Catalyse et environnement l’actualité chimique - août-septembre 2002 52 La biod

Catalyse et environnement l’actualité chimique - août-septembre 2002 52 La biodégradation des polluants organiques Métabolisme, estimation des risques, dépollution et biodétection Jamal Ouazzani Summary Biodegradation of organic pollutants. Metabolism, risk assessment, bioremediation and biodetection The presence of toxic organic pollutants in soils and aquifers contribute to the development of highly resistant microorganisms. This resistance is the consequence of partial or total degradation of the pollutant by enzymes. Elucidation of enzymatic mechanisms and identification of the metabolites help to predict the impact of the pollution on public health and environment, and the urgency of prevention and remediation processes. Based on a representative and accurate example, this paper describes both fundamental and applied benefits in investigating microbial degradation of organic pollutants. Mots-clés Biodégradation, polluants organiques, cytotoxicité, micro-organismes, trinitrotoluène. Key-words Biodegradation, organic pollutants, cytotoxicity, microorganisms, trinitrotoluene. La pollution chimique que connaît actuellement la planète n’est pas le seul fait des xénobiotiques, substances non naturelles produites principalement par les industries chimiques (pesticides, détergents, colorants, explosifs…). Elle est aussi et surtout le résultat de l’accumulation, du déplacement et de la transformation de produits naturels d’origine géologique (hydrocarbures…) ou anthropogénique (ordures, lisier, boues de stations d’épuration, produits d’incinération…). Deux types de risques sont à déplorer, les risques environnementaux et les risques pour la santé publique. La notion de risque socio-économique est apparue récemment et reflète l’incidence d’une pollution sur le développement, voire la survie, d’une région ou d’une activité. Dans la majorité des cas, la pollution recouvre ces différents risques. La biodégradation est le facteur naturel majeur d’élimination et de recyclage des déchets organiques. Il se distingue de la bioconversion par le nombre généralement important de réactions mises en jeu (figure 1). Certains polluants résistent cependant à la biodégradation et persistent avec des temps de demi-vie qui peuvent atteindre un demi-siècle ou plus. Ces produits qualifiés de récalcitrants sont généralement des xénobiotiques, mais certains produits naturels le sont également (lignine). Cette résistance à la biodégradation est due soit à une cytotoxicité accrue du polluant qui finit par stériliser le milieu contaminé, soit à une structure chimique inaccessible aux attaques enzymatiques. La biodégradation, en tant que procédé de décontamination, vise à mettre au point des méthodes microbiologiques utilisables en milieu ouvert, et transposables à une échelle pouvant atteindre des milliers de m3 d’effluents ou des centaines de tonnes de sols contaminés. Ces contraintes excluent de manière générale l’utilisation d’enzymes purifiées en biodépollution et justifient l’utilisation d’organismes vivants, principalement des micro-organismes. La deuxième raison qui exige l’utilisation d’organismes vivants est la prédominance en biodégradation de réactions d’oxydoréduction nécessitant la régénération permanente de cofacteurs, qui ne peut être assurée de manière économiquement viable qu’in vivo. Quelques exemples d’utilisation de préparations enzymati- ques, principalement des hydrolases, sont cependant rapportés pour la biodégradation de graisses. La pression de sélection, imposée dans le milieu contaminé par le polluant, laisse émerger quelques micro-organismes (Phanerochaete, Pseudomonas, Bacillus...) dotés d’enzymes extrêmement efficaces pour la dégradation des substances organiques récalcitrantes. Cette capacité d’adaptation, vitale pour le micro-organisme, répond à deux besoins fondamentaux. Le premier, qui se rencontre chez tous les Figure 1 - L'objectif final de la biodégradation est de transformer des substrats organiques en produits minéraux, en faisant intervenir plusieurs enzymes exprimées soit par un micro-organisme unique, soit par un groupe de micro-organismes (consortium). 53 l’actualité chimique - août-septembre 2002 Catalyse et environnement êtres vivants, consiste à échapper à la cytotoxicité du polluant en le transformant en dérivés moins toxiques. Nous pouvons citer comme exemples la N-acétylation des amines et hydroxylamines aromatiques, la dénitration de nitro- aromatiques et toutes les réactions d’oxydation qui visent à faciliter l’élimination des xénobiotiques. Ces réactions de protection se retrouvent aussi chez les mammifères et l’Homme en particulier. Le deuxième besoin vital, spécifique aux micro-organismes, s’exprime dans des conditions nutri- tives limitantes, et le polluant sert comme source nutritive ou énergétique (source de carbone, d’azote ou de soufre). Citons ainsi l’utilisation de l’atrazine par certains micro- organismes comme source de carbone et d’azote (figure 2), et l’utilisation du dibenzothiophène comme source de soufre et de carbone (voir l’article de J.-P. Vandecasteele et al). Ces deux molécules sont hautement récalcitrantes, mais en absence de sources nutritives plus simples, les micro- organismes finissent par détourner des enzymes du métabolisme pour les dégrader. En cas d’exposition prolon- gée, les enzymes de ces micro-organismes évoluent jusqu’à devenir spécifiques de tel ou tel polluant. Ces adaptations, développées au cours de l’évolution du micro-organisme, peuvent être améliorées par des techniques de pression de sélection et, lorsque les législations le permettront, par des techniques de génie génétique. En effet, l’intervention des micro-organismes en milieu ouvert interdit jusqu’à présent l’utilisation d’espèces génétiquement modifiées (OGM). Ceci n’exclut pas les études de laboratoires et quelques essais pilotes réalisés en milieu confiné [1]. La meilleure manière d’aborder un domaine aussi vaste que la biodégradation est de le traiter au travers d’un exemple. Ce dernier doit donner une idée générale de l’intérêt et des limites de la biodégradation des polluants. Il doit aussi révéler les retombées et les bénéfices fondamentaux et appliqués. L’une des molécules qui permet d’aborder tous ces aspects est le 2,4,6-trinitrotoluène ou TNT. Ce produit fait partie d’une famille particulière de polluants, les produits énergétiques ou explosifs. Dans cette famille, le TNT est de loin le plus récalcitrant et constitue depuis des décennies un défi pour les chercheurs qui œuvrent dans le domaine de la biodégradation. Les explosifs font partie d’une superfamille moléculaire à haut risque pour l’environnement et la santé publique, les nitro-aromatiques. Dans cette famille, on retrouve des pesticides, des colorants et des produits pharmaceutiques. Comme les métabolites principaux formés dans l’environne- ment sont les produits de nitroréduction, les nitro-aromati- ques rejoignent sur le plan toxicologique les amines aromatiques. En effet, ils conduisent tous deux aux hydroxylamines, les nitro par réduction et les amines par N-oxydation. Comme la nitroréduction est bien plus répandue que la N-oxydation des amines, les nitro-aromati- ques sont potentiellement plus toxiques que les amines aromatiques. La nitroréduction est une réaction universelle qu’on retrouve chez tous les êtres vivants. Elle se déroule aussi bien en aérobie qu’en anaérobie (ce qui n’est pas le cas de la N-oxydation d’amines primaires), et empreinte une deuxième voie cytotoxique qui implique des espèces activées de l’oxygène (figure 3). Les premières hydroxylamines stables qui ont été caractérisées sont celles qui proviennent de la nitroréduction du TNT. Elles ont été isolées dans les urines de lapin auxquels le TNT a été administré, et ont fait depuis l’objet d’études toxicologiques exhaustives. L’étude de la biodégradation des nitro-aromatiques permet d’élaborer des stratégies de dépollution des sols ou des eaux contaminées. Ces procédés sont basés soit sur l’exploitation des micro-organismes déjà présents dans le milieu contaminé, soit sur l’introduction de micro- organismes efficaces. L’autre intérêt dans l’étude de la biodégradation du TNT est la conception de « renifleurs enzymatiques » (biocapteurs) qui permettront de détecter en milieu ouvert, les quantités infimes de TNT qui s’échappent de colis suspects ou des mines antipersonnelles. Ces renifleurs enzymatiques pourront se substituer au Figure 2 - Utilisation du pesticide atrazine comme source nutritive par les micro-organismes. Figure 3 - Les nitroréductases engendrent une cytotoxicité au tra- vers de deux voies : 1) La voie productive conduit à la formation d’amines primaires avec la production d’hydroxylamines intermédiaires. 2) Le cycle futile est observé en présence d’oxygène et conduit à des espèces activées cytotoxiques. 54 l’actualité chimique - août-septembre 2002 Catalyse et environnement système olfactif canin, seul capable de détecter de manière fiable et en milieu ouvert, la présence de ces produits. Cytotoxicité Le terme polluant désigne toute molécule toxique pour la faune et la flore ayant des répercussions sur l’environnement et la santé publique. Le TNT et ses métabolites sont toxiques pour l’Homme et les mammifères en général, pour les invertébrés, poissons, micro-organismes, algues etc. [2]. La toxicité du TNT, comme celle de l’ensemble des nitro- aromatiques, reste associée à leur métabolisation et à la réaction de nitroréduction en particulier (figure 3). Cette réaction se caractérise par deux voies : une voie productive qui conduit à partir du nitro à l’amine correspondante en passant par des intermédiaires nitroso et hydroxylamine. La deuxième voie, appelée « cycle futile », est catalysée par les nitroréductases en présence d’oxygène. Il s’agit d’un va-et-vient permanent entre la forme nitro et le radical anion. Ce cycle futile génère directement des anions superoxydes dont la dismutation conduit au peroxyde d’hydrogène qui, en présence de traces de métal, évolue en radical hydroxyle. L’ensemble entraîne les dommages classiques attribués d’une part aux hydroxylamines et d’autre part aux espèces activées de l’oxygène. Ces entités, extrêmement réactives chimiquement, vont interagir avec des molécules biologiques (protéines, ADN...) et provoquer une détresse respiratoire, un stress oxydant et des lésions au niveau de l’ADN, qui expliquent le caractère cancérigène de ces molécules. Elles peuvent aussi inhiber l’activité de différentes protéines induisant ainsi des désordres physiologiques [16]. La toxicité du TNT vis-à-vis des micro-organismes lui permet d’éradiquer la flore des sols qu’il contamine. Ceci, conjugué avec une stabilité chimique élevée et une résistance aux facteurs abiotiques (rayonnement, chaleur), assure la persistance du uploads/Finance/ 2002-aout-256-ouazzani-p52.pdf

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  • Publié le Nov 19, 2022
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