Contrat et responsabilité civile : pour un système juste en droit des obligatio
Contrat et responsabilité civile : pour un système juste en droit des obligations (version corrigée, 15 décembre 2018) Kouroch Bellis* Résumé Alors que le second volet de la réforme du droit français des obligations est en cours, il est utile de revenir sur les rapports entre les concepts de contrat et de responsabilité. La responsabilité contractuelle est bien fondée. Le concept et son régime juridique se retrouvent tout au long de l’histoire du droit, depuis Rome. Le gonflement de ses effets (contenu obligationnel exorbitant, étendue de la réparation…) est principalement dû au principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. La seule chose qui compte est le caractère juste de la réparation des conséquences dommageables d’un manquement contractuel fautif. Par ailleurs, tout créancier doit pouvoir demander, dans un même temps, l’exécution forcée par équivalent de sa créance contractuelle. Le droit français a historiquement refusé un tel concept, mais il découle en réalité de la force obligatoire du contrat. Il découle aussi de la logique économique du contrat, puisque l’économie de marché crée du profit à partir de l’échange des biens. Le principe du concours des responsabilités délictuelle et contractuelle doit enfin être affirmé. Le principe actuel de non-cumul est néfaste et facteur d’injustice à bien des égards, notamment parce qu’il aboutit à traiter différemment des situations relativement semblables et qu’il en résulte un droit compliqué. Or, le principe de non-cumul est le fruit d’un courant doctrinal du XIXe siècle qui a émergé à partir de questions que nous avons oubliées de nos jours. La responsabilité civile est la conséquence de la violation d’une obligation civile de manière à manquer au devoir général de veiller à ne pas nuire à autrui (neminem laedere). Elle est contractuelle lorsque cette obligation est issue d’un contrat en particulier et ce qu’on appelle aujourd’hui la responsabilité délictuelle ou extracontractuelle est le droit commun de la responsabilité civile. Lorsqu’il n’y a pas de faute, le devoir de veiller à ne pas nuire à autrui entraine obligation de garantir certains dommages, notamment ceux résultant des risques pris pour autrui dans le but d’obtenir un profit personnel. Responsabilité et garantie peuvent être regroupées dans le concept d’imputabilité. Contracts and civil liability: in the pursuit of a fair system in law of obligations Abstract While reform of the French law of obligations is currently going through its second phase, it is useful to rethink the relationship between the concepts of contract and civil liability. Contractual liability is legitimate. The concept and its rules can be seen throughout legal history, since Rome. The inflation of its consequences (exorbitant obligational content, extended indemnification...) is mainly a consequence of the principle of non-cumulation of contractual and delictual liability. The only thing that counts is the fairness of indemnification of the prejudicial consequences of a wrongful breach of contract. Besides, every creditor should have the right to demand, at the same time, the “coerced execution by equivalence” (exécution forcée par équivalent) of the obligation. French law has historically rejected such a concept, but it actually stems from the obligatory force of contracts. It also flows from the economic rationale of contracts, since the market economy creates profit from the exchange of goods. The principle of conjunction of delictual and contractual liabilities must finally be asserted. The current non-cumulation principle is in many ways a factor of harm and injustice, primarily because it results in assigning different results to similar situations and unnecessarily complicates the law. Yet, the non- cumulation principle is the fruit of a doctrinal trend of the 19th century that arose from issues that we have forgotten nowadays. Civil “responsibility” (responsabilité) is the consequence of the violation of a civil obligation so that there is a breach in the general duty of care to not to do harm to others (neminem laedere). That “responsibility” is contractual when the obligation results from a particular contract and what we call nowadays delictual or extracontractual responsibility is the common law (droit commun) of civil responsibility. When there is no fault, the duty of care not to harm others brings about the obligation to “guarantee” some damages, in particular those resulting from the risks imposed on others in the pursuit of personal profits. Responsibility and guarantee (garantie) can be gathered together under the concept of liability (imputabilité). * Assistant professor en droit au Trinity College Dublin, Directeur de la licence de droit avec droit français de Trinity College Dublin, Membre du Laboratoire de droit civil de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Docteur en droit de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), LL.M. Droit privé général et LL.M. Histoire du droit de l’Université Panthéon-Assas (Paris II). L’auteur profite de cette deuxième Lettre de France pour remercier le professeur Didier Lluelles de l’avoir invité à les écrire, le professeur Michel Morin pour sa grande diligence à leur égard et Madame Valerie Parent pour son travail remarquable. 3 Plan Introduction .................................................................................................................. 4 I. Pour la responsabilité contractuelle ....................................................................... 6 A. Le lien historique entre les notions de contrat et de responsabilité ........... 6 1. Droit romain ................................................................................................. 6 2. Époque moderne ......................................................................................... 9 3. Après le Code civil ..................................................................................... 14 B. Le caractère juste d’une garantie des conséquences dommageables d’un manquement contractuel ................................................................................ 26 II. Pour l’exécution par équivalent .......................................................................... 30 A. Affirmation du principe ................................................................................. 30 B. Difficultés ......................................................................................................... 39 III. Pour le concours des responsabilités contractuelle et délictuelle ................. 49 A. Critique et historique du principe de non-cumul ....................................... 49 B. Le principe du concours des responsabilités contractuelle et délictuelle 57 IV. Présentation générale du droit de la responsabilité civile (imputabilité civile) à partir du devoir général de veiller à ne pas nuire à autrui ......................... 65 A. Le devoir général de veiller à ne pas nuire à autrui (neminem laedere), fondement de la responsabilité et de la garantie civiles ............................. 65 B. Les clauses générales d’imputabilité, supports du neminem laedere ............. 75 Conclusion .................................................................................................................. 82 4 Introduction 1. La réforme du droit français des obligations passe à son second acte. On lit souvent qu’après le contrat et le régime général des obligations, c’est au tour de la « responsabilité civile » d’être réformée. En réalité, tout dépend de ce que l’on entend par cette dernière expression, et si l’on y inclut ce concept tant discuté ces dernières décennies : la responsabilité contractuelle. Schématiquement, durant cette période, deux visions se sont affrontées en doctrine. D’une part, la vision selon laquelle la responsabilité contractuelle est un « faux concept » et contrat et responsabilité civile doivent être deux domaines séparés. Philippe Le Tourneau1, et plus encore Philippe Rémy2, ont été les fers de lance de cette théorie, et une partie importante de la doctrine française a partagé leur point de vue 3. D’autre part, la vision selon laquelle le concept de responsabilité contractuelle doit être conservé. Geneviève Viney a mené la défense de cette doctrine, et a même estimé qu’un droit commun, voire unique, des responsabilités contractuelle et délictuelle doit être recherché et leurs régimes rapprochés au possible4. Nombre d’auteurs ont partagé, en totalité ou en partie, ce point de vue5. Ces deux doctrines ont abouti à deux avant-projets de réforme opposés. Au sein du groupe composé de nombreux professeurs réunis autour de Pierre Catala, la responsabilité civile a été prise 1 Philippe LE TOURNEAU (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Dalloz Action 2018-2019, nos 3213.00 et s. ; Philippe LE TOURNEAU, « Brefs propos critiques sur la « responsabilité contractuelle » dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité », D. 2007.2180. 2 Philippe RÉMY, « La responsabilité contractuelle. Histoire d’un faux concept », RTD Civ. 1997.323 ; Philippe RÉMY, « Critique du système français de responsabilité civile », Droit et cultures 1996.31 ; Philippe RÉMY, « Observations sur le cumul de la résolution et des dommages et intérêts en cas d’inexécution du contrat », dans Mélanges offerts à Pierre Couvrat. La sanction du droit, 2001, pp. 121-129. 3 Par ex. : Denis TALLON, « Pourquoi parler de faute contractuelle ? », dans Hommage à Gérard Cornu. Droit et sagesse, 1994, pp. 429-439 ; Jean BELLISSENT, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat. À propos de l’évolution des ordres de responsabilité civile, préf. Rémy Cabrillac, LGDJ, 2001. 4 Geneviève VINEY, « La responsabilité contractuelle en question », dans Études offertes à Jacques Ghestin. Le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, pp. 921-947 ; Geneviève VINEY, « Pour ou contre un « principe général » de responsabilité civile pour faute ? Une question posée à propos de l’harmonisation des droits civils européens », dans Le droit privé français à la fin du XXe siècle. Études offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, pp. 555-568 ; Geneviève VINEY, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2006, nos 161-245, et spéc. nos 161-[166-17] et nos 232 et s. D’autres ouvrages de la même collection sont notamment co-écrits avec Patrice Jourdain. 5 Philippe BRUN, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2016, nos 88 et s. ; Georges DURRY, « Responsabilité délictuelle et responsabilité uploads/S4/ bellis-kouroch-contrat-et-responsabilite-civile-pour-un-systeme-juste-en-droit-des-obligations.pdf
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- Publié le Fev 06, 2021
- Catégorie Law / Droit
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