Qu'est ce que prouver ? (II) Université Paris Nanterre Grands Repères Semestre

Qu'est ce que prouver ? (II) Université Paris Nanterre Grands Repères Semestre I Année universitaire 2019-2020 Table des matières I - La preuve judiciaire 3 1. Approche chronologique ............................................................................................................... 5 1.1. Antiquité ................................................................................................................................................ 5 1.2. Moyen Age et époque moderne ............................................................................................................... 10 1.3. Droit contemporain ............................................................................................................................... 14 2. Approche thématique ................................................................................................................. 18 2.1. L'ordalie ............................................................................................................................................... 18 2.2. Le serment ........................................................................................................................................... 22 2.3. La preuve scientifique ............................................................................................................................ 25 3. Bibliographie sommaire .............................................................................................................. 25 Glossaire 27 La preuve judiciaire 3 Approche chronologique 5 Approche thématique 18 Bibliographie sommaire 25 Considérations générales sur la preuve en justice (d'après Henry Lévy-Bruhl). Henry Lévy-Bruhl (1884-1964) est un juriste (thèse de droit romain en 1910), dont l'œuvre est marquée par sa profonde inspiration sociologique. A partir de 1945 il va travailler pour développer la sociologie du droit. Directeur d'études à l'Ecole pratiques des hautes études (1951), il s'attache à l'étude des faits juridiques, considérés en eux-mêmes, et sans préoccupations pratiques. Il étudie les institutions, dans quelque groupe social qu'elles se rencontrent. Son ouvrage sur La preuve judiciaire (1964) illustre sa méthode et mérite de servir de support à cette introduction ainsi qu'à certains développements qui suivront. Dans le cadre judiciaire, les plaideurs ne sont pas les seuls intéressés par l'issue du procès et donc par l'administration de la preuve. C'est en effet la société (le groupe social) qui est troublée par le doute qui pèse sur le droit de l'un de ses membres ; elle se considère lésée par l'infraction, et donc particulièrement intéressée au procès. Elle est incarnée par le juge qui dirige l'administration de la preuve et qui va rétablir l'équilibre en s'appuyant sur des preuves pour dire le droit. A la différence de la preuve scientifique, la preuve judiciaire doit être administrée dans un délai relativement court. La société n'admet en effet pas les blocages qui pourraient être générés par l'absence de preuve et donc l'absence de décision de justice. La preuve judiciaire n'est pas absolue. Elle consiste à faire diminuer le plus possible la marge d'incertitude, à rapprocher le vraisemblable du vrai. Le juge qui représente le groupe social cherche à obtenir la ratification de la collectivité. Les parties au procès cherchent à convaincre le juge par la présentation de leurs arguments. La preuve a donc un caractère conflictuel. Encore une fois, elle sert alors à gagner le procès, davantage qu'à dévoiler la vérité. En matière pénale certains éléments comme la personnalité de l'accusé pourront entrer en ligne de compte, alors que l'élément psychologique est plus limité en matière civile ou commerciale. Dans les sociétés primitives, ce sont surtout des affaires de nature pénale qui vont devant le juge, qui prendra en compte les éléments liés à la personne de l'accusé : la crédibilité qu'il inspire, la considération dont il jouit dans la société mais aussi auprès des dieux (ou du dieu). Par exemple on considérera que tel accusé bénéficie de la faveur divine et n'a donc pas pu commettre d'infraction. Le caractère social de la preuve judiciaire est dès lors très marqué. Le procès peut être considéré comme un combat avec une affirmation et une négation argumentées. Mais qui doit prouver en premier lieu ? En d'autres termes, sur qui pèse la charge de la preuve au procès ? On pourrait penser que c'est à celui qui prétend bénéficier de la décision de justice, c'est-à-dire qui demande, et non celui qui n'a initialement rien demandé. Par exemple, est demandeur le créancier qui n'a pas été payé et qui réclame en justice ce qu'il considère comme son dû. Il doit apporter la preuve de son bon droit. Mais le demandeur n'est pas le seul à entrer en action. Son adversaire s'efforce en effet de répondre à chaque coup porté. Du coup, preuves et contre-preuves se succèdent, par lesquelles les plaideurs recherchent la "vérité" ou l'homologation par le groupe social de ce qui sera considéré comme tel. De son côté, le juge – celui qui apprécie la preuve – n'est pas un individu ordinaire. Il est supposé être « l'émanation du sentiment collectif du groupe ». Il est celui qui dit le droit et qui l'applique. Il n'exprime pas son propre point de vue mais le point de vue collectif (en s'appuyant sur la coutume ou la loi). Aujourd'hui, dans le , l'intime conviction a aussi cette Code de procédure pénale La preuve judiciaire I La preuve judiciaire 4 dimension : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction » (art. 427 du Code de ). procédure pénale Le juge n'est donc pas entièrement libre. Il ne peut chercher les éléments de solution au problème partout où il le croit utile comme le ferait le scientifique. Le groupe lui impose un certain nombre d'impératifs qu'il ne peut enfreindre (les règles qui encadrent l'administration de la preuve). Cette tendance a atteint son apogée avec le système des « preuves légales », notamment pratiqué dans l'Europe médiévale. C'est – nous le verrons – un système par lequel le juge doit utiliser pour des cas déterminés, tel mode de preuve, à l'exclusion des autres. Une hiérarchie entre moyens de preuve est alors établie. On assortit même les preuves de coefficients numériques. Une preuve est donc le résultat de l’addition de fractions de preuves ! Nous verrons aussi qu'aujourd'hui, l'administration de la preuve est toujours encadrée plus ou moins selon les domaines. Le juge doit juger le plus exactement possible. Il est obligé de juger sous peine de troubler l'ordre public (déni de justice). Il ne peut donc rester sans opinion sur le litige dont il est saisi, même si au fond de lui il n'a pas de conviction ou s'il lui semble que le droit est lacunaire. Aujourd'hui, d'après l'article 434-7-1 du Code pénal, « le fait, par un magistrat, ou toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis, et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 € d'amende et de l'interdiction de l'exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans ». D'une manière générale, dans toutes les sociétés, la recherche de preuve doit s'effectuer dans un délai suffisamment court, pour éviter autant que possible la disparition des preuves. La preuve judiciaire diffère en cela de la preuve scientifique pour laquelle le temps n'est pas un facteur fondamental. Le juge doit juger dans un délai relativement bref. C'est ce que rappelle aujourd'hui la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi [...] » (art. 6). Du coup, le juge ne tranche pas toujours dans la sérénité, notamment à cause de la pression de l'opinion publique, « qui parfois prend partie sur des critères émotionnels très subjectifs » ( , p. 304). Borricand & SimonBorricand & Simon Pour Henri Lévy-Bruhl, « il semble bien que ce caractère incertain, imparfait soit une faiblesse congénitale de la preuve judiciaire » ( ). p. 54Henri Lévy-Bruhl Le régime de la preuve est très lié aux manières de penser et aux croyances de la société où il s'est développé. On pourrait donc penser qu'il y a autant de systèmes de preuve qu'il y a de sociétés différentes. En fait non. Les modes de preuve judiciaire sont très peu nombreux. Mais l'administration de la preuve varie beaucoup selon les valeurs qui fondent telle ou telle société à telle ou telle époque. C'est ce que nous allons voir – dans les grandes lignes – en étudiant comment la preuve judiciaire a évolué au cours du temps depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui. La preuve judiciaire 5 1. Approche chronologique 1.1. Antiquité 1.1.1. Avant Rome Dès le début de la période historique (témoignages écrits les plus anciens), il est possible de constater la diversité des modes de preuve. Les sources font en effet notamment référence au témoignage ainsi qu'à la preuve écrite. A Babylone, au XVIII siècle avant notre ère, le système des preuves est déjà développé. Il e s'appuie à la fois sur le témoignage, et sur le serment. A cela il faut ajouter l'écrit qui joue un grand rôle, à en croire les innombrables tablettes cunéiformes que l'on a retrouvées. Dans la Bible, le témoignage est très réglementé. Les , leurs parents, les partiesParties - p.28 *§ femmes, les mineurs, les fous, les sourds, les muets, les aveugles, les esclaves... ne peuvent témoigner. Les cas les plus graves nécessitent des preuves sûres, c'est la raison pour laquelle une condamnation à mort ne peut être prononcée sur le fondement d'un seul témoignage ( XIX, 15). En cas de doute, l'accusé prête serment devant Dieu et DeutéronomeDeutéronome - p.27 *§ un refus de sa part est considéré comme un aveu de culpabilité. A une uploads/S4/ publication-papier.pdf

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  • Publié le Aoû 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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