BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle D’après Montesquieu, « Le juge est la bo

BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle D’après Montesquieu, « Le juge est la bouche de la loi ». Cependant, dans la pratique, le juge permet la concrétisation des normes générales supérieures, tout en interprétant des textes de loi ou en se fondant sur une disposition non-écrite. Il est ainsi créateur de droit, en ce qu’il découvre un certain nombre de règles, à la visée jurisprudentielles et à caractère général. En effet, le pouvoir normatif du juge administratif lui permet de dégager des principes non écrits auxquels doit se conformer l'action administrative, et de lui donner son sens en l’interprétant. Parmi ceux-ci, la catégorie la plus importante est celle des principes généraux du droit. Ces « principes généraux » sont la principale source non-écrite du droit administratif, représentée par des règles de droit obligatoire pour l'Administration, et dont l'existence est affirmée de manière prétorienne par le juge. Pourtant indispensables, les PGD s'inscrivent mal dans la classification des sources de droit, et donc au sein de la hiérarchie des normes, de laquelle dépend la notion d’État de droit, que le doyen Cornu définit comme étant « une situation résultant, pour une société, de sa soumission à un ordre juridique, excluant l’anarchie et la justice privée ». Problématique : Quelle place convient-il de reconnaître aux PGD, au regard de la hiérarchie des normes juridiques, garante de l’État de droit ? Pour répondre à cette problématique, il convient d’aborder dans une première partie la légitimité garantie des PGD (I), puis dans un second temps, les problèmes juridiques posés par les PGD au regard de l’État de droit (II). I. La légitimité garantie des PGD A. Les PGD au regard de l’histoire Avant 1945, la notion de PGD est déjà présente dans le droit positif, puisque le Conseil d’État utilise déjà certains principes non-écrits. Il recourt alors essentiellement aux principes de base de la législation positive, essentiellement issus de la Révolution française. Ainsi les arrêts s’inspirent souvent des principes d'égalité des citoyens devant la loi ou de la liberté du commerce et de l'industrie. De même, le Conseil d'État consacre le principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Puis, 1945 voit la fin d’une crise des libertés publiques commencée 1 BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle en 1940, crise qui a conduit le Conseil d'État à affirmer de manière plus certaine et solennelle les PGD. L'arrêt Aramu (CE 26 octobre 1945) tient ici une place fondamentale. Le Conseil d'État fixe la portée de la disposition d’après laquelle la commission d'épuration se doit d’entendre les personnes qui lui sont déférées. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’un arrêt rendu l’année précédente (CE, 05 mai 1944, arrêt Dame veuve Trompier-Gravier). Il apparaît ainsi que pour interpréter une disposition législative, le Conseil d'État utilise expressément la notion d'un PGD applicable en dehors de tout texte, en l'espèce, le principe des droits de la défense. Cet arrêt inaugure une jurisprudence de principe essentielle, aux termes de laquelle les PGD sont formellement intégrés dans la légalité. La théorie des PGD devient alors une théorie fondamentale en droit français. Cependant, on ne saurait donner de liste complète des PGD affirmés en jurisprudence. Il est possible toutefois, en s'inspirant d'une distinction faite par le doyen Rivero, de faire apparaître certaines catégories. B. Une classification diverse des PGD - Les principes exprimant la tradition politique de 1789 C'est d'abord le principe de la liberté et du respect des droits du citoyen. C'est ensuite le principe d'égalité avec ses formes multiples : égalité devant les services publics (CE, 09 mars 1951, Société des concerts du conservatoire) + égalité devant la loi (CE, 07 février 1958, Syndicat des propriétaires de chênes-lièges d’Alger) + égalité devant l'impôt (CE, 22 février 1974, Association des maires de France). C'est encore le principe de sécurité juridique avec les principes des droits de la défense selon lequel tout individu menacé d'une sanction doit pouvoir la discuter et en connaître les griefs. - Les principes relatifs aux droits du travail. On peut, à cet égard, mentionner l'interdiction de licencier une femme enceinte caractérisée pas l'arrêt Dame Peynet (CE, 08 juin 1973) et le droit à une rémunération au moins égale au SMIC pour les agents non-titulaires de la fonction publique par l'arrêt Aragnou (CE, 23 avril 1982). 2 BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle - Les principes relatifs à la justice Le recours en annulation (parmi lesquels on trouve le recours pour excès de pouvoir – arrêt Lamotte) + les obligations de motiver les jugements + la possibilité pour le justiciable de se faire représenter + le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs (CE, 25 juin 1948, arrêt Société du journal de l’Aurore) + le principe selon lequel un réfugié politique ne doit pas être remis à son pays d'origine (dernier PGD consacré. Il constitue une grande garantie en droit international). - Les grands principes qui dominent l'activité administrative Le principe de continuité des services publics (CE, 13 juin 1980, arrêt Bonjean) ou le principe de droit de grève dans la fonction publique (CE, 07 juillet 1950, arrêt Dehaene). II. Les problèmes juridiques posés par les PGD au regard de l’État de droit A. La nature juridique des PGD Les PGD sont considérés comme des éléments certains de la légalité, puisqu’ils ont une force obligatoire. Un acte administratif qui a méconnu un tel principe peut faire l'objet d'une annulation, et (ou) entraîner la mise en cause de la responsabilité de l'Administration. On doit souligner aussi que les PGD sont utilisés par le juge dans l'interprétation de certaines lois. Sans doute, une loi peut méconnaître un PGD et le juge a le devoir d'appliquer la loi, mais il arrive souvent que le Conseil d'État, prenant en considération l'existence d'un PGD, donne alors de la loi une interprétation très stricte, de nature à limiter ou écarter la méconnaissance du principe (interprétation neutralisante). L'exemple le plus connu est l’arrêt du 07 février 1950, dit Dame Lamotte. Dans cet arrêt, le Conseil d'État a estimé qu'une loi « interdisant tout recours à l'encontre de certaines décisions », n'avait pas pour effet d'écarter le recours en excès de pouvoir, « recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif et qui a pour effet d'assurer, conformément aux PGD, le respect 3 BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle de la légalité ». À l'heure actuelle, la doctrine a tendance à reconnaître aux PGD la qualité d'actes jurisprudentiels. Sans doute, peut-on observer que le juge ne présente jamais les PGD comme relevant de son propre fait, puisqu’il affirme constamment dans ses arrêts qu'il « constate », « découvre » l'existence de ces principes et, effectivement, chaque fois que la chose est possible, il les rattache à des textes législatifs ou encore à des dispositions insérées dans les déclarations des droits. Il s'agit plutôt d'une éthique formulée par le juge, lequel s'inspire d'éléments très variés : dispositions législatives, droit interne, conceptions philosophiques, morales et politiques à la base de tout système juridique. B. La question de la valeur juridique des PGD Cette question a reçu au cours du temps plusieurs réponses. Sous la IIIème et IVème République, les PGD ont une valeur législative (arrêt « Syndicat des propriétaires de chênes-lièges d’Alger »). Cette affirmation a été remise en cause avec le système constitutionnel de 1958, dans laquelle a été défendue la thèse de la valeur constitutionnelle des PGD. Le doyen Vedel estimait qu’ils étaient une « coutume constitutionnelle reposant sur la conviction que les principes étaient nés de leur consécration par de nombreux textes dans l'histoire ». Ces analyses ne sont plus valables aujourd'hui, compte tenu de la réponse formulée par le publiciste René Chapus (De la valeur juridique des PGD et des autres règles jurisprudentielles du droit administratif, 1966), qui soutient la thèse selon laquelle les PGD ne se situeraient ni au niveau constitutionnel, ni législatif, mais plutôt « à un niveau infra-législatif et supra-décrétal », étant donné que le juge administratif peut annuler les règlements administratifs, ce qui n’est pas le cas des lois. Si cette thèse permet d'expliquer que les règlement sont tenus de respecter les PGD mais pas la loi, elle ne correspond pas à la place théorique du juge dans la séparation des pouvoirs. Cependant, à l’heure actuelle, la valeur des PGD demeure très discutée, mais on s’accorde sur leur valeur supra-règlementaire. Par ailleurs, il faut regarder chaque PGD pour en estimer sa valeur : certains ont une valeur législative (ex : le principe de l’interdiction de licencier une salariée enceinte – arrêt Dame Peynet), tandis que d’autres sont tirés du bloc de constitutionnalité, ce qui conduit à leur 4 BISSON Amandine CHARGHINOFF Emmanuelle reconnaitre une valeur constitutionnelle (ex : droit de la défense – arrêt Aramu) Ouverture potentielle (s’il reste du temps) : Le Conseil constitutionnel produit, lui aussi, un certain nombre de principes dans la sphère de sa compétence. Ces principes ont une valeur supra-législative et infra-constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel n'emploie pas l'expression « PGD » mais de principes de valeur constitutionnelle. Si en théorie, persiste le risque selon lequel le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel se uploads/S4/ la-legitimite-des-pgd-et-l-x27-etat-de-droit.pdf

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  • Publié le Fev 07, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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