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http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 98 Chapitre II – Les pouvoirs du juge pénal dans l’inexécution des conventions. 96. Le corpus d’incriminations concernant directement ou indirectement l’exécution de la convention demeure important, malgré quelques mesures de dépénalisation. L’abus de confiance est bien sûr l’exemple qui vient spontanément à l’esprit de chacun : l’infraction est constituée si le bien est détourné alors qu’un contrat obligeait à le restituer. Les obligations de payer les créanciers sont garanties grâce à des infractions aussi diverses que le faux monnayage ou la banqueroute dont la dépénalisation en 1985 fut très relative1. Le contrat de société est protégé, par exemple, par l’abus de bien social, le contrat de consommation, par les infractions de fraudes et de tromperies. Le droit pénal du travail contient de nombreuses obligations pénalement sanctionnées concernant l’hygiène ou la sécurité. Les infractions de violence ou d’homicide involontaire peuvent intervenir en cas de dommages survenus au cours d’un contrat de transport, d’une convention de soins ou à la suite d’un contrat de construction mal exécuté. De nombreux professionnels tels que les médecins, les avocats ou les commissaires aux comptes se voient imposer des obligations au secret. Cette liste n’est qu’un faible aperçu. Ces infractions en grand nombre sont la manifestation d’un retour au droit et d’une responsabilisation des contractants, en particulier des professionnels qui doivent mener leurs activités avec prudence et probité2. Ici encore, le critère de l’équilibre marque de son empreinte le champ d’action du droit pénal : la sanction pénale est souvent encourue lorsque l’un des contractants a profité de l’ignorance de l’autre, de ses connaissances particulières ou de sa puissance économique, pour se permettre des défaillances dans l’exécution du contrat. La force obligatoire de la convention s’impose plus énergiquement au contractant dominant – sorte de « noblesse oblige » - et, en imposant l’exécution de nombreuses obligations auxquelles les contractants n’auraient pas pensé a priori, le juge pénal peut participer au mouvement de « forçage du contrat »3, largement perceptible en droit civil. Le juge civil a ainsi pu imposer de nombreuses obligations de sécurité ou d’information aux contractants afin de rééquilibrer les conventions. Les obligations d’information sont largement relayées par le droit pénal4 ; il en est de même des obligations de sécurité, par exemple, et le juge pénal n’en reste pas là puisque bien d’autres obligations sont envisageables. Pourtant, l’effectivité de ces nombreuses dispositions n’atteint pas les niveaux que pourrait laisser attendre une telle profusion de textes ; le contentieux est d’autant plus réduit que les dispositions présentent un caractère récent et technique. Les victimes ignorent parfois leurs 1 Voir infra n° 132. 2 Voir supra n° 18. Ces exigences croissantes effraient tant les professionnels que l’expression paradoxale de « risque pénal » connaît un certain succès ; on la retrouve ainsi comme intitulé d’un ouvrage destiné aux professionnels : L’entreprise et le risque pénal : infractions réprimées, Publications fiduciaire, Paris, 1996. Voir aussi J.-P. Antona, P. Colin, F. Lenglart, La prévention du risque pénal en droit des affaires, Dalloz 1997 ; C. Heurteux, Prise de risque par l’entrepreneur et droit pénal, in Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz 1997, p. 169. 3 Expression célèbre de L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H. 1933, chron. p. 89. 4 Voir supra n° 63 et s. http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 99 droits et les juridictions, passablement encombrées, hésitent peut être à se lancer dans de nouveaux contentieux tant que les plaintes et les besoins ne se font pas pressants. Il demeure que l’omniprésence du droit pénal a permis de policer les pratiques, parfois de façon un peu inattendue. La société se contractualise, la loi s’élaborant de plus en plus fréquemment autour d’un consensus5. L’individualisme crée le désir chez chacun de fixer sa propre norme ou de se voir appliquer une norme particulière, en parfaite harmonie avec ses besoins et ses aspirations. Par ailleurs, il n’est plus question pour quiconque de subir les conséquences des activités, voire de la cupidité des autres ; les personnes faibles s’organisent et les actions de groupes (de consommateurs, de syndicats, …) sont désormais possibles. Il devient indispensable et urgent, pour tout professionnel, de connaître parfaitement la réglementation en cours ; faire savoir à ses clients qu’il porte la plus grande attention à leur droit devient même un argument publicitaire. L’ensemble de ces facteurs contribue à l’émergence de conventions, chartes, codes, élaborés par des secteurs professionnels de plus en plus nombreux et garantissant la « bonne conduite » de chacun des adhérents : ceux-ci s’engagent à respecter la loi dont les dispositions sont fréquemment rappelées dans ces conventions, ainsi que des stipulations particulières que le corps professionnel a jugé bon d’édicter. Le juge pénal peut connaître de nombreuses inexécutions contractuelles qui font l’objet plus ou moins directement d’incriminations pénales (section 1). Certaines inexécutions de conventions non incriminées peuvent-elles intéresser le juge pénal ? En effet, il convient de se demander si les juridictions répressives ont la possibilité de sanctionner l’inexécution des conventions d’autodiscipline qui, pour la plupart, contiennent de nombreuses dispositions rappelant ou complétant le droit pénal des conventions (section 2). 5 Voir supra n° 1. http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 100 Section 1 – Le juge pénal et l’inexécution incriminée par la loi pénale. 97. Dans certaines conditions, l’activité du juge pénal vient sanctionner une inexécution contractuelle. Quelles sont les exigences communes du juge pénal et du juge civil ? Plusieurs points de convergence entre inexécution contractuelle et droit pénal sont envisageables : on peut penser qu’une sanction pénale serait utile lorsque l’inexécution de la convention trouble l’ordre public ou bien lorsque c’est une obligation de résultat qui est inexécutée. L’intervention du juge pénal est-elle recommandée lorsque la défaillance du contractant intéresse l’ordre public ? Ce critère semble peu éclairant puisque le juge civil est lui-même chargé de la protection de l’ordre public. Il est vrai cependant qu’une sanction pénale de la force obligatoire des conventions avait été envisagée dès l’antiquité6. « La violation du contrat apparaissant comme le non-respect d’un devoir moral, susceptible de troubler l’ordre social, les conditions de l’intervention du droit pénal semblent réunies »7. Violation d’un devoir moral, en effet, puisque la confiance du créancier est déçue ; trouble de l’ordre social puisque l’inexécution déjoue les prévisions économiques et crée une forme d’insécurité juridique. Mais il n’existe pas de sanction pénale de la violation de l’article 1134 du Code civil qui édicte la force obligatoire des conventions8. Le principe contemporain de légalité criminelle interdirait une incrimination aussi large9. L’intervention du juge pénal est-elle fonction du type d’obligation contractuelle inexécutée ? L’intensité de l’obligation, que les auteurs ont pu qualifier de « moyens » ou de « résultat », ne semble pas avoir d’influence sur le rôle du juge pénal10. Si une incrimination sanctionne une inexécution contractuelle, celle-ci pourra être de résultat (restituer un objet préalablement confié pour l’abus de confiance) ou de moyens (l’omission de porter secours est utilisée en matière médicale où la convention est réputée, en matière civile, ne comporter pour l’essentiel que des obligations de moyens). L’inexécution de l’obligation contractuelle, quelle que soit son intensité, devra toujours être démontrée dans l’éventualité où cette inexécution constitue le résultat pénal de l’infraction ou l’un de ses éléments matériels. Il en est de même en matière civile : comme en droit pénal, la démonstration de l’inexécution devra toujours être rapportée devant le juge civil, puisqu’elle constitue le dommage. La distinction entre obligation de moyens et de résultat ne joue qu’en droit civil, lorsque l’inexécution est traitée par le système de la responsabilité contractuelle ; elle module les exigences de preuve : la recherche d’un fait générateur de cette inexécution, intervenu dans la sphère d’autorité du contractant défaillant, est obligatoire si l’obligation transgressée est de moyens, alors que si l’obligation est de résultat, la seule inexécution suffit pour la mise en œuvre du régime de 6 Deprez, Rapport sur les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en droit civil et commercial français, Travaux de l’association Capitant, T. XVII, 1964, p. 31. 7 M. Muller, L’inexécution pénalement répréhensible du contrat, thèse Paris II, 1977, n° 1. 8 M. Muller, préc., n° 1. 9 M. Ancel, L’inexécution des contrats et le droit pénal, rapport général, Travaux de l’association Capitant, T. XVII, 1964, p. 294. 10 Contra : M. Muller, préc., n° 12 et s. http://droit.wester.ouisse.free.fr Convention et juridiction pénale - 1999 101 réparation. Pour le juge pénal, cette distinction civiliste des obligations contractuelles ne connaît pas d’écho. Les exigences de preuve ne sont pas dictées par l’intensité de l’obligation mais par le nombre d’éléments définissant l’infraction. Ces critères de l’atteinte à l’ordre public ou de l’ampleur de l’obligation inexécutée sont inopérants. Comme en matière de formation de la convention, la juridiction pénale peut intervenir dans le domaine de l’inexécution contractuelle si des textes d’incriminations sanctionnent ces exécutions défectueuses11. Cette évidence ne suffit pas à cerner avec précision le champ d’action du juge répressif. L’étude attentive des points de rencontre du droit contractuel et uploads/S4/ 3-droit-penal-des-contrats-inexecutions-incriminees-n-96-et-s-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 30, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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