La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? Christian HUGLO - Avo
La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? Christian HUGLO - Avocat à la Cour, Docteur en Droit et Codirecteur du Jurisclasseur environnement NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 43 (LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET L'ENVIRONNEMENT) - AVRIL 2014 Résumé : Malgré le nombre réduit de QPC faisant application de la Charte de l'environnement de 2005, notamment en raison d'une grande importance des filtres ou encore du coût de la procédure, on doit considérer que celle-ci restera un instrument essentiel pour la reconnaissance d'un droit particulièrement nécessaire à notre temps. En effet, la QPC a permis d'inciter le législateur à appliquer le principe de participation du public pour le rendre conforme aux normes constitutionnelles et de dégager un devoir non mentionné dans la Charte, à savoir le devoir de vigilance. Pourtant, des améliorations d'ordre procédural paraissent encore indispensables notamment quant à la place faite aux requêtes en intervention devant le Conseil constitutionnel ainsi que du recours à l'expertise. « Il y a ceux qui regardent le monde tel qu’il est et qui se disent pourquoi ? Et ceux qui regardent le monde tel qu’il devrait être et qui se disent pourquoi pas ? » Avant de se poser la question de l’utilisation ou encore de l’utilité d’une procédure juridictionnelle permettant le développement d’une branche d’un droit ou d’une discipline juridique, il convient, sans aucun doute, de tenter de cerner au moins leur objectif, voire même leur vocation. C’est bien pourquoi cette citation de G.B. Shaw trouve ici toute sa pertinence tant à l’égard du droit de l’environnement que du droit constitutionnel et en particulier de la procédure de QPC entrée en vigueur le 1 mars 2010. En effet, contrairement à ce qui a été soutenu pendant longtemps, le Droit n’est pas une simple résultante des forces sociales. Il maintient sans doute un certain ordre entre elles mais l’opère toujours dans une certaine direction, en s’adaptant, au mieux, aux circonstances pour que les valeurs existantes et les valeurs qui émergent soient parfaitement équilibrées et soutenues. Ainsi, à certaines époques, un droit nouveau émerge pour répondre à des aspirations profondes et aider la société à faire face à de nouveaux objectifs qui se dessinent. Tel est le cas tant pour le droit de l’environnement que pour la QPC. Pour répondre un jour, peut-être encore lointain, à sa vocation finale qui est celle de devenir le droit commun du patrimoine de l’humanité(2), le droit de l’environnement a dû dès ses débuts, faire er appel, sur le plan interne, à toutes les disciplines et les procédures, aussi bien pénales, civiles qu’administratives existantes, surtout de droit public d’abord, puis du droit communautaire et international. Ainsi, pour s’affirmer, il a dû non seulement se spécialiser au-delà de ses emprunts, mais encore pour parvenir à durer, il a dû chercher à faire reconnaître sa place d’abord dans la hiérarchie des normes juridiques puis parmi les droits fondamentaux issus de trois sources différentes : le droit communautaire, le droit international issu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (ce qui s’est fait dans les années 1990), pour atteindre finalement la sphère constitutionnelle qui a été acquise avec la Charte de l’environnement de 2005(3). Les principes fondamentaux et les droits d’ailleurs de natures très diverses que la Charte de l’environnement développe, ont été rapidement reconnus comme devant être considérés à égalité avec les autres principes et droits fondamentaux issus du préambule de la Constitution, de la Déclaration de 1789 et celle de 1946, tant par la jurisprudence du Conseil d’État que par celle du Conseil constitutionnel(4). Aussi, le droit de l’environnement peut se caractériser aujourd’hui par trois adjectifs qui permettent d’en comprendre son dynamisme. Il est à la fois complexe par nature, composite par appel à différentes disciplines classiques du droit auxquelles il se réfère, expansif puisqu’il a tendance à aborder certaines branches nouvelles du droit et qu’il est vivifié par le progrès des disciplines juridiques spécialisées et connexes (droit des énergies, droit des produits, droit naissant de l’économie circulaire). Dans tous les cas de figure il reste en permanence interpellé par les avancées de la connaissance scientifique (les nanotechnologies, les biotechnologies, la biodiversité pour les équilibres biologiques). En un mot, aujourd’hui, il ne peut plus être regardé comme cantonné à une simple juxtaposition de polices administratives spéciales visant à la protection de la nature et la lutte contre la pollution. La situation de la procédure dite de QPC est, en apparence, très différente : en effet elle a pour vocation de contrôler essentiellement dans l’ordre interne l’application du droit constitutionnel pour le relier à toutes les autorités de la République, y compris les autorités judiciaires. Aujourd’hui, elle paraît être caractérisée comme une procédure à disposition des citoyens visant à assurer l’harmonisation et la cohérence des droits et libertés entre eux par rapport à l’ordre constitutionnel, en particulier à rappeler le législateur à ses devoirs. Mais elle paraît aussi pouvoir constituer, à terme, un premier pas vers un juge constitutionnel de plein exercice ; or, et du fait même que la Charte était reconnue comme ayant valeur constitutionnelle, la QPC ne pouvait pas ne pas s’intéresser au droit de l’environnement. Mais il ne faut pas oublier non plus que le contentieux de l’environnement se nourrit de droit communautaire et de droit international, tout autant que de droit interne, champ d’application direct et unique de la QPC. Cela ne signifie pas pour autant que le droit de l’environnement pourrait se croire justifié à se détourner de la QPC ; on comprendra aussi aisément qu’il peut chercher à utiliser la QPC comme un moyen pour assurer sa place et sa reconnaissance dans la hiérarchie des normes. Ces éléments de fond expliquent sans doute les raisons pour lesquelles la QPC n’a pas eu tout le succès au moins sur le plan quantitatif, que l’on pouvait imaginer. On constatera que si son attrait reste, en réalité, limité par des raisons mécaniques, c’est-à-dire de pure procédure, et surtout à notre sens pour des raisons de droit, et de fond (I partie), il ne faudrait pas s’arrêter re à un constat relativement pessimiste : il convient en effet de relever que le choix reste ouvert au juge pour parvenir à dépasser les imperfections de la formulation des droits contenues dans la Charte et aboutir à une appréciation opérationnelle de ses dispositions. Mais il faudra également jouer aussi dans des avancées de procédure tant devant le juge du fond que devant son juge naturel (II partie). Ainsi, l’analyse de la première partie portera sur la question de l’utilisation de la QPC à travers la demande des usagers, la seconde sur ce que le juge (non seulement le juge constitutionnel mais aussi le juge de droit commun) devrait pouvoir accomplir, pour continuer à la développer. I - Un bilan quantitatif assez faible mais qui s’explique parfaitement e Sur le plan quantitatif, le bilan global est assez maigre puisque le Conseil constitutionnel n’a statué au fond et au maximum que sur 13 QPC faisant application de la Charte de l’environnement sur un total de 308 QPC dont il a été saisi, ce qui représente moins de 5 % du total. Tout ceci s’explique sans doute par la jeunesse de l’institution et du droit de l’environnement. Mais avant d’aller plus avant, il convient de regarder les chiffres plus globalement (A), puis les critères retenus pour les établir (B) ; on examinera enfin les raisons d’être les plus pertinentes de cette situation (C). A – Sur le premier point, on observe en effet que le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel moins d’un quart des QPC faisant application de la Charte (10 QPC ont été transmises par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel, et 33 ont fait l’objet d’une décision de rejet ou de non transmission). Ces chiffres paraissent dérisoires, si on les rapporte aux 2 252 QPC(5) dont a été saisie la juridiction administrative dans son ensemble de 2010 à 2012. Pourtant, si l’on compare avec le taux de renvoi au Conseil constitutionnel de l’ensemble des QPC (toutes matières confondues) transmises au Conseil d’État ou présentées directement devant lui, pour la période 2010-2012 qui est de 24,3 %, on remarque que les chiffres peuvent être relativisés(6). On pourrait être tenté d’en déduire que ce sont les juges administratifs des premier et second ressorts qui opèrent un contrôle trop restrictif. À cet égard, on peut noter qu’aucune QPC n’a encore été transférée dans le cadre d’une procédure en référé, le juge des référés faisant prévaloir le contrôle d’opportunité sur celui de la constitutionnalité.(7) L’application de la procédure de QPC en matière environnementale par le juge judiciaire est plus décevante puisque seulement 3 QPC faisant application de la Charte ont été transmises au Conseil constitutionnel et 4 QPC portant sur des dispositions de la Charte de l’environnement ont fait l’objet de décision de non-transmission (entre le 1 mars 2010 jusqu’au 31 janvier 2012, 1 414 QPC avaient été enregistrées par les juridictions judiciaires).(8) Une partie de la doctrine considère à cet égard que la Charte uploads/S4/la-qpc-quelle-utilisation-en-droit-de-l-x27-environnement-conseil-constitutionnel.pdf
Documents similaires










-
36
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 07, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.3938MB