1 « LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ET LA PROBLÉMATIQUE DES DROITS DE L’HOMME

1 « LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ET LA PROBLÉMATIQUE DES DROITS DE L’HOMME » Parfait OUMBA INTRODUCTION « Les conflits ont souvent pour cause profonde l’absence de protection des droits de l’homme, il importe pour les prévenir, d’assurer une promotion et une protection effective de ces droits »1. La Cour internationale de justice en qualité d’organe judiciaire principal des Nations Unies a eu l’occasion à plusieurs reprises de se prononcer sur des aspects touchant aux droits de l’homme. Elle l’a fait par voie consultative2 , mais aussi par voie contentieuse3 . Ainsi, au cours de ses nombreuses décisions, elle a eu l’occasion de rappeler que le respect des droits de l’homme est une obligation internationale qui engage tous les Etats. Dans le cadre des interventions de la Cour en matière des droits de l’homme, plusieurs appréciations peuvent être faites quant à leur incidence tant sur les Etats, sur les organisations et institutions internationales ou sur la communauté internationale en général. De ce fait, quelle évaluation pouvons nous faire du rôle de la Cour internationale de justice en matière de protection des droits de l’homme ? Partant, nous réfléchirons d’abord sur l’efficacité de son action au regard du droit international (I), nous envisagerons ensuite les limites de son intervention en matière des droits de l’homme (II). I- UNE CONTRIBUTION DECISIVE EN MATIERE DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME Lors de ses interventions en matière des droits de l’homme, la Cour se fonde souvent sur le noyau central de l’activité des Nations Unies à savoir la Charte internationale des droits de l’homme, constituée par la Déclaration universelle des droits de l’homme, des deux Pactes de 1966 et des protocoles facultatifs y relatifs. Outre ces textes fondamentaux, il y a aussi de nombreuses conventions protectrices des droits de l’homme. Toutefois, la Cour internationale de justice ne s’est pas contentée seulement des textes existant, elle s’est aussi lancée dans l’élaboration de certaines normes de caractère contraignant, pour assurer une meilleure protection des droits de l’homme (A). Il conviendra également de souligner que les 1Affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Rec., 1996, p. 612. 2CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, Rec., 2004, p. 60. 3 CIJ, Affaire de la Barcelona traction, light power company, limited (Belgique c / Espagne), arrêt du 5 février 1970, Rec., 1970, p. 32 §33 2 interventions de la Cour participent largement à la protection de la notion de dignité humaine (B). A- L’élaboration des normes contraignantes en matière des droits de l’homme La Cour internationale de justice au cours de ses interventions a élaboré plusieurs normes contraignantes applicables en matière de droits de l’homme, il s’agit de la norme de jus cogens et des obligations erga omnes. A.1. La norme de jus cogens Consacrée par la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, la notion de jus cogens est imprécise sur le plan juridique, même si l’article 53 de la Convention de Vienne tente de lui donner une définition officielle. Selon cet article : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme de droit international ayant le même caractère »4. Le jus cogens a un caractère universel et s’applique au profit de tous les membres de la société internationale, il s’agit d’une sorte d’ordre public international, c’est-à-dire la défense d’un intérêt général qui s’impose à l’intérêt particulier des Etats. La Convention de Vienne de 1969 n’énumère pas de façon exhaustive les cas de jus cogens dans ses articles. Cependant, la Commission de droit international s’est limitée à en donner quelques exemples, nous allons en mentionner sans tenir compte d’un ordre de préférence ou hiérarchique, il y a par exemple : - certains principes de droit humanitaire - le principe de non-intervention, - la souveraineté des Etats, - le respect de la parole donnée (principe pacta sunt servanda), - le règlement pacifique des différends, - le respect du droit diplomatique et consulaire, 4A. D. OLINGA, « La notion de dignité en droit international des droits de l’homme, principe d’unification ou prétexte à manipulation ? » Cahier de l’UCAC n°1 : Dignité humaine en Afrique, Yaoundé, PUCAC, 1996, pp. 233-234. 3 - l’illicéité du génocide, de l’esclavage, de la traite et la piraterie, - le principe de la responsabilité et la réparation du dommage causé à autrui, - l’autonomie de la volonté des Etats et la liberté contractuelle en conformité avec le droit international, - le respect du standard minimum dans le traitement accordé aux étrangers. Le jus cogens frappe de nullité tous les traités qui ne s’y soumettent, et l’article 64 de la Convention de Vienne de 1969, dispose que si une nouvelle norme de droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et n’a plus de force juridique. Sans utiliser le terme de jus cogens, la Cour internationale de justice s’est prononcée pour la première fois sur cette notion dans un arrêt du 5 février 1970, en affirmant qu’« une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats »5. Neuf ans plus tard, la Cour ajoute dans une Ordonnance du 15 décembre 1979, « qu’aucun Etat n’a l’obligation d’entretenir des relations diplomatiques ou consulaires avec un autre Etat, mais qu’il ne saurait manquer de reconnaître les obligations impératives qu’elles comportent et qui sont maintenant codifiées dans les Conventions de Vienne de 1961 et de 1963 auxquelles l’Iran et les Etats- Unis sont parties »6. La consultation de la jurisprudence de la Cour internationale de justice, permet de constater qu’il existe, parmi les règles de droit humanitaire auxquelles une portée coutumière est reconnue de longue date, des principes dotés d’une autorité particulière. C’est ainsi que dans l’affaire relative aux activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua contre Etats- Unis, fond); la Cour a considéré que « le comportement des Etats-Unis pouvait être apprécier en fonction des principes généraux de base de droit humanitaire dont, à son avis, les Conventions de Genève constituent à certains égards le développement et qu’à certains égards elles ne font qu’exprimer »7. En effet, la Cour internationale de justice estime que les principes du droit international humanitaire contenus à l’article 3 commun aux Conventions de Genève « constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier »8. 5 CIJ, Détroit de Corfou, arrêt, fond, arrêt du 9 avril 1949, Rec., 1949, p. 21. 6 Ibidem. 7CIJ, Personnel diplomatique et consulaire des Etats Unis à Téhéran, arrêt du 24 mai 1980, Rec., 1980, p. 42 et 43. 8CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Rec., 1986, p. 112. 4 En cela, elle reprend l’observation générale n° 24 du Comité des droits de l’homme selon laquelle « les dispositions du Pacte qui représentent des règles du droit international coutumier (a fortiori lorsqu’elles ont le caractère de normes impératives) ne peuvent faire l’objet de réserve »9. Malgré une certaine ambiguïté et une hésitation dans la mise en œuvre des normes de jus cogens, il faut noter que celles-ci sont d’une portée capitale. L’évolution en faveur de l’existence de règles de jus cogens est certainement irrésistible, parce qu’elle répond à une nécessité du monde international d’aujourd’hui : la promotion des valeurs morales, comme celles de la solidarité et de la dignité humaine, en faisant du respect de certaines obligations fondamentales par chacun des Etats, l’affaire de tous. A.2. Les obligations erga omnes Les obligations erga omnes sont un corpus de normes juridiques qui ont un effet contraignant et qui s’appliquent à l’égard de tous les Etats. Elles ont été consacrées pour la première fois dans un arrêt du 5 février 197010 de la Cour internationale de justice. La Cour dans cette décision a déclaré en substance que l’obligation de respecter un certain noyau dure des droits de l’homme - duquel découlent notamment de la mise hors la loi des actes d’agression, du génocide, des principes et règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale – correspond à une obligation erga omnes, et que cette obligation incombe à tout Etat vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble. Il faut avouer que l’opposabilité des obligations erga omnes aux Etats bat en brèche le volontarisme et l’interétatisme, le juriste ne peut uploads/S4/ la-cour-internationale-de-justice-et-la-problematique-des-droits-de-l-x27-homme.pdf

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  • Publié le Mar 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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