1 Droit civil – L2 – 2013-2014 Cours du professeur Jean-Sébastien Borghetti Mét
1 Droit civil – L2 – 2013-2014 Cours du professeur Jean-Sébastien Borghetti Méthodologie du commentaire d’arrêt Un exercice typique des études droit en France est le commentaire de décision de justice, habituellement nommé commentaire d’arrêt, car il porte presque toujours sur un arrêt de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, ou éventuellement d’une cour (administrative) d’appel. En théorie, cependant, une décision de première instance est également susceptible de faire l’objet d’un commentaire. Seul sera envisagé ici le commentaire des décisions rendues par les juridictions civiles. La raison d’être du commentaire d’arrêt L’importance du commentaire d’arrêt dans les études de droit en France est étroitement liée à la structure particulière des décisions rendues par les hautes juridictions, et notamment la Cour de cassation. Les arrêts de la Cour sont en effet très elliptiques. Ils donnent d’ordinaire simplement les faits du litige, la procédure suivie, la règle appliquée et la solution. Le raisonnement suivi par les juges, en revanche, n’est habituellement pas explicité. La décision n’indique ni pourquoi telle règle a été appliquée, ni les raisons de l’interprétation qui en a été donnée. Or, très souvent, le choix de la règle ou son interprétation n’allaient pas de soi dans l’affaire soumise à la Cour (sans quoi les parties ne seraient sans doute pas allées jusqu’en cassation). Le commentaire d’arrêt sert fondamentalement à expliciter la décision qui en est l’objet : il s’agit de déployer le raisonnement suivi par les juges, en expliquant comment ils ont pu procéder des faits à la solution (compte tenu de la question qui était posée par le pourvoi, lorsque la décision est un arrêt de la Cour de cassation) et quelles ont pu être les considérations sous-jacentes à leur décision. De ce point de vue, le commentaire d’arrêt, tel qu’il est traditionnellement pratiqué en France, n’a réellement de sens qu’appliqué aux décisions des juridictions françaises ou statuant « à la française ». Les décisions de juridictions étrangères ou supranationales (CJUE, CEDH), dans lesquelles les juges explicitent leur raisonnement et précisent (plus ou moins) clairement les raisons de leur décision, peuvent bien sûr faire l’objet de commentaires, mais ceux-ci ne sauraient prendre la même forme que ceux des arrêts de notre Cour de cassation. Le commentaire d’arrêt, contrairement à certaines idées reçues, n’est donc pas un exercice purement formel, destiné uniquement à permettre l’évaluation des étudiants. Savoir commenter un arrêt est la preuve que l’on sait le comprendre, ainsi que sa portée et ses ressorts. Or, une telle faculté de compréhension est bien évidemment indispensable pour tous les juristes, qu’il soient avocats, juristes d’entreprise, notaires, juges, etc. Les grandes lignes du commentaire d’arrêt De manière plus concrète, les objectifs essentiels d’un commentaire d’arrêt sont les suivants : - Dégager le sens de la décision, avec précision et exactitude. - Comprendre le raisonnement suivi par les juges. Ce raisonnement est-il correct ? Un autre était-il possible ? Quelles sont les raisons (de technique juridique, mais aussi 2 peut-être de politique juridique) qui ont conduit à choisir ce raisonnement ou cette solution plutôt qu’un autre ? - Déterminer la portée de l’arrêt. Qu’est-ce qu’il apporte ? Quelle est son importance, sa postérité possible ou probable ? Le commentaire est un exercice difficile, qui ne peut être réellement maîtrisé qu’après une longue pratique. Il comporte de nombreux écueils. Les plus fréquents sont les suivants : - Transformer le commentaire en une dissertation ou un exposé de ses connaissances sur le thème de l’arrêt. - Se limiter à une discussion de l’opportunité de la solution (juste / injuste), qui, outre qu’elle tourne parfois à une analyse de type « café du commerce », marque le plus souvent une mauvaise connaissance ou maîtrise du droit. - Faire de la paraphrase : en pratique, c’est le plus grand risque. Le « commentaire » se borne alors à redire ce que dit l’arrêt, sans véritablement expliquer, décortiquer. Le commentaire d’arrêt se coule traditionnellement dans une forme précise : - introduction ; - développement en deux parties comprenant deux sous-parties chacune ; - pas de conclusion. Cette exigence de forme, comme d’ailleurs la plupart des exigences de ce type, n’est pas aussi gratuite qu’elle en a l’air. Elle correspond tout d’abord à une structure de raisonnement fréquente en droit (notion / régime ; explication de la solution / discussion de la solution ; etc.). De plus, elle oblige à organiser ses idées de manière aussi rigoureuses que possible. En tout état de cause, cette structure doit être maîtrisée. Seul celui qui la maîtrise peut, dans un second temps, la dépasser ou s’en départir à bon escient. Comment procéder ? Il faut tout d’abord lire attentivement la décision dans son entier. Tout part de là. Les termes de la décision doivent tous être compris et la définition de ceux qui sont obscurs doit être recherchée (d’où la nécessité de disposer d’un dictionnaire juridique). C’est un effort minimum à faire, sans quoi la décision ne pourra être comprise. Après avoir lu la décision, il est en outre essentiel de commencer à réfléchir par soi-même. Se précipiter tout de suite sur une explication ou un commentaire écrit par un autre est le plus sûr moyen de faire un mauvais commentaire, car on se prive alors de la possibilité de comprendre l’arrêt par soi- même. Les commentaires existant d’une décision peuvent bien sûr être utiles, mais ils ne doivent être utilisés que dans un second temps, afin d’éclaircir des points demeurés obscurs et de vérifier sa propre compréhension de l’arrêt. Après cette étape préliminaire de lecture et d’effort de compréhension de l’arrêt, on peut passer à la réalisation du commentaire proprement dit. Les étapes de cette réalisation sont ici détaillées dans l’hypothèse, de loin la plus fréquente, où le commentaire porte sur un arrêt de la Cour de cassation. 1. Établir une fiche d’arrêt La fiche rassemble tous les éléments nécessaires à l’analyse de la décision. Elle doit permettre de bien comprendre la décision. Elle comporte en principe : - L’identification de la décision : juridiction, date, domaine du droit concerné, texte(s) visé(s), arrêt de rejet ou de censure. 3 - Les éléments de fait. Faire attention à la date. Privilégier la qualification juridique des faits. - Les étapes de la procédure. Arrêt confirmatif ou infirmatif attaqué ? Renvoi après cassation ? Auteur du pourvoi ? - Les prétentions des parties. Il faut à ce stade indiquer qui a pris l’initiative de saisir la juridiction ayant rendu la décision analysée. Il faut également, dans la mesure du possible, identifier les arguments des parties devant cette juridiction. Lorsque la décision analysée est un arrêt de la Cour de cassation, cependant, les arguments du défendeur au pourvoi ne sont en principe pas connus. Quant à ceux du demandeur, ils ne sont normalement indiqués que lorsqu’il s’agit d’un arrêt de rejet, auquel cas il convient d’exposer brièvement les arguments figurant dans le(s) moyen(s) du pourvoi. - Le problème juridique posé. Il s’agit d’identifier la question à laquelle a répondu la juridiction saisie, non pas sous l’angle de l’espèce particulière qui lui était soumise (par ex. : M. X… est-il le vendeur ou le prêteur de la voiture ? ; la dette de M. X est- elle prescrite ?), mais de manière en quelque sorte abstraite, en montrant quelle règle générale était en jeu dans la solution du litige (par ex. : quel est le critère de distinction entre la vente et le prêt ? ; quel est le délai de prescription applicable à une dette issue d’un contrat de vente ?) En principe, la question de droit peut être trouvée en confrontant les positions contradictoires, qu’elles émanent des parties ou des juridictions : ce sont en effet deux réponses différentes à la même question, question qu’il s’agit d’identifier. Il peut y avoir plusieurs problèmes de droit, notamment lorsqu’il y a plusieurs moyens. Il faut alors les identifier tous et voir s’ils sont liés entre eux. - La réponse donnée. Il s’agit d’identifier la réponse donnée par la juridiction saisie à la question de droit qui était posée, en repérant, autant que faire se peut, la règle dont l’application a permis d’aboutir à cette réponse. Il faut aussi préciser la solution concrète qui a été donnée au litige. 2. Élaborer le contenu du commentaire a. Mobilisation des connaissances. Il convient de voir dans quel cadre s’insère l’arrêt, ce que dit le droit, ou ce que disait le droit sur le sujet qui est celui de l’arrêt. Mais il ne faut pas verser dans la dissertation ! Concrètement, il faut faire très attention au(x) texte(s) visé(s) dans l’arrêt, ou à ceux qui auraient pu l’être (notamment quand il s’agit d’un arrêt de rejet). Regarder le cours sur la question, voir quel est l’état de la jurisprudence, avant et après la décision. b. Analyse de l’arrêt. Il s’agit de reconstituer le raisonnement suivi pour aboutir à la solution qui a été retenue. Bien garder en tête que la Cour de cassation juge une décision, et non des faits. Surtout, ne jamais oublier que la uploads/S4/ methodologie-commentaire-arret-borghetti-2013-2014 1 .pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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