PA201316604 Petites affiches, 20 août 2013 n° 166, P. 5 - Tous droits réservés

PA201316604 Petites affiches, 20 août 2013 n° 166, P. 5 - Tous droits réservés Droit civil Les dernières vies du formalisme Le formalisme ne cesse depuis quelques années de se répandre. Son développement est à la fois imposé aux juristes et voulu par ceux-ci. Formes traditionnelles régénérées, formes nouvelles sans cesse réinventées, toutes sont concernées par cette tendance. Mais celle-ci cache un emballement dangereux du formalisme. Ce corps de règles gagne en incohérences. Surtout, il se banalise et peine à se différencier d'autres ensembles normatifs. D'où la question : et si la renaissance du formalisme annonçait paradoxalement sa prochaine disparition ? En 1914, Pierre Moeneclay soutenait sa thèse sur la renaissance du formalisme devant René Demogue à la faculté de droit de Lille (1) . En 1950, Jacques Flour évoquait dans les mélanges Ripert l'évolution du formalisme. Ce corps de règles n'en finit pas d'être réinventé et la renaissance observée ces dernières années se joue des décennies passées. Pourtant, celle-ci se différencie largement des précédentes parce qu'elle s'éloigne dangereusement des fondements traditionnels de la matière. Il est ainsi permis de se demander si cette nouvelle vie du formalisme n'est pas la dernière en ce qu'elle porte en elle les germes de sa disparition. Répondre à une telle interrogation implique de définir la notion de formalisme. L'entreprise, à l'évidence, n'est pas aisée. On se souvient de la position de Jacques Flour. Dans « Le droit privé français au milieu du XXe siècle », il considère que le critère du formalisme se trouve « dans l'exigence d'une forme déterminée par la loi et à défaut de laquelle la manifestation de volonté se trouve frappée d'inefficacité à un degré quelconque (2) ». Dans cette conception large du formalisme, la règle de preuve occupe une place prépondérante. C'est précisément ce point que critique Madame Gobert dans son « Évocation de Jacques Flour ». Selon cette spécialiste, loin de s'assimiler, les règles de forme et celles de preuve s'opposent. Les unes servent à protéger les contractants tandis que les autres sont avant tout l'expression d'une méfiance (3) . Cette controverse illustre l'embarras de la doctrine à appréhender le formalisme. Or son analyse bute sur cette difficulté. Comment en effet s'avancer sur l'évolution d'une notion qui n'est pas définie ? À défaut de solution parfaite, la moins mauvaise consiste à n'en retenir que la substance. À l'instar du droit de propriété qualifié par Louis Favoreu de droit « artichaut (4) », le formalisme ne disparaît que si l'on touche au cœur, non si on lui enlève ses couches apparentes. Et le cœur du formalisme, ce sont incontestablement les solennités. Le temps est ensuite à son œuvre pour déterminer une orientation globale. Ce qui affecte l'immanence a vocation à essaimer la superficie. Des variations observées sur le formalisme ad validatem, résulteront celles qui concernent les autres types de formalisme. L'étude du formalisme ad validatem n'invite pas à l'optimisme quant à son devenir. La frénésie actuellement observée à son examen est même inquiétante. Si, depuis une dizaine d'années, il ne cesse de se développer (I), c'est au prix d'imperfections laissant envisager sa lointaine disparition (II). I. Une renaissance soudaine du formalisme Évoquer le développement actuel du formalisme semble a priori relever de la pure contradiction. L'essor de certaines matières juridiques pourrait en attester. Si le formalisme a en outre pour vocation de protéger (5) , d'aucuns se rendent compte que jamais il n'y a eu autant d'inégalités dans les rapports contractuels. La législation sur les clauses abusives, tant au niveau national qu'européen (6) , est ainsi régulièrement modifiée à l'effet d'éviter la survenance de déséquilibres significatifs entre les contractants. Or puisque ce corps de règles sert à protéger la partie la plus faible et que le formalisme se destine à la même finalité, l'accroissement de l'un ne marque-t-il pas le déclin de l'autre ? Une réponse positive serait assurément hâtive. Dans la perspective d'une plus grande justice contractuelle, ces normes s'ajoutent les unes aux autres et ne s'annihilent pas. Depuis une dizaine d'années, le formalisme connaît en effet un développement marqué. D'un siècle à l'autre, il s'affirme. Ce résultat est le fruit d'une tendance à la fois imposée (A) et voulue (B). Page 1 sur 12 weblextenso - 11/09/2013 http://www.lextenso.fr/weblextenso/article/print?id=PA201316604 A. Une tendance imposée Le développement du formalisme dépend autant d'éléments intrinsèques que d’éléments extrinsèques. Subi par le droit (1.), ce déploiement est également imposé par lui-même du fait de son évolution (2.). 1. Une tendance imposée au droit Le droit doit s'adapter au progrès. Cette contrainte illustre la soumission du droit aux faits. Claude-Albert Colliard rappelle déjà, dans les mélanges Ripert, que le Code de commerce est resté celui des boutiquiers alors que se développent « les banques aux succursales multiples (7) ». Cette emprise du fait sur le droit se manifeste à nouveau à l'ère de la bulle internet (8) . Elle est ici autrement plus importante, renvoyant l'exemple pris par Colliard au rang de secousse préalable à un séisme. À rebours du machinisme, le développement de l'internet se fonde sur des données nouvelles, à l'origine d'un système vierge de tous codes scientifiques ou sociologiques existants. Ce bond dans l'évolution ne pouvait qu'ébranler les fondements mêmes du droit. Si le formalisme a été épargné par le développement du machinisme — Claude-Albert Colliard limite ses incidences sur le droit à la propriété et à la responsabilité délictuelle —, il a subi une remise en cause profonde à l'issu du développement de la « nouvelle économie ». Ce bouleversement s'est traduit par l'avènement d'un nouveau formalisme, qualifié d'« électronique », lequel, en 2002 encore, restait entièrement à inventer selon un spécialiste (9) . À coups de lois, d'ordonnances ou de textes normatifs en tous genres, c'est depuis chose faite. Le formalisme ad validatem s'est notamment adapté à l'immatériel. Au premier chef, les notaires peuvent dresser des actes authentiques électroniques. La doctrine n'a pas ménagé ses efforts pour permettre cet aboutissement (10) . Néanmoins, l'arrimage au virtuel implique une remise en cause plus profonde de l'authenticité, touchant au rôle du notaire. Déjà en 1972, Jacques Flour s'était livré à une analyse des textes du Code civil spécifiques aux quatre principaux contrats solennels et avait rappelé l'exigence, énoncée à chaque reprise, de la passation de l'acte « par- devant » notaire (11) . Or la conclusion d'un contrat sur internet s'impose le plus souvent par l'éloignement des parties. L'authenticité, au sens classique du terme, à savoir impliquant la présence d'un officier public devant toutes les parties à l'acte, est ici dépassée. La réforme était nécessaire et ne pouvait se faire que par le haut, c'est-à-dire sans diminution des exigences propres à ce formalisme (12) . Par un décret du 10 août 2005 (13) , les pouvoirs publics ont décidé d'abandonner le « dogme de l'unicité du notaire (14) ». Dès lors que l'acte est conclu à distance, chaque partie se rend chez son notaire à l'effet que celui-ci recueille son consentement. Loin de s'affaiblir devant les échanges dématérialisés, l'authenticité s'est maintenue. Le formalisme s'est même développé, entraînant par là-même la « disqualification » du consensualisme (15) . Le recours au « double clic » est un exemple marquant de ce formalisme d'un nouveau genre, lequel, ironie du sort, en rappelle les balbutiements. Comment en effet ne pas faire le parallèle entre ce geste imposé et le cérémonial des temps anciens (16) ? Pour primaire qu'elle puisse paraître, cette solennité, telle la sœur jumelle évoquée par Rudolf von Jhering (17) , est au chevet d'une liberté menacée en ménageant un temps de relecture et de réflexion avant le dernier clic, celui qui scelle la formation du contrat (18) . S'il remplit ses fonctions traditionnelles, le formalisme ad validatem empiète ici sur le domaine du consensualisme. Alors que la seule rencontre des consentements suffit à la conclusion d'un contrat sur papier, vient s'ajouter dans le monde de l'impalpable, une gestuelle destinée à en apprivoiser les dangers (19) . Par cette poussée du progrès, l'essor du formalisme est ici imposé au droit. Sans être totalement harmonieux, ce développement trouve alors une justification extrinsèque. Il confine néanmoins à l'excès lorsque c'est le droit, un peu à la manière d'un dérèglement, qui en est à l'origine. 2. Une tendance imposée par le droit Le « pullulement » des droits subjectifs (20) traduit à l'envi l'idée d'un mouvement non contrôlé qui contribue, selon l'expression du doyen Jean Carbonnier, à « l'inflation » (21) du droit objectif. L'éminent auteur date ce qu'il qualifie de « phénomène » (22) de la fin de la seconde guerre mondiale mais note son amplification, comme un symbole, à la Page 2 sur 12 weblextenso - 11/09/2013 http://www.lextenso.fr/weblextenso/article/print?id=PA201316604 période du bicentenaire de la Révolution (23) . En tous points, il critique cette subjectivisation du droit, qui sape les fondements du droit objectif et le vide de son contenu (24) . Cette incidence a dépassé la règle de fond pour atteindre la règle de forme. Si la première de ces normes précise les modalités de jouissance des droits subjectifs offerts à l'individu, la uploads/S4/ www-lextenso-fr-weblextenso-article-print-id-pa201316604.pdf

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  • Publié le Sep 18, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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