1 Le juge de l’administration et la régulation des marchés publics au Sénégal I

1 Le juge de l’administration et la régulation des marchés publics au Sénégal Introduction La dynamique d'intégration économique en Afrique s'est résolument inscrite dans une perspective de promotion, par le droit, d'une économie de marché à l'échelle sous régionale. En effet, l'économie de marché n'a jamais signifié l'absence de droit, même dans la conception la plus minimaliste de l'encadrement juridique de l'économie1. Elle est née du droit et demeure encadrée par ses instruments et ses exigences2. C'est pourquoi, l'UEMOA a entrepris un programme régional de réforme visant à instaurer dans le domaine spécifique de la passation des marchés publics, des pratiques de bonne gouvernance économique permettant aux États membres d'assurer l'efficience3 de la dépense publique. Dans ce cadre, des textes communautaires spécifiques au droit des marchés publics ont été adoptés : la directive n° 04/2005/CM/UEMOA portant procédure de passation, d'exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service publics et la directive n° 05/2005/CM/UEMOA portant contrôle et régulation des marchés publics et délégation de service public. En application de ces directives, le Sénégal, en tant qu’État membre de l'UEMOA, s'est doté d'une nouvelle législation prévoyant des réformes institutionnelles, de nouveaux modes d'action et de régulation destinés à promouvoir la transparence du processus de passation et l’exercice du contrôle juridictionnel des marchés publics. Désormais, les exigences de performances et d'efficacité vont constituer le substrat d'un nouveau standard de bonne administration. Avec elles, le respect du droit et la régularité procédurale n'offrent plus à l'administration « une méthode pour se présenter comme un monde à part4 », dont le fonctionnement ne serait pas « caractérisé par le souci de performance5 ». A travers ses références à l'efficience et à la performance qui demeurent a priori étrangères au 1.Dans les thèses de Hayek, le droit est le garant de l’absence d’interférence des pouvoirs dans l’exercice individuel des libertés. En cela, certes sous forme négative, le droit demeure nécessaire V. F Hayek, Droit, législation et liberté, 3t, réed. PUF, coll « Quadrige », 1995, spéc. 4 premier tome, Règles et ordre. 2. Descoings Richard, « la nécessité d’une réflexion générale et croisée sur la régulation » in Frison-Roche Marie Anne, les régulations : légitimité et efficacité, Dalloz, Paris, 2004, p. 09 3. L’efficience consiste à atteindre des objectifs économiques avec peu de dépenses réalisées. C’est aujourd’hui un des principes au regard duquel on apprécie le fonctionnement des administrations publiques. 4. Caillosse Jacques, « le droit administratif contre la performance publique ? » AJDA, n° 3, 20 mars 1999, p 197. 5. Ibidem 2 langage ordinaire du droit et des juristes6, le droit des marchés publics repose sur une nouvelle axiologie7 qui « doit sa promotion et sa fortune aux logiques managériales, aussi qu'aux activités de communication des entreprises »8. Dès lors, deux modèles normatifs différents vont sous-tendre l'activité des acheteurs : la rationalité juridique porteuse d'un impératif de régularité des conduites et du respect des règles en matière de passation, et la rationalité managériale porteuse d'un impératif d'efficacité socio-économique. Le droit devient alors la boussole des marchés publics et, le droit des marchés publics apparaît dès lors comme un droit dont la légitimité dépend de la preuve de l'accompagnement de performances escomptées9. La réforme du système des marchés publics décidée par la Commission de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), qui a conduit à l’adoption des directives n°04/2005/CM/UEMOA du 9 décembre 2005 portant procédure de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service publics et n°05/CM/UEMOA du 9 décembre 2005 portant contrôle et régulation des marchés publics et des délégations de service public, a été donc une opportunité pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire10 d’ajuster leur réglementation en érigeant la fonction régulation en un nouveau pan de l’action publique. Au regard de ces considérations et, en application de la directive de l'UEMOA du 09 décembre 200511, des pays de ladite organisation ont été amenés à créer des organismes de régulation des marchés publics. Le Sénégal, en ce qui le concerne, s'est doté d'une autorité de régulation des marchés publics12, laquelle constitue la principale nouveauté du code des marchés publics de 200713. Cette autorité de régulation des marchés publics est une autorité administrative indépendante, différente des administrations classiques qui reposent sur le lien de la hiérarchie. Ce type d'organisme ainsi qualifié se développe de plus en plus dans les économies et, est souvent perçu comme des manifestations de la régulation juridique14. L'autorité de régulation des marchés publics comporte, en son sein, un comité de règlement de 6. Ibidem, 7Chevallier Jacques, « La juridisation des percepts managériaux », in Revue politique et management public, vol 11, n° 04, dec. 1999 pp : 111-134. 8 Cantillon Guillaume, « L’achat public, un outil au service de l’Etat régulateur », in RFAP, 2010 /2 n° 134, p.341 9. Ibidem, p. 342 10. La Côte d’Ivoire s’est alignée sur les exigences de l’UEMOA par l’édiction du décret n°2009-259 du 6 août 2009 portant nouveau Code des marchés publics et du décret n°2009-260 du 6 août 2009 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP). 11Directive n° 05/CM /UEMOA de 2005 du 09 décembre 2005. 12. Decret n° 2007-546 portant organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation des marchés publics, 02 juin 2007 p. 2938 et S 13. Gueye Babacar, en phase avec les directives de l’UEMOA, un revue des marchés publics n° 05 novembre 2011, p 24 14. N Decoopman , « A propos des autorités administratives indépendantes et de la déréglementation », J. CLAM, G. MARTIN (dir), Les transformation de la régulation juridique, LGDJ, « Droit et société, Recherches et travaux », vol 5, 1998, p.249 ? 3 différends15, notamment ceux surgissant à l'occasion de la passation des marchés publics. Ainsi, les soumissionnaires qui s'estiment lésés du fait de la non prise en compte du droit des marchés publics dans ses dispositions procédurales, peuvent adresser leur requête au comité de règlement qui joue un rôle para juridictionnel. Cependant, l'autorité de régulation des marchés publics reste tout de même une autorité administrative, certes, détachée de la tutelle hiérarchique mais qui ne reste pas moins attachée au placenta administratif de l'État. C'est pourquoi, le contrôle juridictionnel de ses décisions par le juge de l’administration s'impose. Il apparaît comme une garantie du respect des droits des soumissionnaires injustement évincés. Le régulateur n'étant pas une autorité judiciaire, ses décisions doivent être évaluées par les tribunaux16. La cour suprême, par son contrôle, est amenée à s'intéresser au domaine économique et s'y mouvoir, et par conséquent, à réguler le régulateur. Le juge de l’administration est défini, du point de vue organique, comme l'institution qui dans l'architecture institutionnelle judiciaire, est chargée de juger les litiges opposant l'administration aux administrés ; du point de vue matériel, il est le juge qui, comme nous l'avons dit plus haut, a vocation à trancher les contentieux administratifs conformément au droit administratif, droit de l'administration et dérogatoire au droit commun17. Cependant, le juge civil est considéré comme juge de l’administration dans des circonstances particulières où il est amené à trancher des conflits l’administration aux administrés. Dans cette réflexion, nous ne nous intéresserons à l’office du juge civil, mais plutôt à celui du juge naturel de l’administration. Au Sénégal, du fait de l'unité de juridiction18 à la base et dualité de contentieux, il existe deux types de juges de l’administration aux compétences différentes : il s'agit du tribunal de grande instance19 et de la Cour suprême. Le tribunal de grande instance est considéré comme le juge de droit commun pour l'ensemble des contentieux. De ce fait, il intervient dans tous les contentieux, y compris le contentieux administratif, mais précisément, dans le cadre du plein contentieux encore appelé contentieux des droits et dans le cadre duquel le requérant demande au juge de condamner l'administration à réparer 15. L’article 18 du décret n° 2007-546 dispose que « le CRD, .structure placée, auprès de l’ARMP est chargé du traitement des litiges. » 16.Coulibaly Adama, Analyse de la concurrence et de la régulation en Afrique : cas du Sénégal et du Mali, Thèse, Dakar, dec. 2013, p. 218. Voir Autin, Jean Louis, « du juge administratif aux autorités administratives indépendantes : un autre mode de régulation », RDP 1988, p. 1213 17 Tribunal des Conflits, 13 février 1873, Blanco 18. ;Kanté Babacar, Unité de juridiction et droit administratif : l’exemple du Sénégal, Thèse, Université d’Orléans, juillet 1983, p.2. Voir également Alioune Badara Fall, La responsabilité extracontractuelle de la puissance publique au Sénégal : essai de transposition des règles de droit administratif français dans un pays d’Afrique noire francophone, Thèse, Université de Bordeaux 1, janvier 1994, p. 243 ;Voir enfin F. P. Benoit, le droit administratif français, Dalloz, Paris 1968, p 321 19 La loi n ° 2014-26 du 03 novembre 2014 abrogeant et remplaçant la loi 84-19 du 02 février 1984 fixant l’organisation judiciaire remplace l’expression tribunal régional par celle de tribunal de grande instance. 4 le fait dommageable. Par contre la Cour suprême, conformément à la loi n° 2008-75 du uploads/S4/ le-juge-de-l-administration-et-la-regulation-des-marches-publics-au-senegal-pdf.pdf

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  • Publié le Dec 27, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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