169 Épître de saint Paul à Philémon  Constitution du texte Authenticité et can

169 Épître de saint Paul à Philémon  Constitution du texte Authenticité et canonicité L’authenticité paulinienne de l’Épître à Philémon (Phm) n’a jamais été sérieusement remise en cause. Elle a en effet pour elle un style et un vocabulaire conforme à celui de l’apôtre. Marcion l’accepte dans son Apostolicon (Tertullien, Marc. 21), Origène la cite comme explicitement paulinienne (Hom. Jer. 2, 1 ; Comm. Matt., traités 33-34), elle est nommée dans le canon de Muratori et se trouve présente dans les manuscrits ainsi que dans les versions syriaques et vieille latine. Jérôme mentionne quelques résistances, surtout liées à sa brièveté et à son caractère très privé. Il répond en insistant sur la nécessaire simplicité évangélique : « Ceux qui refusent d’admettre au nom- bre des épîtres de saint Paul celle qui est adressée à Philémon en donnent cette raison : l’Apôtre, disent- ils, n’a pas toujours, en toutes circonstances, été l’or- gane de Jésus-Christ parlant par sa bouche, parce que la faiblesse humaine n’aurait pas supporté la conti- nuité de l’inspiration de l’Esprit saint, et aussi parce que les nécessités de ce corps misérable n’auraient pu être satisfaites sous la présence persévérante du Seigneur, comme par exemple : préparer le repas, prendre de la nourriture, avoir faim, être rassasié, digérer les aliments […] Comment d’ailleurs donner un verre d’eau froide, laver les pieds, tuer un veau, préparer un repas, serait-il chose répréhensible, quand nous savons que ces actions ont mérité à quelques-uns d’être mis au nombre des enfants de Dieu […]. S’ils refusent de reconnaître que les petites choses et les grandes ont le même principe, ils seront forcés d’ad- mettre avec Valentin, Marcion, Apelle, un créateur des fourmis, des vers, des moucherons, des saute- relles, et un autre qui a créé le ciel, la terre, la mer et les anges » (Jérôme, Comm. Phlm., Préface). Ce débat a repris de la vigueur au cours des premières années du e s., où l’on a tenté de « déthéologiser » Paul en arguant qu’il n’écrivait pas seulement des épîtres à caractère public, mais aussi de simples lettres privées. Bien entendu, Phm fut amplement mis à contribution dans cette argumentation. Date et destinataires L’Épître à Philémon se présente comme une lettre de circonstances écrite par l’apôtre Paul pour défendre Onésime, esclave en fuite de Philémon, un citoyen de Colosses suffisamment riche pour posséder des esclaves et une maison capable d’accueillir la communauté chré- tienne de sa cité (v. 2). Les circonstances de son écriture peuvent être déduites (au prix d’un certain nombre d’hypothèses) des quelques éléments fournis par Paul. Onésime semble avoir quitté la maison de son maître pour aller se réfugier auprès de Paul qui était en prison. Que s’est-il passé ? L’apôtre ne blâme pas Philémon de mauvaise conduite : c’est peut-être Onésime le fautif. Certains interprètes, remarquant que Paul utilisait le vocabulaire de la dette et du remboursement à la fin de la lettre, ont supposé qu’Onésime avait volé Philémon. Paul, après avoir reçu Onésime, semble l’avoir converti au christianisme. Il le renvoie ensuite à son maître en lui demandant de le recevoir comme un frère. La détermination de la date de l’épître est liée à celle de l’emprisonnement de l’apôtre mentionné dans le texte. Traditionnellement, on datait cette épître de la captivité romaine (vers 60-63), mais l’éloignement de Rome et de Colosses rend peu vrai- semblable l’assurance de Paul de revoir bientôt Phi- lémon (v. 22). L’hypothèse de la captivité à Césarée (Ac 23 – 26, vers 59-60) tombe sous le même argu- ment. On s’accorde donc de plus en plus à penser que Paul est en prison à Éphèse, ce qui daterait la lettre des années 54-56. 170 Épître de saint Paul à Philémon Interprétation Genres littéraires Le caractère très personnel de la lettre a largement conditionné l’interprétation traditionnelle dont un bon exemple nous est fourni par Jean Chrysostome : « Paul écrit donc pour recommander [cet homme] à son maître, pour obtenir qu’il lui pardonne tout et qu’il le reçoive comme un nouveau-né dans la foi. (…) Maintenant, il est bon de vous apprendre pour- quoi dans cette épître, il est traité d’un sujet tout domestique. Voyez combien d’excellents renseigne- ments nous sont donnés par là. L’un, et le premier de tous, c’est que nous devons être diligents sur toutes choses. Si en effet saint Paul a tant de sollicitude pour un fugitif, un larron, un voleur ; s’il ne craint pas, s’il ne rougit pas de le renvoyer à son maître avec tant d’éloges, il nous convient bien moins encore d’être négligents dans des circonstances semblables. Le second enseignement, c’est qu’il ne faut pas déses- pérer de ceux qui sont de condition servile, même s’ils en sont arrivés à une extrême perversité. Or, si ce fugitif, ce voleur, a pu devenir tellement vertueux que Paul ait voulu en faire son compagnon, et écrire même de lui : “afin qu’il me servît à ta place”, nous devons désespérer bien moins encore des hommes libres. Le troisième enseignement, c’est qu’il n’est pas bien d’enlever aux maîtres de maison leurs esclaves. Car si l’apôtre qui avait une telle confiance en Philé- mon, n’a pas voulu retenir sans l’aval de son maître, Onésime qui pouvait lui rendre tant de services dans son ministère, il nous convient bien moins encore de faire ce qu’il n’a pas fait. Si le domestique est ver- tueux, raison de plus pour qu’il demeure dans la servitude, qu’il reconnaisse l’autorité du maître de maison afin que sa contribution soit utile à tous ceux qui sont dans la maison. Pourquoi ôter la lumière de dessus le chandelier pour la mettre sous le boisseau ? Que ne pouvons-nous plutôt ramener dans la ville ceux qui vivent au-dehors ! (…) Songez donc qu’il fût devenu pire en restant dehors » (Jean Chrysostome, Hom. Phlm., argument). Histoire de l’interprétation Souci de la moindre petite chose, exaltation des hum- bles, absence de questionnement de l’ordre social : tels sont les trois piliers de l’interprétation tradition- nelle. Au cours du e s., avec la montée de la ques- tion sociale, le dernier point fut de plus en plus reproché à Paul. Pour certains interprètes, cette épî- tre manifesterait en effet un conservatisme vis-à-vis du statut des esclaves odieux pour une conscience moderne. Adopter une telle interprétation serait pourtant anachronique. On ne peut à bon droit reprocher à Paul de ne pas avoir dénoncé l’esclavage au premier siècle de notre ère dans les mêmes termes qu’on le ferait aujourd’hui. Le sujet de cette épître n’est pas tant celui de l’esclavage en général que celui du sort d’un esclave particulier, Onésime, et de son maître, Philémon, dans le contexte ecclésial qui était le leur. C’est en effet la situation concrète d’individus précis dans des communautés particulières qui préoccupe saint Paul, plutôt que le statut général des différentes classes de la société de son temps. Même si Paul ne lance pas ici un appel direct à la transformation sociale de l’Empire Romain, il relativise la pertinence de tout statut dans la société au regard de la plénitude de la vie chrétienne. C’est là que réside la radicalité de son message : saint Paul envisage la vie des escla- ves et des maîtres qu’il lui est donné de côtoyer à la lumière du Christ et de l’Église. C’est ce qui lui per- mettra de déclarer ailleurs qu’il n’y a plus « ni esclave ni homme libre » (Ga 3,28). Une stratégie rhétorique complexe Outre la question sociale, Phm a retenu l’attention des commentateurs pour ses qualités littéraires. Afin de convaincre Philémon, Paul met en œuvre une stra- tégie rhétorique subtile. 1. Une épître publique ? – Alors qu’il demande à Phi- lémon un service personnel, Paul salue dans son adresse Apphia, Archippe et toute l’Église. Deux interprétations sont possibles. Ou bien Paul fait discrètement pres- sion sur Philémon en rendant sa requête publique et en comptant sur une sorte de « pression sociale », ou bien il entend faire du « cas Onésime » une sorte de cas d’école pour les relations entre chrétiens. 2. L’appel à une gamme variée d’arguments. – Au cours de sa démonstration, Paul accumule une série Épître de saint Paul à Philémon 171 d’arguments appartenant à des registres divers. Il commence par des arguments sur lui-même : il évoque tout d’abord son autorité par prétérition (en la mentionnant pour dire qu’il n’en fera pas usage, v.8) et sa situation personnelle par astéisme (auto- dépréciation, v.9). Ensuite, il présente Onésime sous un jour favorable en en faisant son enfant, en le qua- lifiant d’utile (vv.10s), en l’identifiant tour à tour à lui-même (v.12) puis à Philémon dont il est le substi- tut (v.13). Enfin, il argumente en direction de Philé- mon en faisant appel à sa fierté de chrétien libre (v.14) puis à sa conscience de chrétien qui doit accueillir un nouveau frère. Il achève son propos en reprenant l’identification entre Onésime et lui-même (v.17) puis, adoptant la langue commerciale – est-ce une image et donc un effet de style ou uploads/S4/ phi-lemon.pdf

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  • Publié le Oct 13, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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