Le contrôle de la constitutionnalité des lois Regards sur dix années d’évolutio
Le contrôle de la constitutionnalité des lois Regards sur dix années d’évolution (*) Mohammed Amine BENABDALLAH Professeur à l’Université Mohammed V Rabat-Souissi 1 – Elément indispensable dans un Etat de droit (1), le contrôle de la constitutionnalité des lois a depuis longtemps fait l’objet au Maroc (2) d’une revendication permanente des juristes. Voici un peu plus d’une vingtaine d’années, un colloque à ce sujet ( 3) avait permis de centrer l’ensemble des interventions et des débats sur la nécessité d’instituer un moyen permettant le contrôle de la conformité des lois aux dispositions de la constitution. C’était d’autant plus essentiel que le Maroc venait à peine de sortir d’une longue période marquée par un Etat d’exception qui avait duré cinq ans, de 1965 à 1970, et une période transitoire suite à la promulgation d’un nouveau texte constitutionnel qui avait duré autant, de 1972 à 1977 (4). C’est une quinzaine d’années plus tard que, lors de la révision constitutionnelle de 1992, le constituant a introduit dans le texte tout un titre créant le Conseil constitutionnel qui, pourrait-on dire, existait déjà sous une autre forme mais avec des compétences limitées ; un conseil qui entra en fonction à partir de mars 1994 et que l’on a doté d’une nouvelle compétence qui faisait défaut à son prédécesseur, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême (5). * Revue Marocaine d’Administration Locale et de Développement (REMALD) n° 57, p. 9 et suiv. 1 Bien que certains pays dont l’orientation démocratique ne fait aucun doute, tels que la Grande Bretagne, la Suisse, Pays Bas, le Luxembourg, ne disposent pas d’une justice constitutionnelle, mais possèdent cependant des moyens de régulation juridique qui leur sont propres ( G. Vedel, Démocratie et justice constitutionnelle, C.E.R.P., Tunis, 1995, p. 24 ), on doit reconnaître qu’il est difficile d’admettre l’existence d’une constitution et en même temps l’absence d’un organe chargé de contrôler la conformité des lois à son contenu. De nos jours, l’institution est devenue si universelle et si indissociable de l’Etat de droit qu’elle s’impose, selon l’observation de D. Rousseau, La justice constitutionnelle en Europe, édit. Clefs, Montchrestien, 1996, p. 9, comme « élément obligé de toutes les constitutions modernes au même titre que l’institution des assemblées parlementaires, d’un gouvernement ou d’un chef de l’Etat ». 2 Toute proportion gardée, on rappellera que le projet de constitution du 11 octobre 1908 prévoyait un contrôle de constitutionnalité, puisque son article 54 disposait que le conseil des notables devait rejeter toute disposition portant atteinte à la constitution. Par ailleurs, on peut dire qu’il instituait, article 34, une espèce d’exception d’inconstitutionnalité par la possibilité ouverte à tout sujet marocain de déposer, sans conditions ou précisions de délai, devant le Conseil consultatif une plainte contre tout acte contraire à un article de la Constitution. 3 Journées d’études sur le contrôle de la constitutionnalité des lois, organisées à la faculté de droit de Rabat en mai 1982. 4 Pour ce qui concerne la constitutionnalité des lois, on signalera que la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, instituée avec la Constitution du 14 décembre 1962, était bien là mais elle ne connaissait d’aucune loi organique du fait que toutes les lois organiques des deux périodes 1965 à 1970 et de 1972 à 1977 avaient été prises par le Roi et entraient immédiatement en application. 5 M. Zaoui, La Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, Mémoire de cycle supérieur, ENAP, Rabat, 1983 ; N. Bernoussi, La jurisprudence de la Chambre constitutionnelle marocaine, thèse de 3 e cycle, Montpellier, 1985 ; B. Hamiani, La justice constitutionnelle au Maroc, Thèse, Paris I, 1986. 1 2 – De cette nouvelle compétence, on pouvait attendre le meilleur comme on pouvait en attendre le pire. Le meilleur eût été que le Conseil devînt un parfait contrôleur du législatif sans regard aucun pour le caractère politique du contenu du texte qui lui est soumis ; en d’autres termes, une juridiction qui statue en son âme et conscience. Le pire eût été que le Conseil devînt une espèce d’avocat inconditionnel des pouvoirs publics, peu regardant sur la constitution, leur donnant raison en tordant le coup, s’il le fallait, aux dispositions constitutionnelles les plus claires. Qui contestera que c’est cette compétence de juge de l’excès de pouvoir législatif (6) qui permet au Conseil constitutionnel de s’affirmer et de devenir une autorité juridictionnelle au même titre que l’est le juge de l’excès de pouvoir à l’égard de l’administration ? Lors de son institution en février 1994 (7) et de la nomination de ses premiers membres le 21 mars de la même année, le Roi Hassan II avait exprimé le souhait de voir naître avec la nouvelle institution une école marocaine de droit constitutionnel. Sans doute, une école qui prenne en considération la spécificité marocaine de l’esprit des dispositions même si pour la plupart elles sont d’une inspiration qui tire sa source d’une expérience étrangère ( 8). Une école purement marocaine qui définisse le corpus juridique dans le domaine des droits et libertés et des principes consacrés par la Constitution par référence au bloc de constitutionalité qu’elle recèle et permette ainsi une constitutionnalisation du droit marocain ( 9). Une école qui, grâce à sa jurisprudence et ses définitions, permettra l’enracinement de la nouvelle institution dans la culture et les mœurs marocaines. A cet égard, et précisément en ce domaine, il semble un peu trop tôt de formuler un quelconque jugement qui permette de rendre fidèlement compte de l’évolution de notre jurisprudence constitutionnelle. 3 – Sur dix années, en effet, la Haute Instance n’a eu que très peu l’occasion de se prononcer sur la constitutionalité des lois. De mars 1994 à mars 2004 ( 10), le Conseil a eu à examiner la 6 On ne saurait employer cette expression sans citer la précieuse et désormais classique étude comparative du Doyen Georges Vedel, Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif, Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 1, 1996, p. 57 et n° 2, p. 77. 7 Le 28 janvier 1994, la Chambre des représentants avait adopté la loi organique relative au Conseil constitutionnel et la Chambre constitutionnelle, qui rendait ainsi la dernière décision de son existence étalée sur plus de trente années, l’avait déclarée conforme à la constitution le 9 février 1994. 8 S’adressant aux membres le Souverain déclarait : « Par ce Conseil constitutionnel, vous allez inaugurer une nouvelle ère de la justice, vous serez appelés à créer une école juridique marocaine en droit public et en droit constitutionnel tout particulièrement ». 9 Le Souverain avait parlé d’une « école marocaine constitutionnelle alliant authenticité et modernité, une école qui ne se réfère pas, dans ses considérants et ses motifs, au seul droit positif, mais aussi à notre patrimoine premier, à savoir notre authenticité arabe et islamique fondée sur les vertus individuelles et collectives transmises par le Très Haut à Son messager, outre l’Ijtihad qui ne peut intervenir que dans le cadre de ces données… ». Sur la constitutionnalisation du droit français, voir G. Vedel, loc. cit., p. 57 ; également, L. Favoreu, L’apport du droit constitutionnel au droit public, Pouvoirs n° 13, 1980, p. 17. L’auteur parle du bouleversement des données fondamentales du droit public et de la réunification de celui-ci ; en dix années a eu lieu une coloration progressive des branches du droit par le « constitutionnel ». 10 D’après les statistiques du service de documentation du Conseil constitutionnel, depuis son entrée en fonction le 28 mars 1994 jusqu’en octobre 2003, la Haute instance a rendu 541 décisions dont 445 relatives au contentieux électoral. 2 constitutionnalité de 13 lois organiques et de 7 lois ordinaires. Bien plus, même les domaines dont il a eu d’office à connaître ou dont il fut saisi n’ont, pour la plupart, et hormis quelques rares cas, pratiquement jamais concerné des sujets en relation directe avec les libertés, les droits fondamentaux ou des questions de droit constitutionnel qui permettent réellement l’édification d’une jurisprudence qui complète en l’expliquant ou en la clarifiant la constitution. Inutile de dire que sur ce plan, le Conseil constitutionnel n’y est pour rien, tant il est vrai qu’il ne peut statuer que sur ce qui lui est soumis. Néanmoins, ceci ne l’a pas empêché de suivre une certaine démarche jurisprudentielle, qu’il a adoptée et construite d’une manière empirique, cas par cas, au fil des saisines et en fonction de leurs auteurs. En simplifiant à l’excès, on dira qu’il navigue à vue en s’abstenant d’avoir une politique préconçue ou préétablie. Autant, lorsqu’il s’agit d’une loi organique où, par la force des choses, il est contraint de passer au crible l’ensemble de ses dispositions, il s’acquitte de sa mission sans rien négliger, autant, lorsqu’il s’agit d’une loi ordinaire où il est saisi d’une question bien précise, il s’arrange avec un admirable brio pour trouver le moyen de répondre à une question qui ne lui était pas posée tout en évitant celle dont il a été saisi. C’est du moins ce qui ressort de ses rares décisions. 4 – C’est sur cette double orientation que l’on se propose de jeter uploads/S4/benabdallah-control-fra 1 .pdf
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- Publié le Nov 24, 2022
- Catégorie Law / Droit
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