1 Incidences de la réforme du droit des obligations sur le droit des sociétés I

1 Incidences de la réforme du droit des obligations sur le droit des sociétés II. Les clauses Mustapha Mekki Agrégé des Facultés de droit Professeur à l’Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité Directeur de l’IRDA 1. Droit des sociétés et police des clauses contractuelles – L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ne se contente pas de rafraîchir le droit des contrats en consolidant l’essentiel des acquis jurisprudentiels, elle innove en consacrant de nouveaux outils qui supposent des praticiens une plus grande précaution rédactionnelle et permettent au juge de s’immiscer plus encore au sein de la relation contractuelle. De manière à peine dissimulée, le législateur a choisi d’encourager ce qu’on peut appeler une « américanisation » du droit des contrats1. Ainsi, au lieu d’aborder le lien contractuel sous l’angle classique des obligations (faire, ne pas faire, donner), l’ordonnance préfère accorder plus de place aux clauses contractuelles2. Cette américanisation fait naître un paradoxe. 2. Une « américanisation » du droit des contrats - D’un côté, le législateur encourage le plein exercice de la liberté contractuelle. Cela se traduit par une augmentation de la sphère de liberté accordée aux parties au contrat. Le principe de liberté contractuelle prévu à l’article 1102 en est la principale illustration. Il faut également avoir égard au rapport remis au président de la République qui précise que tout ce qui n’est pas formellement qualifié d’ordre public relève en principe de la catégorie des règles supplétives. Même si cette affirmation doit être relativisée, elle exprime l’esprit dans lequel l’ordonnance du 10 février 2016 a été rédigé : encourager les parties à user des clauses contractuelles. Pour ce faire, les parties sont incitées à rédiger des clauses de plus en plus précises au sein desquelles elles vont définir, expliquer, contextualiser, justifier leurs droits et obligations. Cette prolifération des clauses contractuelles va entrainer une enflure du contenu contractuel. 3. Une « rejudiciarisation » du droit des contrats – Cette importance accordée aux clauses contractuelles va de pair avec le rôle que l’ordonnance souhaite accorder au juge. Il est devenu, dans l’esprit de la réforme sur la justice du 21ème siècle (J 21), un ultime recours qui a à sa disposition un grand nombre de standards juridiques lui permettant de s’immiscer sans contrainte au sein de la relation contractuelle. Le nouveau droit des contrats invite les parties à anticiper sur l’intervention du juge en étant le plus précis possible sur leurs intentions et leurs objectifs. Prévoir pour ne pas subir, résume assez bien l’esprit dans lequel les parties doivent aborder leurs clauses contractuelles. 4. Droit des sociétés, un droit des clauses contractuelles – La place accordée aux clauses contractuelles sied parfaitement à la réalité du droit des sociétés. On sait combien le droit des sociétés, malgré l’importance des règles impératives, aspire à « davantage de 1 M. Mekki, La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe comply or explain !, Gazette du Palais, 5 janvier 2016, n° 1. 2 M. Mekki, « Le nouvel essor du concept de clause contractuelle » : RDC 2006, p. 1051 et s. et RDC 2007, p. 239 et s. 2 souplesse et de liberté dans l’organisation et le fonctionnement » des personnes morales3. Le contrat et les clauses qui le composent sont un outil indispensable à la flexibilité et à l’adaptabilité du droit des sociétés aux besoins des entreprises4. Le contrat perd de sa superbe, il est « désacralisé »5. L’instrument ne se suffit pas à lui-même car il est devenu un outil au service d’une régulation de la société. L’ingénierie juridique gagne progressivement toutes les sphères du droit des sociétés6. Cet instrument contractuel contribue à la mise en place d’un droit des sociétés sur-mesure, sorte de microcosme juridique, ordre juridique contractuel, qui coexiste avec la loi et la jurisprudence7. Cette contractualisation s’est intensifiée dans les années 1990 8 . L’ordonnance du 10 février 2016 accélère ce mouvement et se trouve en harmonie parfaite avec les nouveaux besoins du droit des sociétés : un droit sur mesure adaptable et flexible. 5. De grandes libertés appellent de grandes responsabilités : des clauses sous haute surveillance – Paradoxalement et d’un autre côté, cette pulvérisation des clauses contractuelles s’accompagne d’une nouvelle police des stipulations contractuelles. Il ne suffit pas d’user de ces clauses, encore faut-il ne pas en abuser. L’ordonnance du 10 février 2016, outre les hypothèses où elle prohibe formellement toute clause contraire (bonne foi, obligation précontractuelle d’information, révision de la clause pénale, délai de grâce…), intègre au sein du Code civil des dispositions permettant de lutter contre les clauses excessives. Ainsi en est-il de l’article 1170 du nouveau Code civil qui répute non écrite toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle et, surtout, de l’article 1171 qui lutte au sein des seuls contrats d’adhésion contre les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ces outils d’une grande flexibilité invitent les rédacteurs d’actes à repenser les termes de leurs contrats. Il ne s’agit plus de s’interroger sur la nature supplétive ou impérative de la règle évincée ou aménagée, première étape du raisonnement, il faut également vérifier le caractère raisonnable de la clause dont la pertinence devra être expliquée, justifiée, contextualisée. Cet encadrement de la liberté contractuelle par un ensemble de règles impératives veillant au respect de principes fondamentaux tels que la lutte contre l’excès ou la déloyauté, est familier au droit des sociétés qui se compose d’une règlementation impérative dense et parfois tatillonne. Aux parties de rédiger leurs clauses avec modération, au juge de corriger les clauses déraisonnables. 6. Vers une théorie générale des clauses contractuelles ? – La place accordée aux clauses contractuelles au sein de la réforme renforce d’autant plus la nécessité d’une théorie générale des clauses contractuelles que certains auteurs ont déjà commencé à construire9. Les rédacteurs d’actes ne sont donc pas au bout de leur peine car non seulement ils devront tracer la frontière poreuse des règles supplétives et impératives, mais également ils devront identifier les indices d’une clause raisonnable. 3 Y. Guyon, Traité des contrats. Les sociétés, Aménagements statutaires et conventions entre associés, 5ème éd., LGDJ, 2002, p. 7. Adde, J.-J. Daigre, Transformer les sociétés, in De nouveaux espaces à la liberté contractuelle, Cha. Dr. Entr., 1995/2, p. 16. 4 A. Couret, Les apports de la théorie micro-économique moderne à l’analyse du droit des sociétés, Rev. Sociétés, 1984, p. 243. 5 G. Goffaux-Callebaut, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, L’Harmattan, 2008, n° 6, p. 15. 6 J. Barthélémy, Propos liminaire, in De nouveaux espaces à la liberté contractuelle, Cah. dr. entr., 1995/2, p. 2. 7 M. Mekki, Les incidences du mouvement de contractualisation sur les fonctions du contrat, in La contractualisation de la production normative, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2008, p. 323 et s. 8 J. Prieur, Droit des contrats et droit des sociétés, in Mélanges A. Sayag, Litec, 1997, p. 371. 9 G. Helleringer, Les clauses du contrat. Essai de typologie, LGDJ, 2012 ; N. Gras, Essai sur les clauses contractuelles, thèse dactyl. 2014. 3 7. L’art de la clause et le droit des sociétés – Les clauses contractuelles qui se rapportent à l’organisation de la société et à son fonctionnement sont nombreuses et prolifèrent en la matière : clause de déclaration, clause d’agrément, de break up, de bad leaver, de garantie de passif ou d’actif, clause de rachat, de sortie conjointe, d’earn out, d’inaliénabilité, de préemption, de retrait, d’exclusion (buy or sell, suédoise, américaine, omelette…)… La seule limite réside dans l’imagination des praticiens. Les dispositions de l’ordonnance sont nombreuses à encadrer directement ou indirectement ces stipulations contractuelles. Certaines clauses sont directement visées par l’ordonnance : la clause résolutoire, la clause de fixation unilatérale du prix dans les contrats-cadre, la clause d’indexation, la clause pénale, les « stipulations contraires »... L’ensemble de ces clauses est soumis à la fois au principe de liberté contractuelle (art. 1102 C. civ.) et à celui de bonne foi (art. 1104 C. civ.) qui doivent donc être conciliés10. De nombreuses questions naitront de cette conciliation. Notamment est-ce que la mise en œuvre d’une clause d’agrément11 ou d’une clause de garantie de passif en toute mauvaise foi autorisera le juge à les priver d’efficacité ? On perçoit ici le débat polémique lancé par la Cour de cassation au lendemain d’un arrêt rendu le 10 juillet 2007 opérant une mystérieuse distinction entre les prérogatives contractuelles et la substance même des droits et obligations des parties12 ! L’ordonnance n’ayant pas jugé opportun d’apporter des précisions sur la sanction en cas de violation du principe de bonne foi, il faut croire que la jurisprudence antérieure sera reconduite, à moins de voir dans la consécration formelle d’un « principe général » de bonne foi, qui plus est d’ordre public, la remise en cause d’une distinction bien trop dogmatique. 8. Focus sur les clauses « excessives » - Devant l’ampleur des questions à aborder, il a été fait le choix de se concentrer sur uploads/S4/ partie-ii-les-clauses.pdf

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  • Publié le Jul 29, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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