1 Séminaire doctoral La thèse en droit et la méthode interdisciplinaire Françoi

1 Séminaire doctoral La thèse en droit et la méthode interdisciplinaire François OST ost@fusl.ac.be 1. Une bonne thèse = une bonne question. ……….Quelle est la question de votre thèse ? ( pas le thème, la question) - // méthode socratique : poser des questions, dans le cadre de ce qu’on appelle une « recherche » (et pas un inventaire, une compilation) ; maïeutique, accoucher des prises de conscience - // Descartes, commencer par douter ; toute science commence par un refus, en tout cas une perplexité - on suspend l’évidence du monde. - Moi : « à quoi sert le droit ? ». L’ampleur des réponses est à la mesure de la radicalité de la question (le droit pourrait-il ne servir à rien, que se passerait-il en cas de disparition du droit ?). - une thèse ne peut être originale que si elle interroge l’état de l’art ; c’est toute la différence entre une thèse et un manuel. L’écriture de thèse ne se contente pas de décrire, mais problématise et ensuite explique. - il arrive qu’à la défense de thèse, on doive poser au candidat la question : « mais au fond, quelle est votre question ? ». - un thésard rencontre beaucoup de doutes durant l’écriture de sa dissertation doctorale ; il faut soigneusement les formuler, les mettre par écrit. C’est sans doute ce qu’il y a de plus scientifique dans la thèse (éviter une écriture trop lisse). - la traversée du désert de la thèse n’est supportable que si l’on est animé d’une passion ; comment se passionner pour un travail de compilation de solutions (manuel) ; seule la résolution d’une énigme, l’affrontement d’une vraie question procure une motivation à long terme. - les questions restent ; les réponses passent. Une bonne question fait voir les choses autrement, oriente le débat et les méthodes à venir, met une problématique à l’agenda de la collectivité de recherche.Il peut y avoir un vrai effet de rupture, dans une discipline, par une très bonne question. A la différence du fait de proposer une nouvelle variante de réponse à une question connue - qui ne fait que poursuivre le bavardage convenu de la discipline – une bonne question peut s’apparenter à un acte de force, une « prise de parole », comme on « prend le pouvoir » ( // avec « révolution « scientifique de Kuhn). - dès qu’on prend conscience de la lutte des paradigmes, on accepte le caractère « questionnable » de son objet et de ses thèses (leur caractère virtuellement problématique, au moins aux yeux d’autres perspectives) ; on prend conscience du caractère « construit » de son objet et des caractères, fonctions, justifications qu’on lui prête, et donc on se rend compte de la nécessité ou de le justifier si on s’y tient, soit de l’interroger si on le met en doute. (Ces affirmations reposent sur une philosophie du langage (le sens est fonction d’une herméneutique et d’une pragmatique) et d’une épistémologie (la science n’est pas reflet du réel, mais production d’un sur-réel, non pas science des faits, mais science d’effets , et cela au terme de controverses entre paradigmes, de sorte que la chose est cause) 2 2. Une bonne question = repérage d’une « anomalie » infirmant un paradigme (Th. Kuhn). Quel est le paradigme structurant votre sujet ? Quelle est votre anomalie, dans votre sujet ? Théorie des paradigmes (Thomas KUHN, La structure des révolutions scientifiques, 1962) : - définition du paradigme : au sens sociologique ( « tout ce à quoi adhère une communauté scientifique donnée »), au sens épistémologique ( 4 composantes : idées-forces, valeurs, vision du monde, images et métaphores) - = la carte et la boussole - l’anomalie = ce qui déjoue cette attente, infirme cette prédiction - science normale / anomalie / crise/ révolution scientifique : Galilée, Copernic (révolution copernicienne) : astronomie héliocentrique plutôt que géocentrique ; Freud et les rebuts de l’inconscient (rêves, lapsus, actes manqués) ; le tournant pragmatique ; décroissance et paradigme croissanciel. - ex : dans le paradigme de la pyramide : les boucles étranges : le pouvoir du parquet (opportunité des poursuites), le pouvoir des cours constitutionnelles 3. Une science vivante accepte de remettre en question ses paradigmes, à partir des anomalies, et une bonne thèse contribue à ce travail. - trois types de réactions à l’égard des anomalies : Quelle est votre position, celle de votre promoteur, de votre labo ? pourquoi ? Comment la doctrine juridique ou le législateur réagissent-ils aux « anomalies » qu’ils auraient entrevues ? - accueil enthousiaste et hâtif ( Belley, droit soluble ; Teubner, droit hétérarchique), - déni : hypothèses ad hoc (règles européennes, = droit sui generis), obstacles épistémologiques (refouler le pouvoir créateur des juges en le disqualifiant ; minimiser le droit auto-régulé en le rapportant à 1134) = attitude paresseuse, inertie (// étoiles mortes) - recherche d’un paradigme nouveau : droit en réseau, polycentrique, pluraliste, soft law, gouvernance, régulation, concurrence des normativités. = 3è voie, se mettre au travail en prenant l’anomalie au sérieux tout en cherchant à faire résister le paradigme en vigueur. Le nouveau s’avérera sans doute doté d’une portée explicative plus large. L’ancien gardera une portée explicative « régionale ». NB : facteur explicatif de l’adoption de telle ou telle attitude : sociologie des sciences et des positions universitaires. - sciences au sens faible et sciences au sens fort : - la doctrine juridique comme science au sens faible (déni de l’anomalie). - elle est au moins autant un savoir faire (un art, une pratique) qu’un faire savoir - elle voudrait être descriptive par ses méthodes, et normative par son objet (neutralité axiologique, science pure et interne, ne s’embarrassant pas de mise en contexte) MAIS elle s’avère aussi normative par ses méthodes. Elle opère comme source auxiliaire (statuts CIJ, art. 38 ; consultation : qui paie ? le Prince, le marché ; law firms productrice de droit dans certains 3 secteurs ; l’édition juridique, les chaires, …), elle argumente aussi de lege ferenda. C’est cela thinking like a lawyer. - elle voudrait être critique d’art, alors qu’elle occupe la position du souffleur. - son point de vue = interne savant, interne engagé. = demi-science, trop interne pour être objective. Elle est une sorte de technologie juridique appliquée (plutôt qu’uns science du droit) : elle met au point des produits (solutions) et procédés (procédures) susceptibles de répondre à des besoins concrets. - son objectif : moins la vérité que l’utilité pratique (cela renvoie à la question des intérêts sous-jacents à chaque discipline, cf. Habermas, Science et intérêt : utilitaire, émancipatoire, …) - Exemple : survie du modèle de la propriété comme droit exclusif et permanent accompagné du droit d’exclure et du droit de détruire, et ce malgré la multiplication des exceptions (de 2 à 70 pages entre les éditions de 1839 et de 1897 de Aubry et Rau). Idem pour le dogme de l’autonomie de la volonté et de la convention-loi. - NB : évolutions de la doctrine : - spécialisation au lieu de vision globale (hyper-information) - accélération au lieu de l’intemporalité (dictature de l’urgence, feuillets mobiles, numérisation ; quel temps pour la réflexion ?) - inflation de l’édition et des analyses au lieu de concision (publish or perish, qualité en baisse) - consultants mercenaires et diversifiés (au lieu de l’indépendance des « hommes de loi ») XXXXXXXXXXXXXXXXX Exercice : - Expliquez le sujet et la question de votre thèse en trois minutes . Cf. ma thèse en 180 secondes. - Expliquez votre thèse à un canadien ( droit comparé), à un juriste du XVIIIe siècle ( histoire du droit) ; à un sociologue, à un ami non juriste - Repérez les controverses doctrinales, jurisprudentielles, parlementaires à propos de votre sujet ; querelles superficielles ou engageant des enjeux plus profonds ? - Demandez-vous si votre sujet présente des résonances, voire des analogies, dans d’autres branches du droit ? - Identifier l’écart, dans votre sujet, entre Law in books et Law in action. … Ces différents exercices auront comme effet d’ébranler vos certitudes, de problématiser des éléments qui vous paraissaient évidents. Ainsi une réflexion s’amorce : - comment votre sujet s’énonce-t-il en termes sociaux ? - quelle formulation plus ou moins équivalente reçoit-il en droit comparé, dans l’histoire du droit ? - comment est-il vécu dans la pratique ? - de quel niveau de controverses juridiques fait-il l’objet : cosmétiques de détail ou déstabilisantes ? … votre sujet reçoit différents éclairages et aussi différentes dimensions ; vous commencez à penser en couleurs et en trois dimensions.Il se peut qu’il apparaisse insignifiant, sans réelle portée ; à l’inverse, il se peut qu’il engage des questions plus larges, insoupçonnées, qui, de proche en proche, interroge une institution entière, une branche du droit, une certaine perspective juridique (positiviste, par exemple). Bien entendu, on attend de vous un traitement juridique de la question, mais vous êtes maintenant en mesure de reformuler la question, de la poser en des termes plus larges et 4 aussi plus pertinents, mieux uploads/S4/ la-these-en-droit.pdf

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  • Publié le Apv 28, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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