1 ANNUAIRE FRANÇAIS. DE. RELATIONS. INTERNATIONALES (AFRI) Paris, 2009, Volume
1 ANNUAIRE FRANÇAIS. DE. RELATIONS. INTERNATIONALES (AFRI) Paris, 2009, Volume X, pp. 993-1020 "Le rôle des acteurs non-étatiques dans le respect du droit international humanitaire" Michel Veuthey1 Le respect du droit international humanitaire : de plus en plus complexe : Lʼimportance croissante de lʼinfluence des acteurs non-étatiques2 dans les affaires internationales nʼest plus à démontrer : que ce soit dans le domaine des communications, de la protection de lʼenvironnement, de la défense des droits de lʼhomme, de lʼassistance humanitaire, de lʼaide au développement, de la mobilisation de lʼopinion publique, voire de lʼinfluence sur les Etats pour la codification du droit international public,3 sans oublier la sécurité nationale et internationale.4 1 L’auteur tient à remercier vivement Bertrand Loze, son Assistant au Bureau de liaison de l’Institut International de Droit Humanitaire (IIDH) de Genève, pour sa précieuse collaboration dans la finalisation de l’article et l’élaboration de sa structure, ainsi que sa nièce Claire Veuthey pour la version anglaise du résumé. 2 Voir la définition donnée par la Commission des Communautés Européennes dans une communication au Conseil, au Parlement Européen et au Comité Economique et Social du 7 novembre 2002 (COM (2002)598 final) citée par François Rubio, « Perspectives historiques de l‘impact des acteurs non étatiques sur la rédaction des traités internationaux » in Yadh Ben Achour/Slim Laghmani (Dir.), Acteurs non étatiques et droit international. Colloque des 6, 7 et 8 avril 2006, Paris, Pedone, 2007, 398 p., ad pp. 65. Original anglais disponible en ligne : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/en/com/2002/com2002_0598en01.pdf (cf. §1 et 2 p. 5) ; Voir aussi le rapport officieux du National Intelligence Council (NIC), Nonstate Actors : Impact on International Relations and Implications for the United States. Washington, DC, 2007, 7 p. En ligne : www.fas.org/irp/nic/nonstate_actors_2007.pdf. 3Voir notamment l’article de Jessica Matthews, « Power Shift. The Age of Nonstate Actors », Foreign Affairs, January/February 1997, pp. 50-66. Et celui de Steve Charnovitz, « Nongovernmental Organizations and International Law », AJIL, Vol. 100 (2006), pp. 348-372. 4 Le Vice-Secrétaire à la Défense, M. Gordon England, a signé le 1er décembre 2008 une directive de 12 pages « DoDD Nr 3000.07, December 1, 2008 « Irregular Warfare » (IW) » soulignant que la guerre irrégulière (contre-terrorisme, contre-insurrection) est stratégiquement aussi importante que la guerre conventionnelle entre Etats. Cette réorientation avait déjà été formulée en juin 2008 dans un document officiel intitulé Stratégie de la défense nationale, approuvé par le Secrétaire à la Défense, M. Robert M. Gates. « Dans l’avenir, gagner la guerre irrégulière contre les mouvements extrémistes et violents sera 2 Le respect du droit international humanitaire – qui oblige également des acteurs non-étatiques, en particulier lʼArticle 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 19495 – nʼa pas échappé à cette influence croissante de la société civile tant sur le plan national quʼinternational, face à des Etats parfois défaillants,6 parfois aussi vacillant7 dans leur volonté de respecter des instruments essentiels du l’objectif central des Etats-Unis », soulignaient les auteurs de ce rapport. Voir les textes originaux de la Directive et du Rapport : www.dtic.mil/whs/directives/corres/pdf/300007p.pdf. www.defenselink.mil/pubs/2008nationaldefensestrategy.pdf. 5 Georges Abi-Saab, « The specificities of humanitarian law » in Christophe Swinarski (Dir.) Etudes et essais sur le droit internationl humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l'honneur de Jean Pictet, Genève, CICR, 1984, 1143 p., pp. 265-280 et particulièrement p. 269. La question de savoir si les instruments des Droits de l’Homme lient non seulement les Gouvernements mais aussi les acteurs non-étatiques n’est pas encore aussi claire. Voir notamment à ce sujet (dans l’ordre chronologique de publication) : Lindsay Moir, The Law of Internal Armed Conflict, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 306 p. et spécialement pp. 193-277 ; Christian Tomuschat, « The Applicability of Human Rights Law to Insurgents Movements » in Horst Fischer/Ulrike Froissart/Wolff Heintschell von Heinegg (Dir.), Krisensicherung und Humanitärer Schutz – Crisis Management and Humanitarian Protection. Festschrift für Dieter Fleck, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2004, pp. 573-591 ; Philip Alstopn (Dir.). Non-State Actors and Human Rights. Oxford, Oxford University Press, 2005, 400 p. ; et aussi Andrew Clapham, Human Rights Obligations of Non- State Actors, Oxford, Oxford University Press, 2006, 648 p. Le 26 octobre 2008, la Troisième Commission (Affaires sociales, humanitaires et culturelles) de l’Assemblée générale des Nations Unies a entendu plusieurs Rapporteurs spéciaux souligner les responsabilités des acteurs non-étatiques pour la protection des droits de l’homme : M. Olivier De Schutter, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, M. Anand Grover, Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, M. John Ruggie, Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises. 6 Voir Serge Sur « Sur les ‘Etats défaillants’ », Commentaire, no 112, hiver 2005, en ligne : www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0502-SUR-FR-2.pdf. 7 Voir le résumé public de 29 pages d’un rapport confidentiel de la Commission des forces armées du Sénat américain (Armed Services Committee. U.S. Senate. “Senate Armed Services Committee Inquiry into the Treatment of Detainees in U.S. Custody.”) En ligne : www.fas.org/irp/congress/2008_rpt/detainees.pdf. Ce résumé cite à deux reprises le Mémorandum du Président George W. Bush en date du 7 février 2002 déniant toute protection en vertu des Conventions de Genève, y compris leur Article 3 commun, aux Talibans capturés. M. Alberto Gonzales, Conseil juridique de la Maison Blanche (Administration G.W. Bush), avait déclaré, dans un Mémorandum du 25 janvier 2002, contre l’avis du Secrétaire d’Etat Colin Powell, les Conventions de Genève « obsolete » (désuètes) et « quaint » (bizarres) et préconisa l’emploi de la torture. Voir notamment les avis contraires de Steven R. Ratner, « The Geneva Conventions are obsolete » Foreign Policy, mars-avril 2008, pp. 26-32, disponible en ligne : http://isites.harvard.edu/fs/docs/icb.topic283413.files/geneva%20conv.pdf, et Michel Veuthey, “Disregarding the Geneva Conventions on the Protection of War Victims” in Kevin 3 droit international humanitaire comme les Conventions de Genève de 1949.8 La représentation traditionnelle de la guerre est celle de deux armées étatiques qui sʼaffrontent. Cette vision ne correspond plus à la réalité de la plupart des conflits contemporains, où conflits entre Etats et conflits avec des acteurs non-étatiques coexistent,9 ces derniers étant les plus nombreux et les plus virulents.10 Les Etats restent certes les dépositaires de la souveraineté. Ils doivent néanmoins compter de plus en plus avec les acteurs non-étatiques dans lʼexercice de cette souveraineté11 et dans lʼaccomplissement de leur responsabilité individuelle et collective de « respecter et faire respecter » le droit international humanitaire « en toutes circonstances » conformément à lʼArticle Premier commun aux Conventions de Genève de 1949.12 Le droit international humanitaire contemporain fait partie du droit M. Cahill (Dir.) “Traditions, Values, and Humanitarian Action” New York, A joint publication of Fordham University Press and The Center for International Health and Cooperation, New York, 2003, pp. 276-304. 8 Les textes des Conventions de 1949 et de leurs Protocoles additionnels sont disponibles en ligne sur le site du CICR : www.cicr.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/genevaconventions. 9 Voir Robert Gates, Secrétaire américain à la Défense, « A Balanced Strategy. Reprogramming the Pentagon for a New Age », Foreign Affairs, January/February 2009, en ligne : www.foreignaffairs.org/20090101faessay88103/robert-m-gates/how-to-reprogram-the- pentagon.html, et aussi Département fédéral des Affaires étrangères, « Guerre asymétrique et droit international humanitaire, possibilités de développement », Annexe 3 du Rapport de politique étrangère 2007 Berne, DFAE, 16 pages. Voir : www.admin.ch/ch/f/ff/2007/5301.pdf. Voir aussi Toni Pfanner, « Les guerres asymétriques vues sous l’angle du droit humanitaire et de l’action humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge. Sélection d’articles à propos du droit international humanitaire, Genève, 2005, pp. 259-288. Disponible en ligne : www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/review-857-p149/$File/irrc_857_Pfanner.pdf. 10 Voir Uppsala Data Conflict Program, graphique sur les conflits par type (1946-2007) : www.pcr.uu.se/research/UCDP/graphs/type_year.gif. 11 Voir Mary Kaldor, « The idea of global civil society » Martin Wight Memorial Lecture, University of Sussex, 31 October 2002, texte disponible en ligne (le 2 décembre 2008) : www.lse.ac.uk/Depts/global/Publications/PublicationsProfKaldor/TheIdeaofGlobalCivilSocie tybyMaryKaldor.pdf. 12 Voir notamment sur cet article Laurence Boisson de Chazournes/ Luigi Condorelli, « L'article premier commun aux Conventions de Genève revisité : protéger les intérêts collectifs », RICR, Mars 2000, Vol. 82, No, 837, pp. 67-87. Voir www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/html/5FZGNC. 4 international public ; il est, à ce titre, essentiellement un droit interétatique. Les acteurs non-étatiques sont néanmoins de plus en plus présents dans ce que nous pourrions appeler les sept phases du respect du droit humanitaire (codification, ratification, application, mise en œuvre, sanction, réparation, réconciliation), que ce soit en influençant la conduite des Etats ou par leurs propres actions. I. Participation d’acteurs non-étatiques à toutes les étapes du respect du droit international humanitaire : I.A. Lʼétape fondamentale de la codification : Le droit international humanitaire contemporain est essentiellement né de la société civile, de lʼinitiative dʼun citoyen genevois, Henry Dunant, et de lʼaction des femmes de Solférino. Puis, dès sa fondation en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), témoin des besoins des victimes sur le terrain, a proposé des projets de textes à des experts. Le CICR fit dʼabord appel à des juristes et à des experts militaires, consultés à titre personnel,13 puis à des représentants de Sociétés nationales de uploads/S4/ le-role-des-acteurs-non-etatiques-dans-le-respect-du-droit-international-humanitaire.pdf
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- Publié le Jul 02, 2022
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