Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2018 p.1635 L'annulation d'une sentence arbitrale
Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2018 p.1635 L'annulation d'une sentence arbitrale sur le fondement d'une loi de police étrangère Mathias Audit, Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université de Paris 1) Un vent nouveau semble souffler sur la jurisprudence française en matière de contrôle des sentences arbitrales internationales. Ce n'est encore qu'une brise légère, car les décisions marquant cette nouvelle tendance sont pour l'heure en nombre restreint, mais on ne peut exclure qu'elle soit appelée à s'amplifier, tant on perçoit une certaine détermination en ce sens de la chambre 1 du pôle 1 de la cour d'appel de Paris. Depuis 2014 cette chambre a, en effet, entendu renouer avec un contrôle plus substantiel de la conformité des sentences arbitrales à l'ordre public international (1). Avec le présent arrêt MK Group prononcé le 16 janvier 2018 (2), non seulement cette même chambre s'inscrit dans ce même mouvement, mais en outre elle paraît entendre réconcilier le droit de l'arbitrage international avec le droit international privé, dont il est historiquement issu tout en s'en étant très largement émancipé depuis bien longtemps. Non seulement l'arrêt MK Group maintient un contrôle renforcé de l'ordre public international, mais en outre il s'appuie à cet effet sur des concepts empruntés à la science du conflit de lois : de loi de police étrangère et de fraude à la loi également étrangère. En l'espèce, aux fins d'exécution d'un contrat minier conclu en 2003 avec le gouvernement du Laos, puis renouvelé en 2009, une co-entreprise de droit laotien, dénommée Dao Lao, a été constituée par la société russe MK Group et une société laotienne appelée Geo Lao Consultant. En 2010, la société russe a conclu avec Onix, une société ukrainienne cette fois, un pacte de cession de 60 % de ses titres, rachat financièrement appuyé par Financial Initiative, une société également de nationalité ukrainienne. Ce pacte contenait une clause compromissoire prévoyant un arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce internationale (CCI). Il soumettait, par ailleurs, la cession de titres à divers engagements de la société Onix relatifs à son investissement dans les travaux d'exploration minière à conduire. En 2011, MK Group, Onix et la société laotienne ont conclu un protocole d'accord avec le ministère du plan et de l'investissement et le ministère des ressources naturelles et de l'environnement, entérinant les différentes décisions prises quant à la recomposition du capital social de la co-entreprise. Au cours de l'année 2012, Onix a toutefois réclamé divers changements dans les modalités d'exécution des travaux miniers, lesquels lui ont été refusés par ses partenaires. Des désaccords en sont résultés entre les trois actionnaires sur le fonctionnement de la co-entreprise, notamment eu égard au transfert de certaines parts par MK Group à la société Onix. En 2014, MK Group a déposé une requête d'arbitrage auprès de la CCI tendant à obtenir la condamnation des sociétés Onix et Financial Initiative pour violation de leurs obligations de financement et indemnisation de son préjudice. Par une sentence prononcée à Paris le 13 octobre 2015, le tribunal arbitral s'est estimé compétent à l'égard de Financial Initiative et a déclaré que le transfert des parts sociales avait bien été opéré par MK Group à la société Onix en application du pacte, ce dont il résultait que cette dernière société était le propriétaire légitime de 60 % des parts dans la co-entreprise laotienne. La société russe a introduit un recours en annulation contre la sentence arbitrale. Elle en a requis l'annulation de plusieurs chefs, et, en particulier, sur le fondement de la violation par la sentence de l'ordre public international. Ce dernier moyen a été retenu par la cour d'appel de Paris aux fins d'annulation de la sentence du 13 octobre 2015. Toutefois, si la décision repose bien sur une contrariété à l'ordre public international (I), force est toutefois de constater qu'elle convoque également les notions de loi de police étrangère (II) et de fraude à la loi (III). I - Sur l'ordre public international Il est bien connu qu'aux termes de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, le recours en annulation à l'encontre d'une sentence est ouvert lorsque la reconnaissance ou l'exécution de celle-ci « est contraire à l'ordre public international ». Dans la mise en oeuvre de ce chef de contrôle, la cour de Paris semble désormais avoir pris le parti d'un contrôle approfondi, en ce sens que les faits de l'espèce et les motifs retenus par la sentence sont examinés au plus près afin de vérifier si une contrariété à l'ordre public est susceptible de s'être immiscée dans l'affaire en cause. Le risque est à l'évidence qu'un tel contrôle est susceptible de confiner à une révision de la sentence. La cour d'appel ne remet pas en cause ce principe essentiel à l'organisation des relations entre l'ordre juridictionnel français et les tribunaux arbitraux. Force est toutefois de constater qu'elle en redessine le périmètre. L'arrêt précise, en effet, que la mission de la cour d'appel, saisie en vertu de l'article 1520 du code de procédure civile, « est limitée à l'examen des vices énumérés par ce texte ». Il ajoute néanmoins « [qu']aucune limitation n'est apportée au pouvoir de cette juridiction de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question ». Autrement dit, la Cour estime que, pour les besoins du contrôle des vices susceptibles de fonder l'annulation des sentences, et, notamment mais pas exclusivement, l'ordre public international, le pouvoir d'investigation du juge étatique ne connaît pas de réelles limites. Il lui est possible de reprendre l'ensemble des éléments de fait et de droit de l'affaire dont les arbitres ont été saisis. Il en résulte que la révision est possible, mais uniquement pour les besoins du contrôle devant présider aux chefs d'annulation de la sentence. Il est frappant de constater que cette formule est reprise mot pour mot de l'arrêt rendu en 1987 par la Cour de cassation dans la célèbre affaire dite Plateau des Pyramides (3). Comme dans l'arrêt ici commenté, la haute juridiction estimait alors que la révision s'imposait dans le cadre restreint des chefs de contrôle de la sentence, et ce, pour l'ensemble d'entre eux. Par la suite, la jurisprudence a expressément limité la révision au vice d'incompétence arbitrale (4), l'excluant pour le contrôle de l'ordre public international (5). En l'étendant à tous les chefs de contrôle visés à l'article 1520 du code de procédure civile, y compris donc l'ordre public international, la cour de Paris entend assurément marquer une forme de rupture avec la jurisprudence immédiatement antérieure, et revenir ainsi à la solution retenue dans l'affaire Plateau des Pyramides (6). Cette évolution assumée n'est d'ailleurs pas limitée aux modalités du contrôle de l'ordre public international ; elle affecte également son contenu. Traditionnellement, l'ordre public international en matière de contrôle des sentences est entendu comme comprenant « l'ensemble des règles et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans les matières internationales » (7). Or, à ce titre, on conçoit qu'un traité international ratifié par la France puisse en faire partie, à l'instar de Convention des Nations unies contre la corruption signée à Mérida le 9 décembre 2003 que la cour d'appel de Paris a intégrée dans l'ordre public international français à l'occasion de l'arrêt Belokon (8). Dans la présente affaire, c'est toutefois une étape supplémentaire qui a été franchie, puisque c'est une règle de droit international coutumier qui bénéficie désormais des honneurs de notre ordre public international. Il s'agit de la Résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 14 décembre 1962 proclamant la souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles. Comme tout texte de ce type, cette résolution ne s'impose pas en soi aux États ; en revanche, il est possible qu'elle manifeste l'existence d'une règle coutumière de droit international public (9). Or, si l'intégration à l'ordre juridique français d'une convention internationale ratifiée par la France ne fait bien évidemment aucune difficulté, en l'état en particulier de l'article 55 de la Constitution de 1958, celle d'une norme coutumière internationale n'est peut-être pas aussi évidente. Ce n'est toutefois pas l'avis de la cour d'appel de Paris qui estime ici que la Résolution de 1962 et, plus généralement, « les dispositions par lesquelles, dans le respect du droit international, les États expriment leur souveraineté sur leurs ressources naturelles » relèvent de l'ordre public international. Plus encore, on est frappé de constater que la référence à ce texte international est moins une affaire de contenu que de contenant. En d'autres termes, si la cour se fonde sur la Résolution de 1962, ce n'est pas pour l'opposer frontalement à la sentence, mais pour tisser un lien entre la conception française de l'ordre public international français et une loi de police étrangère. II - Sur la loi de police étrangère Il n'est pas si fréquent que la jurisprudence française fonde une décision sur une loi de police étrangère, et moins encore qu'elle y procède en matière de contrôle des sentences arbitrales. Du reste, sur ce dernier point, l'arrêt uploads/S4/ m-audit-l-x27-annulation-d-x27-une-sentence-arbitrale-sur-le-fondement-d-x27-une-loi-de-police-e-trange-re.pdf
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- Publié le Jul 27, 2021
- Catégorie Law / Droit
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