Reportage Crise sociale : l’aide alimentaire en mutation Depuis juin 2012, près
Reportage Crise sociale : l’aide alimentaire en mutation Depuis juin 2012, près de 3000 emplois ont été supprimés en Bretagne. Le nombre de précaires explose et les structures associatives en charge de l’aide alimentaire doivent s’adapter. Ici comme ailleurs, en plein cœur du dispositif, le rôle du secteur privé s'en trouve renforcé. Le siège des Restos du Cœur est enclavé au beau milieu de la zone industrielle de la Route de Lorient, un énième hangar blanc, austère et vieillissant. Pas âme qui vive au rez-de-chaussée, juste quelques affiches arborant le portrait du célèbre humoriste, fondateur de l’association. Coluche est omniprésent, sur les murs comme dans le discours d’André Roussel, le bénévole qui accueille le visiteur à l’étage. La soixantaine passée et les cheveux grisonnants, le chargé de communication a l’éloquence que la fonction réclame. D’emblée, il rappelle les valeurs des Restos, la gratuité, totale. Et sa mission, apporter une aide et une assistance, à tous. Alors devant la hausse constante des demandeurs, l’association essaie, tant bien que mal, de ne pas diminuer la qualité de ses services. Des aides supprimées Les Restos assurent seuls la collecte, le tri et la distribution des denrées. Autant de tâches qui demandent des compétences précises. André Roussel le concède, « l’association se professionnalise. Le recrutement des bénévoles est assez strict. On passe des entretiens d’embauche. Ensuite on a deux mois d’essai au bout desquels on signe la charte. Mais ce n’est pas un contrat ! Les gens peuvent partir quand ils veulent. L’usage fait qu’il est quand même mieux de donner une sorte de préavis pour permettre le remplacement et la formation du remplaçant ». Malgré l’effort d’optimisation des équipes et des méthodes, la demande est trop importante pour maintenir les approvisionnements au niveau requis. Les barèmes de l’inscription n’ont pas encore été réévalués, mais devant une hausse de 10% sur l’année 2013, les Restos ont dû renoncer aux aides financières supplémentaires qu’ils attribuaient aux bénéficiaires en très grande précarité. 1 / 5 La situation bretonne reflète celle observée en Alsace ou en Picardie auparavant. Depuis le début de la crise, la Bretagne affiche, en effet, un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale (9,4% contre 10,5%), mais les diverses réductions d’effectifs de ces deux dernières années ont durement touché la région. Aussi le chômage connaît-il dorénavant une augmentation nettement plus forte et rapide que dans le reste du pays. Une paupérisation brusque et massive que ressentent les trois principales associations d’aide alimentaire. Les Restos du Cœur, le Secours Populaire, et la Fédération des Banques Alimentaires, tentent d’ajuster leurs méthodes de travail et leurs approvisionnements. Il faut être de plus en plus pauvre Le Secours populaire d'Ille-et-Vilaine est logé dans un bâtiment en béton noir et blanc, au cœur de la zone industrielle sud-est de Rennes. Le nombre de dossiers traités y a augmenté de 25 % sur l'année 2013, pour dépasser les 12 000 bénéficiaires. Pour y pénétrer, il faut commencer par se frayer un chemin entre les demandeurs qui attendent leur enregistrement dans le petit hall d'entrée. Dans les entrepôts, un stock massif de vêtements et d'objets d'ameublement patiente dans un espace trop étroit. Le libre-service d'aide alimentaire, de la taille d'une petite épicerie, est accessible par la droite du bâtiment. « 95 % des personnes viennent ici, la première fois, pour avoir une aide alimentaire. C'est la demande qui est la plus souvent formulée », concède Erwan Motel, 39 ans, salarié en charge de la vie de l'association. Cheveux légèrement grisonnants, vêtu d'un jeans clair et d'un pull en grosse laine blanche, Erwan accueille le visiteur avec calme et bienveillance. Il n'en arbore pas moins des traits tirés, trahissant une certaine surcharge de travail. La pression exercée par le nombre de demandeurs n'est pas sans conséquences sur les conditions de leur accueil. Au Secours populaire, toute aide accordée à un demandeur passe par une évaluation préalable de sa situation financière. Pour qu'un foyer puisse prétendre à l'aide alimentaire, ses ressources, loyer et factures payées, ne peuvent dépasser les 5,50 euros par jour et par personne. « Le quotient a été diminué il y a plusieurs années, on devait le remonter, mais on ne l'a jamais fait. Seulement, on ne peut pas acheter la même chose avec ce montant qu'il y a dix ans », précise Erwan. L'augmentation régulière du coût de la vie, sans hausse du barème, a une conséquence directe : pour avoir accès à cette aide alimentaire d'année en année, il faut 2 / 5 être de plus en plus pauvre. Et faire preuve de patience, car il n'est désormais possible de retirer des produits qu'une fois tous les trois mois, au lieu d'une fréquence d'un mois auparavant. Mais pour distribuer davantage de produits, encore faut-il disposer d'une surface de stockage plus importante, de bénévoles plus nombreux, d'un approvisionnement conséquent et régulier. Bref, d'une augmentation proportionnée des moyens de fonctionnement, dans un contexte économique qui va peser sur toutes les sources de revenu de l'association. Le modèle du privé Côté public, les relais de l’aide alimentaire sont submergés. Les Centres communaux d’action sociale (CCAS) n’hésitent plus à envoyer des demandeurs vers les structures associatives : « On est comme une institution pour eux. Sans nous, l’État aurait du souci à se faire et ils le savent bien » confirme André Roussel. Les associations assument une mission de service public qui, dans le cas des restos du cœur, se traduit par une subvention pesant 17 % du budget. Le Secours populaire d'Île-et-Vilaine, lui, est aidé à hauteur de 25 %. Cependant, le volume des financements publics tend à stagner, tandis que les besoins explosent. Devant ces paramètres, la capacité d'adaptation des associations reste inégale. À quinze kilomètres de Rennes, dans la zone d'activités de Pacé, l'entrepôt de la Banque alimentaire déborde de produits. Un quai de déchargement les accueille, qu'ils soient cédés par la grande distribution, collectés auprès des particuliers, ou issus du Plan européen d'aide aux plus démunis (PEAD). Mais à l'entrée, pas de guichet pour redistribuer ces produits à leurs futurs bénéficiaires. Dans le paysage de l'aide alimentaire, la Banque a un rôle bien particulier, celui du grossiste. Les camions repartent vers l'un des 70 points de distribution approvisionnés par la Banque autour de Rennes, généralement des épiceries sociales créées sous l'égide d'un CCAS. La Banque alimentaire de Rennes a réalisé la montée en puissance nécessaire à une augmentation spectaculaire des volumes distribués, doublés sur les cinq dernières années, pour atteindre environ 650 tonnes sur l'année 2013. Ce qui distingue la Banque alimentaire, et constitue la clé de son évolution rapide, c'est d'abord sa proximité, en amont, avec le complexe agro-industriel breton, ainsi qu'avec la grande distribution. Ces deux filières constituent un mode d'approvisionnement de plus en 3 / 5 plus central pour les associations d'aide alimentaire. Autre facteur décisif, le profil bien particulier des bénévoles, souvent d'anciens cadres de haut niveau, désormais retraités. Son président rennais, Emmanuel de Longeaux, ancien directeur départemental de l'agriculture et des forêts des Côtes d'Armor, en est une parfaite illustration. La Banque alimentaire a su mobiliser les ressources nécessaires à un doublement prochain de sa surface de stockage ; elle réorganise sa chaîne de travail, et projette d'investir 90 000 € dans l'amélioration des conditions de stockage. Sur le modèle d'une entreprise privée, le recrutement ciblé des bénévoles, le management par les compétences et la rationalisation du travail y sont les maîtres-mots. Elle bénéficie d’un accès privilégié aux surplus de l'industrie et des grandes surfaces locales : « Nous avons comme bénévole, depuis quelques mois, un ancien patron de l'agro-alimentaire. Il est arrivé avec un carnet d'adresses extrêmement intéressant pour nous. Cela se traduit par de meilleures relations avec nos fournisseurs, mais aussi par de nouveaux fournisseurs », explique Roger Eustache, vice-président de la Banque alimentaire de Rennes, ancien cadre financier du secteur bancaire. L’intérêt des entreprises Depuis trois ans, les Restos du Cœur de Rennes ont étendu la « campagne d’hiver » pour accueillir les bénéficiaires toute l’année. Parce que si la pauvreté ne s’arrête pas au printemps, les surplus à écouler non plus. « Avant, on ouvrait seulement de novembre à mars. Mais ce n’était pas facile de négocier avec des fournisseurs lorsque vous ne preniez rien pendant six mois », confie un bénévole. Cette entente cordiale entre associations et grande distribution, qui n'est pas totalement désintéressée, s'incarne également dans un lobbying destiné à peser sur la politique fiscale du gouvernement. Depuis 1988 et la loi Coluche, la cession des denrées alimentaires par ces entreprises à des associations caritatives se trouve défiscalisée à hauteur de 60 %, dans la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires total. Dans le contexte actuel, la pression des associations s'est concentrée sur deux fronts : d'abord, au niveau européen, obtenir le renouvellement du PEAD, ce qui semble, à ce jour, partiellement acquis. Ensuite, préparer une extension du dispositif de défiscalisation à l'ensemble de la filière agricole, dans le but d'assurer la croissance des volumes distribués. Une mesure annoncée par Stéphane Le Foll, ministre uploads/Finance/ 2eme-prix-crise-sociale-l-x27-aide-alimentaire-en-mutation-thomas-clerget-et-elisabeth-denys 1 .pdf
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- Publié le Jan 13, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
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