LE CONSTITUTIONNALISME : QUELLE RÉALITÉ DANS LES PAYS DU MAGHREB ? Thierry Le R
LE CONSTITUTIONNALISME : QUELLE RÉALITÉ DANS LES PAYS DU MAGHREB ? Thierry Le Roy Presses Universitaires de France | « Revue française de droit constitutionnel » 2009/3 n° 79 | pages 543 à 556 ISSN 1151-2385 ISBN 9782130572213 DOI 10.3917/rfdc.079.0543 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2009-3-page-543.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Ce mot ne sonne pas clairement à une oreille française. Telle fut la première réponse du responsable de la bibliothèque de notre Conseil constitutionnel lorsque je commençai ma recherche documentaire sur le constitutionnalisme au Maghreb. Pourtant, les Français sont friands de constitutions. L’histoire l’a montré, encore cette année, ainsi que notre ardeur à exporter nos concepts constitutionnels, ou à tenter de le faire, comme ce fut le cas au Maghreb, mais aussi en Afghanistan en 1964 et en 2004. Au cœur du sujet défini par les rapports entre Maghreb, Islam et ins- titutions politiques, nous trouvons la progression des influences isla- mistes. Nous savons que pour y faire face, les gouvernements du Magh- reb ont suivi des voies différenciées, qui pourraient être schématisées ainsi : l’Algérie a combattu les partis islamistes, y compris par la force, avant de venir à une politique de « réconciliation » ; la Tunisie poursuit, plus ou moins fidèlement, la ligne fixée par Bourguiba, qui a combattu l’Islam conservateur et dont les successeurs demeurent attentifs à contrô- ler comment la religion est interprétée et enseignée ; le Maroc traite l’is- lamisme à sa manière : le Roi occupe lui-même, comme « Commandeur des croyants », le terrain religieux, et le fait davantage à mesure que les influences islamistes se font davantage sentir1. Trois voies différentes, Thierry Le Roy, conseiller d’État. * Cet article est la version française d’une communication prononcée, pour le compte de l’Institut international pour les études comparatives de Paris, lors du symposium organisé par l’Institut Max Planck pour le droit public comparé et le droit international à Dubaï (12- 15 février 2009) sur « Le droit constitutionnel dans les pays islamiques ». Les actes de ce symposium seront publiés en anglais en 2009 par Oxford University Press sous le titre : « Constitutionalism in Islamic Countries : between Upheaval and Continuity ». 1. Pour une comparaison Tunisie/Maroc, voir Malik Zeghal, « S’éloigner et se rappro- cher : la justice et le contrôle de l’Islam dans la république de Bourguiba et la monarchie de Hassan II », colloque IFRI, 2001 sur « Les monarchies arabes », La Documentation française, 2002. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73) trois politiques pour le même but : le contrôle politique du terrain reli- gieux. Mais où sont les constitutions, où sont les standards internatio- naux des droits de l’homme qui lient tous ces États, où sont les méca- nismes constitutionnels, dans tout cela ? Telles sont les questions que j’avais à l’esprit lorsque j’ai commencé à préparer ma contribution sur « le constitutionnalisme au Maghreb ». Des constitutions au Maghreb, oui ; mais pour quelle influence sur l’état de droit ? Avec quelle combinaison du droit constitutionnel et du droit musulman ? Peut-on encore parler, là, d’un modèle juridique fran- çais ? Tels sont les points que je vais tenter d’élucider dans cette rapide revue de l’expérience constitutionnelle – sinon du constitutionnalisme – de trois pays d’Afrique du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie. Je le ferai en me plaçant sous l’invocation de la mémoire de mon collègue et ancien Louis Fougère, qui a, dans les années cinquante et soixante, fait métier de consti- tutionnaliste, d’abord auprès du roi du Maroc, puis de celui d’Afghanistan. I – DES CONSTITUTIONS A – Comme beaucoup d’autres pays du monde arabo-musulman ou d’Afrique, les pays d’Afrique du Nord ont salué leur indépendance par des constitutions. Manifestant aussi par là leur inscription dans une tra- dition bien française. La Tunisie la première, dès 1959, le Maroc en 1962 dans l’année sui- vant l’avènement de Hassan II, l’Algérie dès 1963, ont adopté des textes qui se voulaient fondateurs. L’idée pouvait être ancienne, comme l’at- teste au Maroc un mouvement constitutionnaliste qui s’exprimait dès 1906 ; ou, à l’inverse, la réalisation sans lendemain, comme on l’a vu dans l’Algérie de Ben Bella suspendant sa première Constitution dans le premier mois de son existence. Le sens de ces premières constitutions a plus à voir avec le besoin de légitimation des gouvernements (par exemple, de Bourguiba face au Bey) qu’avec l’affirmation d’un pouvoir législatif démocratique (qui serait substitué à celui des oulémas, par exemple) ; il s’agit de renforcer un jeune État (par exemple, Mohammed V, par les apparences d’une monarchie constitutionnelle), non d’affirmer des droits des citoyens face aux gouvernements. Dans tous les cas, le rôle de la constitution est alors moins juridique que symbolique ou programmatique. On a pu parler, pour cette Algérie des premières années après l’indépendance, de « renoncement au constitutionnalisme »2. Thierry Le Roy 544 2. Mohammed Abdelwahad Bekhechi, colloque 1998, à Beyrouth, du Centre d’études des droits du monde arabe (CEDROMA) sur les Constitutions des pays arabes, Actes publiés par Bruylant, Bruxelles, 1999. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73) Pourtant, ces pays d’Afrique du Nord ont tous, peu à peu, cédé à la mode des constitutions. Que ce soit à des fins de politique interne, ou pour marquer l’intégration dans une communauté internationale de plus en plus friande de constitutions, on a vu les dirigeants multiplier les révisions constitutionnelles : cinq constitutions nouvelles se sont succédé au Maroc de 1962 à 1996 ; la mise en place d’une « petite constitution » en Algérie en 1965 (alors seulement pour régler les relations entre les organes du pouvoir) a été suivie de nouvelles chartes ou constitutions en 1976, 1989, 1996, 2008 ; il y a les lois constitutionnelles tunisiennes de 1959, 1987, 1995, 1998, 2008… Si on révise tant les textes constitu- tionnels, c’est qu’on y croit. B – Dans ces évolutions, les pays d’Afrique du Nord ne se sont pas soustraits à la mode des déclarations de principe (avec une préférence pour les Pactes des Nations Unies de 1966, moins gênants que la Décla- ration universelle de 1948). Alors que les premiers textes ne s’intéres- saient qu’aux gouvernants et à l’organisation du jeu politique, on a vu peu à peu surgir préambules et déclarations de principes plus ou moins substantiels (moins exhaustifs qu’en Afrique mais regardés parfois pour cela comme plus réalistes3, avec tout de même 30 articles consacrés aux « droits et libertés » dans la Constitution algérienne d’aujourd’hui, 17 dans la tunisienne), et même des références aux déclarations universelles de droits : au moins, aux « principes et objectifs de la Charte des Nations Unies », ainsi qu’aux conventions internationales ratifiées rela- tives à la protection des droits de l’homme, dans la Constitution algé- rienne, la plus frileuse, à la conception universelle des droits de l’homme dans la marocaine, ou à l’article 5 de la tunisienne. Je parle de mode parce que, jusque dans le contenu de ces textes de principe, on sent l’air du temps, par exemple avec l’apparition de références au libéralisme éco- nomique dans la constitution algérienne. C – Plus significatif encore, pour la cause du constitutionnalisme, il faut noter que c’est avec ces déclarations de principe qu’apparaissent dans les textes constitutionnels les mécanismes destinés à en garantir l’application : des chambres, cours ou conseils constitutionnels. Prudem- ment, d’abord, comme ce décret tunisien de 1987, qui crée le Conseil constitutionnel pour donner de simples avis au président de la Répu- blique, mais qui signale bien le besoin naissant d’une caution constitu- tionnelle (évolution confirmée plus tard par la loi constitutionnelle de 1998 qui donne valeur juridique contraignante à ces avis) ; tardivement (1989) et modestement en Algérie, où le Conseil constitutionnel est sur- Le constitutionnalisme dans les pays du Maghreb 545 3. A. Cabanis et M. L. Martin, « Les lois fondamentales du Maghreb uploads/S4/ rfdc-079-0543.pdf
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Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 30, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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