1 Journée d’études — 9 Mai 2016 Musée national des douanes de Bordeaux « Approc

1 Journée d’études — 9 Mai 2016 Musée national des douanes de Bordeaux « Approche globale de la fraude. Frontières et comportements illicites » Fraude, contrefaçon et contrebande: définitions et distinction des régimes juridiques au regard du droit douanier contemporain1 Fabrice Bin (juriste, université Toulouse1 Capitole, IRDEIC) Depuis ses débuts, le projet qui nous réunit aujourd’hui, « FRaude et Inégalités en situation TransfrontalièrE », met l’accent sur la « fraude » tout en donnant l’occasion à de nombreux participants de focaliser leur attention sur la contrefaçon ou la contrebande. L’objet de la présente communication consiste à analyser avec les instruments du juriste ces trois notions et à dresser quelques éléments de comparaison avec l’usage dont elles sont l’objet de la part des autres disciplines. Les franchissements des frontières et les phénomènes de fraude dont ils sont l’objet ou l’occasion sont régis en droit par une discipline particulière : le droit douanier. Ce droit douanier peut être défini organiquement comme le droit de l’administration des douanes ou matériellement comme le droit contenu dans le Code des douanes. Or, comme le soulignent Claude J. Berr et H. Trémeau2, une telle démarche est inexacte d’abord parce que l’administration des douanes exerce des compétences très variées (par exemple la perception d’impôts environnementaux). Il importe donc de s’attacher à ce que ces auteurs appellent la « vocation » du droit douanier. Malgré la libéralisation des échanges liée à la mondialisation contemporaine, ils soulignent que la Douane relève toujours d’une certaine idée « somme toute classique, de protection économique »3. Protection économique aux frontières ajouterait-on. Pour sa part, le doyen Jean-Luc Albert parle de « fonction régalienne spécifique de protection et de lutte contre les contrefaçons et les trafics ce qui se différencie de la simple collecte d’impôts disparates4. » Le droit douanier dont il sera ici question est-il un droit français ou, depuis la construction du vaste marché commun devenu marché unique européen, un droit de l’Union européenne ? Il existe certes un Code douanier de l’Union européenne5. Cependant, le droit douanier procédural reste national. C’est donc le Code des douanes français qui sera ici commenté. 1 L’auteur remercie très vivement sa collègue Sophie Raimbault de Fontaine, Université Toulouse 1 Capitole, pour sa lecture critique et ses précieux conseils. 2 Claude J. Berr et H. Trémeau, Introduction au droit douanier, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1997, p. 4 sq. repris in Claude J. Berr, Introduction au droit douanier, nlle éd., Paris, Economica, 2008, p. 2 sq. 3 Op. cit., p. 6 ; C. J. Berr, op. cit., p. 3. 4 Jean-Luc Albert, « Faut-il conserver la spécificité douanière ? », RFFP n°113, fév. 2011, p. 234. 5 Règlement (UE) n ° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l'Union, JO UE du 10.10.2013, L 269/1, pp. 1-101. Ce nouveau code est entré en application le 1er mai 2016. 2 La contrebande constitue en quelque sorte l’infraction « star » du code des douanes, l’objet le plus célèbre des poursuites des douaniers, elle est d’ailleurs la seule à être définie au Code des douanes à l’article 417. Les notions de fraude et de contrefaçon renvoient aux conceptions développées dans d’autres domaines du droit : respectivement le droit pénal et le droit de la propriété intellectuelle. Le droit douanier est donc en quelque sorte l’instrument de répression des atteintes portées à d’autres domaines du droit, en plus de se préoccuper de son délit « naturel » qu’est la contrebande. Cependant, il faut observer que, si la notion de contrefaçon est relativement précise, celle de fraude est relativement large. Les divers usages que le Code des douanes en fait attestent de son caractère « englobant » qui a pour but de donner la plus grande efficacité aux textes qui en font mention. De même, la définition de la contrebande de l’article 417 est en réalité celle d’une notion souple permettant aux douaniers de lutter efficacement contre les trésors d’inventivité déployés par les fraudeurs. En privilégiant une approche assez souple des formes que prennent contrebandes, contrefaçons et fraudes diverses, le droit douanier se rapproche en quelque sorte du langage courant et de la démarche englobante des autres sciences humaines. Fraude, contrefaçon et contrebande renvoient ainsi à des pratiques et à des imaginaires humains particulièrement variés autour du franchissement des frontières, seul aspect permettant de singulariser notre sujet d’étude commun. Cette contribution juridique a pour objet de présenter les notions juridiques de fraude, contrebande et contrefaçon (I) et d’en exposer les conséquences contentieuses (II). I – DE QUOI PARLE-T-ON ? LES NOTIONS JURIDIQUES DE FRAUDE, CONTREFAÇON ET CONTREBANDE Le droit a une prétention linguistique particulière. Certains juristes prétendent parfois que depuis que les facultés de lettres auraient renoncé à apprendre le français, seules les facultés de droit auraient un usage correct de la langue. Pourtant, la langue juridique relève d’un mélange linguistique. Elle est à la fois une langue technique et emploie dans certains cas un vocabulaire imprécis qui n’est pas sans renvoyer aux usages courants de la langue française. Si bien que quand il s’agit de distinguer fraude, contrebande et contrefaçon, le recours aux notions techniques du droit ne suffit pas. Comme le soulignaient les « douaniers » Bastid et Demumieux : « La fraude est le nom ordinaire des infractions aux lois et règlements divers que la douane est chargée de faire respecter. La contrebande est sa forme la plus grave : elle consiste à faire franchir la frontière à des marchandises, en dehors des bureaux de douane.6 » Dès lors, il faut distinguer la notion « ordinaire », ambiguë de fraude de celles plus précises de contrebande et de contrefaçon. 6 J. Bastid et J.-P. Demumieux, Les douanes, Puf, coll. Que sais-je ? n°846, Paris, 3e éd., 1976, p.114. 3 A. Une notion ambiguë : la fraude Si la « fraude » est une notion courante, elle présente une certaine ambiguïté car, parfois, elle renvoie à une incrimination particulière dans le domaine fiscal. 1. La notion « courante » de fraude À de multiples reprises dans les textes de droit comme dans l’intitulé du projet qui nous réunit aujourd’hui, « FRaude et Inégalités en situation TransfrontalièrE », le mot de fraude apparaît comme il en est d’usage dans le langage courant, sans rapport précis avec une situation juridique particulière. Ce n’est bien évidemment pas le seul cas qui existe, quoiqu’il n’y ait pas toujours coïncidence entre le langage courant et la langue du droit. Par exemple, si tout le monde comprend de quoi l’on parle à propos des « paradis fiscaux » (notion qui n’est pourtant pas très précise), le terme lui-même ne se retrouve pas en droit. Il faut plutôt faire un parallèle avec l’évasion fiscale. Pour définir la fraude, il faut donc se référer à des notions générales. Par exemple : « n.f. – fraulde 1255 – lat. fraus fraudis – 1. VX Action faite de mauvaise foi dans le but de tromper. – 2 MOD. Tromperie ou falsification punie par la loi. Délit de fraude.7 » Cette définition du Robert et d’autant plus intéressante qu’elle montre que la notion généraliste plus ancienne a laissé la place à une conception clairement liée au domaine spécifique du droit. Autre définition : « [Dr. gén.] Action révélant chez son auteur la volonté de nuire à autrui (conjoint, cocontractant, copartageant, plaideur) ou de tourner certaines prescriptions légales (fraude fiscale).8 » On le voit, cette définition juridique du terme allie à la fois la définition ancienne présentée par le Robert –mais en la cantonnant au domaine juridique – et la définition moderne. Il faut ajouter que les juristes prolongent la notion de fraude par ce qu’ils appellent la « fraude à la loi » : c’est-à-dire la fraude à l’esprit de la loi qui consiste à appliquer la lettre des textes tout en voulant échapper à leur objectif. Par exemple, la convention franco-monégasque de 1963 prévoit que les résidents fiscaux de nationalité française qui s’installent à Monaco continuent à payer au fisc français l’impôt sur le revenu. Serait une fraude à la loi le fait d’être de nationalité française et de chercher à obtenir par exemple la nationalité belge pour abandonner ensuite la nationalité française et pouvoir s’installer à Monaco afin d’y échapper à l’impôt français sur le revenu9. La fraude douanière est une violation des règles douanières mais l’évasion fiscale est « légale » en ce qu’elle consiste à utiliser les textes pour échapper à l’impôt. Les spécialistes parlent de façon plus euphémistique d’optimisation fiscale. En tant que telle, et sauf cas particulier, l’évasion n’est pas une fraude et nécessite des textes spéciaux pour être poursuivie, spécialement l’évasion internationale. Il faut d’ailleurs clairement la distinguer d’un cas particulier de fraude que les services douaniers peuvent rencontrer – car elle peut être couplée à un délit douanier – la « fraude fiscale ». Là, on quitte le domaine du vocabulaire courant pour entrer dans un cadre juridique bien précis. 7 J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), Le Nouveau uploads/S4/fraude-contrefacon-et-contrebande-definitions-et-distinction-des-regimes-juridiques-au-regard-du-droit-douanier-contemporain.pdf

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  • Publié le Mar 01, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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