le professeur Gannagé, « est détournée de sa finalité première pour tourner l’application de la loi successorale ». des obligations et des contrats. Là il s’agit presque d’une copie, et dans la formulation et dans le contenu. La première partie et la deuxième partie consacrées aux obligations et aux contrats sont inspirées directement du Code napoléon, sans pour autant supprimer toute survivance du droit ottoman et non sans une certaine libanisation « dans les images, voire les paraphrases » (Gannagé, op. cit. p. 258). Alors qu’en France la doctrine perd de son importance au sein des décisions jurisprudentielles, au Liban les juges continuent de se référer souvent à des auteurs français, dont les emprunts sont cités en français dans une décision rédigée en langue arabe bien entendu, même si dans la plupart des cas les références concernent surtout des auteurs et des textes plutôt anciens10. De plus on emprunte le style français (manière de raisonner). Concernant le droit égyptien, pour Mohammaed el Sayed Arafa11, en 1937, le législateur égyptien était plus libre de choisir. Il s’est retourné vers la France pour plusieurs raisons : une affinité existante déjà; études poursuivies en France par de nombreux étudiants égyptiens; enfin l’Egypte ne voulait pas du système allemand (coloration nazie) ni anglo-saxon, trop jurisprudentiel et spécial. L’auteur estime que l'emprunt à des codes français n’est nullement dû à la colonisation mais puisque c’est un bon droit (codifié, clair et précis). C’est à cette période que le code civil dans sa forme codifiée (calqué sur le code napoléonien) va voir le jour12. Ainsi le code civil égyptien est largement inspiré du droit français (principes, terminologie, qualifications). Mais des différences existent : le statut familial est considéré en Egypte comme étant partie indépendante d’inspiration religieuse (comme au Liban pour le code la famille). Mohammad el Sayed Arafa montre certaines influences des codes allemands sur le nouveau code civil égyptien notamment sur la définition du contrat : on s’en tient aux volontés déclarées et non comme en droit français on scrute les volontés réelles des parties (art. 1134 les conventions doivent être exécutées de bonne foi..)13. En Egypte de grands juristes ont établi des codes d’inspiration française (code civil de 1948) grâce à de grands juristes tel le grand Sanhoury. Puis dans un mouvement d'emprunt inter-arabe ces codes ont été adoptés dans de nombreux pays arabes, y compris ceux de tendance anglo-saxonne. A noter cependant le recul du Code Napoléon dans certains pays arabes ayant subi l’influence marxiste et nassérienne. Et il est évident que la renaissance d fondamentalisme islamique ne pouvait que freiner l’application des règles du 10 - Et ce dans toutes les branches de droit d’ailleurs : droit administratif (Maurice Hauriou, Gaston Jèze, et bien sûr Marcel Waline), droit du travail (Brun et Galland, Rouast et Durand), droit civil, etc.. 11 - In « la circulation du modèle juridique français », préc., p. 238 etc. 12 - Promulgué le 15 octobre 1949. 13 - La circulation du modèle juridique français, op cit..p 243. droit civil libéral (Arabue Séoudite, Yémen, Soudan, et certains pays du Golfe). A noter uploads/S4/ l-x27-influence-du-code-napoleon-de-1804-sur-les-systemes-juridiques-arabes-et-musulmans.pdf
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- Publié le Oct 03, 2022
- Catégorie Law / Droit
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