Critique économique n° 23 • Hiver 2009 35 Résumé Les variations des taux de cha

Critique économique n° 23 • Hiver 2009 35 Résumé Les variations des taux de change peuvent atteindre aussi bien les valeurs des créances et des dettes exprimées en devises (approche comptable) que les marges bénéficiaires et la compétitivité de l’entreprise (approche économique). Face aux limites de l’approche comptable, pour l’évaluation des effets des variations des taux de change sur la position concurrentielle et la valeur de l’entreprise, nous avons développé une approche plus globale en termes de « profil de risque ». L’analyse de cette approche nous a permis de dégager, sur le plan théorique, les facteurs de sensibilité d’une entreprise industrielle aux variations des taux de change. Sur la base d’une étude empirique, menée auprès d’un échantillon d’entreprises industrielles exportatrices marocaines, cinq facteurs peuvent être considérés comme paramètres de sensibilité, par ordre d’importance : degré d’implication à l’exportation ; l’expérience de l’entreprise ; la diversification des débouchés ; le degré de la concurrence et la situation de l’entreprise à l’égard du commerce extérieur. Mots-clés Variations taux de change, profil de risque, facteurs de sensibilité, entreprises industrielles exportatrices. Introduction Au cours de ces dernières années, l’évolution de l’environnement économique de plus en plus « financiarisé », l’extrême capacité d’innovation financière des opérateurs (émergence des produits dérivés ou nouveaux instruments financiers), l’interconnexion et la mondialisation des marchés de capitaux (1) sont autant de variables ayant contribué à accroître les risques financiers des entreprises. Parmi ces derniers, on trouve le risque engendré par les variations imprévisibles des taux de change. Les variations du taux de change, quel que soit le système monétaire (ou « non-système », c’est-à-dire ni vraiment fixe, ni franchement flottant) dans lequel elles s’insèrent constituent une source de modification des Abderrahman Alaoui Ismaili Université Sidi Mohammed ben Abdallah, Fès (aalaouiismaili@yahoo.fr) Abdellatif El M’kaddem Ecole supérieure de management, Fès (elmkaddem2@yahoo.fr) Variations des taux de change et facteurs de sensibilité des entreprises exportatrices marocaines (1) Sur ces thèmes voir : – Ch. Borromee, l’Entreprise face aux risques internationaux, Editions d’Organisation, 1987. – Ph. Norel, la Financiarisation du change, GRIEF, document de recherche n° 1996-02, Université de Poitiers, janvier 1996. – H. Bourguinat, Finance internationale, PUF, 1992, ch. (III), « La finance globale », p. 87 et suiv. Abderrahman Alaoui Ismaili et Abdellatif El M’kaddem 36 Critique économique n° 23 • Hiver 2009 positions compétitives. Elles sont issues d’une variable exogène, non contrôlée par l’entreprise, mais celle-ci doit réagir (2). Quoi qu’il en soit, les variations des taux de change ont des effets réels sur la compétitivité et les performances des entreprises. Devant les limites que représente l’approche comptable pour l’évaluation des effets de l’aléa cambiaire, il est intéressant de développer une approche plus globale qui prend en considération tous les effets possibles des variations des taux de change sur l’entreprise. C’est pourquoi nous tenterons d’introduire un nouveau concept : « le profil de risque » d’une entreprise. Notre tentative d’analyse de ce concept permettra de préciser les facteurs qui peuvent influencer le niveau de sensibilité d’une entreprise aux variations des taux de change. Les considérations théoriques précédentes nous amènent à nous interroger sur la situation des entreprises marocaines en partant d’un échantillon de 70 entreprises œuvrant dans les secteurs de l’agro-alimentaire et du textile-cuir. 1. Les effets des variations des taux de change sur les entreprises industrielles Dans une économie délibérément ouverte à la concurrence internationale, l’analyse et l’évaluation des effets des variations des taux de change sont relativement complexes. Elles imposent de prendre en compte l’ensemble des activités de l’entreprise sous leurs différents aspects (industriel, commercial, comptable) et d’identifier l’influence d’une variation du cours des devises sur chacune d’elles. Le tableau 1 indique les zones de risque de change et identifie ses sources, en distinguant trois concepts de risque de change : le risque de translation, le risque de transaction et le risque de concurrence (3). (2) S. Urbain, Management international, LITEC, 1993, p. 51. (3) J.F. Berthier, les Risques financiers de l’entreprise, op. cit., p. 49. Nature Eléments Enjeu Tableau 1 Zones de risque de change Risque sur flux Risque sur éléments permanents Risque sur éléments de concurrence – Flux commerciaux libellés en devises. – Flux financiers : remboursement d’avances en devises, reprise de placements en devises, intérêts des emprunts et placements, rapatriement de dividendes. – Opérations financières : Endettement à long terme, placements financiers. – Filiales étrangères : impact sur bilan consolidé. – Compétitivité interne : maîtrise des coûts importés. – Compétitivité externe: parts de marché (intérieur ou extérieur). Gain ou perte sur opération de change réelle = Transaction Maintien de la valeur d’un actif ou limitation du coût d’un endettement = Translation Position concurrentielle de l’entreprise = Compétitivité Variations des taux de change et facteurs de sensibilité des entreprises exportatrices Dans un système de taux de change flottant, dès qu’une entreprise réalise une opération qui implique une entrée ou une sortie de devises dans les mois ou les années avenir, il y a risque de change, car l’entreprise ne connaît pas à l’avance le cours de cette devise et donc la contrepartie dans sa monnaie de ces flux en devises. Ce type de risque de change est désigné par les termes de « risque de transaction ». Les taux de change peuvent avoir aussi des impacts sur la position concurrentielle et la valeur de l’entreprise, qui traduisent « le risque de change économique » : il n’est pas nécessaire qu’elle réalise une opération impliquant une entrée ou une sortie de devises. Enfin, les variations des taux de change ont des effets sur les états comptables des entreprises qui reflètent le « risque de change de traduction » (ou de translation). Le risque de change de transaction naît du fait que des coûts ou des flux sont libellés en devises étrangères. En effet, si le cours de la devise change, le montant des flux commerciaux, couvert en monnaie nationale, est affecté par ce changement. A chaque fois qu’une opération commerciale se dénoue par une opération de change, la valeur réelle de la transaction n’est connue qu’à son échéance, et l’entreprise s’expose à un risque de change qui apprécie ou déprécie le produit de son opération ou, plus exactement, sa marge bénéficiaire. La notion de risque économique (on parle également de risque de compétitivité ou de risque industriel ou induit) est beaucoup plus large mais aussi plus difficile à identifier. Comme le remarque Chenaux de Leyrtz (4) : « Par l’ampleur de ses conséquences, le risque de change économique revêt une importance beaucoup plus grande que le risque de transaction. Son analyse n’est pas un processus comptable mais le résultat d’une analyse stratégique et économique. » En matière de risque économique, la distinction taux nominal / taux réel est fondamentale, car leurs implications sont très différentes. Les taux de change sont liés aux taux d’inflation d’après la parité des pouvoirs d’achat. Cette dernière indique que la variation des cours des devises est égale au différentiel d’inflation entre le pays de la devise considérée et le pays de la monnaie de référence. En effet, si l’évolution des cours des devises est due uniquement à l’évolution du différentiel d’inflation, les prix relatifs ne se modifient pas, et les positions concurrentielles sont identiques. Il n’y a pas d’effet réel des cours des devises. Au contraire, si les variations des taux de change ne sont pas liées aux variations du différentiel d’inflation, il y a une modification des prix relatifs et de la position concurrentielle des entreprises, et donc un effet réel des taux de change. L’impact économique d’une modification de change sur une entreprise diffère selon que le changement est pleinement compensé par la différence entre les taux d’inflation ou selon que le taux de change réel et donc les prix relatifs se modifient. C’est la variation du taux de change réel qui détermine le risque de change économique (5). Critique économique n° 23 • Hiver 2009 37 (4) Cheneaux de Leyrtz M., Gestion financière des entreprises internationales, PUF, 1996, p. 84. (5) Cheneaux de Leyrtz M., op. cit., p. 88. Abderrahman Alaoui Ismaili et Abdellatif El M’kaddem En outre, l’identification du risque économique prend en compte les variations non anticipées des taux de change et non pas leurs variations totales. La distinction entre variations anticipées et variations non anticipées des taux de change marque l’existence ou non d’un risque de change. En effet, à partir du moment où les variations de taux sont anticipées en totalité, c’est-à-dire intégrées dans la stratégie de l’entreprise, il n’y a pas de risque de change. Il faudrait donc mesurer uniquement les variations non anticipées. La vulnérabilité d’une entreprise au risque de change économique dépend de l’impact des variations de change sur les cash-flow futurs, en fonction de l’impact sur les coûts, les prix et le volume des ventes. Ce risque, difficile à évaluer, dépend de la répartition des marchés de l’entreprise, de la variété de ses fournisseurs et de son degré de flexibilité afin de modifier ses structures de production et de marketing. L’incidence des variations sur le chiffre d’affaires et sur la marge bénéficiaire uploads/Finance/ 1562-5602-1-pb.pdf

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  • Publié le Oct 01, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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