Billet – 09/14 Du droit d’être entendu à l’illusion du contrôle (au regard de l
Billet – 09/14 Du droit d’être entendu à l’illusion du contrôle (au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant) Avertissement : ce texte, empreint de naïveté et d’illusion, assigne des propos pouvant être interprétés comme relativement dogmatiques. Toutefois, l’auteure affirme que la tonalité empruntée tout au long de la rédaction est celle, légère, d’un sol majeur et qu’à défaut de fondements solides, il est le reflet lapidaire de quelques improvisations et autres patchworks en cours de rédaction (scientifique cette fois). On ne peut pas ne pas communiquer, disait Watzlawick. La communication est rarement symétrique ; au pire totalement asymétrique, au mieux légèrement complémentaire. La relation entre ceux qui communiquent prédomine sur le contenu et les signaux non-verbaux sur le verbal. Des interprétations, conscientes et inconscientes, s’entremêlent et circulent de l’un dans sa relation à l’autre sans que personne ne puisse réellement définir ou mettre de l’ordre dans ce qui est cause ou ce qui devient effet. Mais : on ne peut pas ne pas communiquer.1 L’objet des discussions et interventions dans les colloques et autres séminaires dans le domaine des droits de l’enfant ne s’éloigne jamais de cette question fondamentale qu’est la communication, non seulement parce que nous nous y rendons à cette fin, mais également et avant tout car elle surgit inévitablement au travers du droit d’être entendu (art. 12 CDE), étroitement lié à l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 CDE). Les concepts qui en découlent, dont celui de la « Participation de l’enfant », sont les fruits de nombreuses interprétations, réinterprétations et surinterprétations dont l’objet porte quelque peu à confusions2, contrairement à cet inlassable sujet qu’est l’enfant. C’est pour lui et de lui qu’on parle, parfois avec lui. Or, ce qu’on oublie parfois, c’est que les principes et concepts que l’on agite de haut à l’égard des enfants sont ceux que l’on pourrait brandir dans toute situation asymétrique plus ou moins accrue, quand bien même la condition des enfants en soi est encore bien différente, cela ne fait aucun doute. 1 Watzlawick, P. & Helmik, J. (1979). Une logique de la communication. Paris, France : Le livre de poche. 2 L’interprétation de droits tels qu’inscrits dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 (CDE) et autres principes engendre des concepts qui sont eux-mêmes interprétés, réinterpréter, sur- interpréter, enfantant quelques dérives de l’interprétation au point où l’on ne sait plus toujours de quoi on parle. Les droits ? L’idée ? La visée ? Ce qui est ? Ce qui pourrait être ? Ce qui devrait être ? De surcroit, l’interdisciplinarité qui domine le champ des droits de l’enfant, malgré ses apports incontestables, renforce peut-être les confusions sur ce qu’on interprète, comment et à la lumière de quelles connaissances. (cf. Hirschi, C. L’interprétation du droit à l’aune de l’interdisciplinarité : exemple des droits de l’enfant. Thèse en cours, Université de Genève). Un jour, dans un panel lors d’un cours d’été en droit de l’enfant à l’Université de Moncton, quelqu’un a dit, sur une tonalité aussi convaincante que déterminée sonnant l’espoir d’un retour à l’essentiel: « it’s about human ! ». Il ne s’agit plus d’une modification des droits lorsque l’on parle de considérer l’enfant comme un être à part entière, une âme vivante égale à toutes les autres ; c’est notre relation à autrui et au monde qu’il convient d’interroger, celle qui considère la parole de l’autre, mais pas seulement. Car un être qui pense, qui vit, est déjà un être qui participe ; car au-delà de cette « voix » dont on ne fait pas toujours bon usage, il y a une place. La voix est un moyen – et pas des moindres – en vue d’atteindre cette place : une place d’intersection ; une place qu’autrui peut vouloir prendre et qui demeure celle que l’on veut bien lui donner aussi. Une place qu’un enfant peut vouloir prendre et qui est celle que la société veut bien lui donner aussi. Une place jamais acquise. L’on brandit des principes qui résultent du droit alors qu’ils découlent de notre capacité à nous distancer de nos jugements et du rôle que l’on s’attribue. Distançons-nous un instant et reconsidérons comment nous, adultes, gérons nos relations, comment nous, adultes, considérons autrui. Il est souvent dit, au sujet des difficultés de la mise en œuvre du droit d’être entendu: « apprenons aux enfants à s’exprimer, à communiquer, ce qu’ils pensent et les émotions qu’ils ressentent ». Mais qui va leur apprendre ? Nous, adultes auto promus et érigés en exemple de la communication (sic !) ? Nous essayons, avec bienveillance, de réfléchir à comment considérer les enfants autrement parce qu’ils ont fraichement des droits que nous avons depuis bien longtemps. Des droits malgré lesquels nous sommes souvent dans l’impossibilité de communiquer, de respecter autrui, de le considérer mais surtout d’être à l’écoute. Se méfier des non-dits et des implicites, écouter, entendre, accueillir et comprendre, pour donner à l’autre la possibilité de comprendre et d’être compris à son tour; savons-nous seulement prendre le temps de faire cela ? Lorsque l’on dit qu’il ne faut pas décider - ou projeter- les besoins d’un enfant sans lui demander, à lui, quels sont-ils, ou lorsque l’on dit que le droit d’être entendu de l’enfant est celui qui puisse lui garantir une expression qui lui est propre, qu’il dise ce qu’il pense vraiment et non ce qu’il pense que nous voulons qu’il dise, n’est-ce là pas à nouveau valable pour nous tous dans nos rapports aux autres? Un professeur à l’égard d’un étudiant, un médecin à l’égard de son patient, un employeur à l’égard de son employé, un adulte à l’égard d’une personne âgée, une grande gueule à l’égard d’un petit poucet, en bref, la rhétorique et le pouvoir défiant l’écoute et l’oppression ? « C'est la vie beaucoup plus que le droit (...) qui se formule à travers des formulations de droit. Le " droit à la vie ", au corps, à la santé, au bonheur, à la satisfaction des besoins, le " droit ", par- delà toutes les oppressions ou " aliénations " à retrouver ce qu'on est et tout ce qu'on peut être » Foucault M., La volonté de savoir, Histoire de la sexualité, tome 1, Ed. Gallimard, 1976, p.78 Avons-nous seulement commencé à enseigner la pensée critique à l’école ?3 Quelle place laissons-nous aux émotions, aux sensations ? Et l’intuition – celle-là même qui est implicitement bannie de la recherche scientifique – a-t-elle encore son mot à dire, face à toutes les causes et les raisons que l’on tente de trouver et qui vient assouvir notre cruel besoin de maitrise et de contrôle? Car il est souvent question de maitrise, de pouvoir et d’illusion du contrôle. Nous nous armons de convictions, de certitudes rassurantes, nous croyons savoir et croyons comprendre dans la mesure où cela légitime tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on fait et tout ce qu’on peut faire (jusqu’à reprocher et condamner à tort et à travers au nom de tout ce qu’on aurait pu/dû faire), car rien n’est plus puissant que notre besoin de comprendre et notre désir de connaître, tel que la philosophie l’a consacré. Nietzsche disait déjà que le désir de connaissance, lorsqu’il est associé au besoin de certitudes rassurantes et à celui d’un « vouloir agir » nous conduit bien souvent dans l’erreur.4 A ce titre, durant le panel de ce même cours d’été, une autre phrase a surgi plusieurs fois résultant de témoignages de jeunes qui furent placés dans des familles d’accueil : « It was outside of my control ». Tout ce que nous, adultes, voulons contrôler, maitriser, parce que l’on croit savoir, ne devient-il pas, de fait, hors du contrôle d’autrui ? Cette illusion du contrôle, ce besoin presque sédatif de maitrise de même que la volonté de gérer le « risque » jusqu’à supprimer son essence-même semble être le reflet d’une société mentalisant à outrance en recherche de sens. Mais pas n’importe quel sens ; un sens su, un sens contrôlé, un sens universellement imputable. C’est ainsi peut-être, également, par cette même volonté de maitrise et de contrôle, de justification, de légitimation et d’attribution de rôles qu’émergent nos convictions et nos conceptions à l’égard du bien personnel. L’intérêt supérieur de l’enfant, dans les méandres de ses interprétations, incarne – malgré lui - cette place presque morale, qu’au-travers des années nous avons tenté de supprimer dans le domaine juridique. De 3 La pratique de la philosophie pour enfant, visant à éveiller sa penser critique, réflexive, créative et sociale, se développe mais reste encore peu connue. 4 Cordonnier, . ( L’am igu te du de sir de conna tre en science et en philosophie selon iet sche. Philosophique. (10) 25-59, avec pour références Nietzsche, F. (1989). Le Gai savoir, Paris, France : Gallimard, « Folio ». Nietzsche, F. (1995). Humain, trop humain. Paris, France : Hachette, « Pluriel ». Nietzsche, F. (2006). La olonté de puissan e. Paris, France : Gallimard. Nietzsche, F. (1975, 1987). ar-del ien et al rélude d’une philosophie de l’avenir Paris, uploads/S4/ on-ne-peut-pas-ne-pas-communiquer 1 .pdf
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- Publié le Mai 15, 2022
- Catégorie Law / Droit
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