1 Faculté de droit et de science politique de Rennes Licence 2 (LZ), année 2022
1 Faculté de droit et de science politique de Rennes Licence 2 (LZ), année 2022-2023, semestre 1 Droit pénal général, cours de Laurent Rousvoal La qualification pénale du fait Première approche L’application de la loi pénale suppose la qualification juridique des faits. Cette opération essentielle à la vie du droit consiste à subsumer un fait sous une notion juridique. Pour le dire plus simplement, elle passe par la confrontation du fait à une (ou des) notion juridique pour déterminer si le fait correspond ou non à ladite notion. Ce faisant, la qualification juridique du fait est l’opération par laquelle un passage s’opère du fait au droit, de la réalité matérielle (deux personnes vivent en couple) à la réalité juridique (mariage / PACS / union libre). En d’autres termes, la qualification juridique est un pont jeté entre deux mondes distincts, le fait et le droit, qu’il faut cependant articuler pour que l’un, le droit, gouverne l’autre, le fait. Le droit se saisit ainsi du fait, le revêtant d’une qualification juridique pour, ensuite, y attacher les effets de droit correspondants. Par exemple, si c’est un mariage (qualification), alors les devoirs et droits que la loi prévoit pour les époux s’appliquent (régime juridique applicable à la qualification retenue). Pour le dire autrement, si le fait correspond à la notion juridique X, alors le fait est qualifié X, permettant l’application du régime juridique de X. En droit pénal, une opération de qualification juridique du fait consiste dans la qualification pénale du fait commis par l’agent. Il s’agit de confronter ce fait à une (ou plusieurs) incriminations pénales telles que celles-ci sont posées par la loi ou, pour les contraventions, le règlement. Le but est de savoir si ce fait constitue ou non une infraction et, si oui, laquelle. L’enjeu tient à l’application ou non du régime juridique que la loi attache à une infraction – ainsi des peines encourues. La rigueur avec laquelle l’opération doit être réalisée par les acteurs de la procédure, le juge notamment, est un devoir qui procède du principe de légalité criminelle. Parce que c’est à la loi qu’est réservé le pouvoir de décider des incriminations, un fait ne peut être qualifié infraction que s’il correspond à la définition que la loi donne de celle-ci. S’il y a une correspondance parfaite entre fait et incrimination, l’infraction peut être retenue – puis, sous réserve d’autres conditions1, son régime juridique appliqué. S’il n’y a pas une telle correspondance, le fait ne contenant pas toutes les données que la loi prévoit pour la constitution de l’infraction, cette infraction est exclue – ce qui interdit d’envisager l’application du régime juridique que la loi lui attache. Par exemple, pour déterminer si Gustave a commis un meurtre en laissant sciemment Raoul, tombé accidentellement à l’eau, se noyer, il faut confronter cette séquence matérielle à la définition juridique du meurtre simple2 (C. pén., art. 221-1) : « le fait de donner volontairement la mort à autrui ». 1 La responsabilité pénale suppose certes une infraction mais cette condition, nécessaire, n’est pas suffisante : il faut encore vérifier la condition d’imputabilité. Ainsi, il est des infractions qui ne pourront pas être punies. V. développement à venir sur l’imputabilité. 2 Le meurtre simple est le meurtre non assorti d’une circonstance aggravante. Il est défini par l’article 221-1 du Code. Dans les pages qui suivent, le mot « meurtre » vise le meurtre simple. 2 En l’occurrence, le meurtre supposant un acte positif de violence (cf. « donner »), la correspondance manque : l’acte de Raoul est une omission. En réalité, l’opération est un peu plus compliquée. Cela tient à ce que l’incrimination n’est pas une notion réduite à une seule condition : elle articule une série de données, toutes nécessaires à la consommation de l’infraction. Pour utiliser une analogie mathématique, l’incrimination « meurtre » est une forme factorisée qui ne peut être appliquée comme telle : il faut d’abord développer la formule, en distinguant chacune des composantes qui en font partie. De manière générale, la loi subordonne la consommation de l’infraction à la réunion d’une condition préalable et d’éléments constitutifs. Mieux : les éléments constitutifs se décomposent, selon la théorie classique, en un élément matériel et un élément moral. Plus encore, l’élément matériel peut, par exemple et si la loi en décide ainsi, associer à l’acte un résultat avec, alors, un lien de causalité courant de l’acte au résultat. Par conséquent, pour savoir si le fait correspond parfaitement à l’incrimination, il n’est pas possible de raisonner de manière globale, au niveau de l’incrimination en son entier : il faut se placer d’abord au niveau de chaque donnée particulière qui intervient dans la définition légale de l’infraction. Dans un premier temps, il faut raisonner, non sur l’incrimination entière, mais sur la condition préalable puis l’acte constitutif, le résultat constitutif (si la loi le prévoit)… C’est seulement après ces qualifications de détail, confrontant une partie du fait à un élément de la notion juridique, qu’il sera possible de conclure l’opération de qualification en se plaçant au niveau global de l’incrimination envisagée en son entier. Autrement dit, l’opération de qualification se décompose en une série d’étapes successives. Elle suit une démarche analytique sans laquelle la synthèse finale est impossible : c’est parce que toutes les données que la loi inclut dans la définition de la notion « meurtre » sont présentes dans le fait observé que l’on peut conclure que ce fait constitue un meurtre. Suivons cet exemple pour mieux comprendre. Soit le fait suivant : Adolphe a provoqué la noyade de Bérenger qu’il a sciemment jeté à l’eau après l’avoir assommé. Ce fait peut-il être qualifié meurtre ? Pour le savoir il faut confronter le fait à la définition légale du meurtre figurant à l’article 221-1 du Code pénal : « le fait de donner volontairement la mort à autrui ». Problème : le meurtre n’est pas une notion simple, qui pourrait être réduite à une donnée ; la loi le définit, au contraire, par l’association d’une série de données, toutes exigées : une condition préalable (« autrui »), un élément matériel (l’acte de « donner la mort », le résultat qu’est « la mort » et un lien de causalité directe entre les deux) et un élément moral (une intention coupable supposant que l’agent recherchait la mort de la victime : « volontairement »). Par conséquent, il est impossible de répondre immédiatement à la question posée : le fait d’Adolphe peut-il être qualifié « meurtre » ? Au contraire, pour pouvoir répondre, il faut d’abord décomposer l’opération de qualification en une série de questions, comme autant d’étapes préalables à la réponse finale qui est attendue. En l’occurrence, cinq questions particulières doivent être envisagées : 1° tel que défini par la loi, le meurtre prend pour cible « autrui » (une personne humaine, distincte de l’agent, en vie) : Bérenger est-il « autrui » ? 2° le comportement d’Adolphe correspond-il à l’acte défini dans l’article 221-1 du Code pénal (« le fait de donner la mort ») ? 3° le résultat que la loi exige pour que le meurtre soit consommé (« la mort ») est-il advenu en l’espèce ? Autrement dit, « la mort » se retrouve-t-elle en fait, avec le décès de Bérenger ? 4° La mort de Bérenger est-elle bien la conséquence de l’acte de violence commis par Gustave ? Si oui, le lien de causalité exigé par l’article 221-1 existe. Dans le cas inverse, ledit lien manque de sorte qu’il y a un décalage entre le fait et l’incrimination. 3 5° L’état d’esprit d’Adolphe à la date de l’acte forme-t-il l’intention coupable exigée par l’article 221-1 (la recherche de la mort de la victime) ? Parce que l’analyse de la définition légale du meurtre fait ressortir cinq données dont la réunion est nécessaire à la consommation de cette infraction, il faut rechercher si le fait étudié présente ces cinq caractères. Si l’un seul manque, la correspondance entre fait et incrimination n’est pas parfaite : le fait ne peut pas être qualifié meurtre. Si, à l’inverse, le fait réunit ces cinq données, la correspondance est totale entre fait et incrimination de sorte que la qualification peut a priori être retenue. Dans mon exemple, on dira alors que le fait d’Adolphe peut être qualifié meurtre – phrase dans laquelle on retrouve la structure théorique qui caractérise l’opération de qualification du fait : 1° le fait, 2° le droit (« meurtre »), 3° le rapport de correspondance entre l’un et l’autre (« qualifié »). Ainsi, la qualification pénale du fait suppose de procéder point par point, pas à pas. Un raisonnement global serait porteur d’approximations qui sont autant de sources d’erreurs. Il faut isoler les données dont la somme constitue la notion juridique puis vérifier, pour chacune de ces données séparément, si le fait y correspond ou non. Certes, une réponse négative pour une donnée nécessaire permet d’arrêter immédiatement l’opération : si cinq données sont nécessaires et que l’examen de la première montre son absence, il n’est pas utile de uploads/S4/ la-qualification-penale-du-fait-1ere-approche-l2-dpg-ak-22-23.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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