1. Introduction En mars 2020, le Conseil fé- déral édictait l’ordonnance sur le
1. Introduction En mars 2020, le Conseil fé- déral édictait l’ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au Covid-19 (OCaS-CO- VID-19)1, assurant un accès rapide et non bureaucratique à des crédits bancaires cautionnés par quatre organismes de cau- tionnement reconnus par l’Etat. Cette ordonnance d’urgence a ensuite été transposée dans une loi ordinaire, entrée en vigueur le 19 décembre 2020 (Loi sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19; LCaS-CO- VID-19). Sur la base de ces dispositions, les crédits, censés garantir les besoins en liquidités du preneur de crédit à la suite de la pandémie, ont générale- ment été octroyés sans contrôle des indications fournies par le requérant, la banque étant seu- lement tenue de vérifier l’ex- haustivité formelle de ces indi- cations, et non leur exactitude2. Cet accès facilité à de tels cré- dits ne pouvait aller sans son lot d’abus, que ce soit lors de l’oc- troi des crédits et/ou de leur uti- lisation. Ainsi, au 16 août 2021, 3 620 cas suspects étaient en cours d’examen par les orga- nismes de cautionnement, les- quels avaient déjà dénoncé plus de 1 288 autres cas aux autori- tés pénales3. 2. Les abus aux crédits Covid, en tant qu’objet de la sanction pénale Les abus aux crédits Covid, sanc- tionnés par les infractions exami- nées ci-après, peuvent intervenir lors de deux phases distinctes. La première a (ou plutôt avait) trait à la procédure d’octroi du crédit, laquelle a été simplifiée à l’extrême afin de garantir aux entreprises l’octroi de crédits en quelques jours seulement. Ainsi, des crédits jusqu’à 500 000 francs ont été octroyés sur la base d’une autodéclaration, ce qui a inévitablement ouvert la voie à certains abus. On peut ainsi citer la déclaration d’un chiffre d’affaires gonflé (viola- tion de l’art. 7 al. 1 OCaS-CO- VID-19), l’omission d’indiquer que l’entreprise était en faillite, en procédure concordataire ou en liquidation au moment du dépôt de la demande (violation de l’art. 3 al. 1 let. b OCaS-CO- VID-19) ou encore le dépôt de demandes de crédits auprès de plusieurs donneurs de crédit par la même entreprise (viola- tion de l’art. 3 al. 1 OCaS-CO- VID-19)4. La seconde phase a trait à l’uti- lisation des fonds. Aux termes de l’art. 2 al. 1 LCaS-CO- VID-19, les crédits octroyés et cautionnés sont exclusivement destinés à couvrir les besoins en liquidités du preneur de crédit, soit les frais courants, le loyer, les charges d’exploitation ou le matériel. En conséquence, la loi impose un certain nombre de restrictions, listées à l’art. 2 al. 2 LCaS-COVID-19. Cette dis- position stipule que, pendant la durée du cautionnement soli- daire, sont exclus: • les dividendes et les tantièmes ainsi que le remboursement d’apports de capital (let. a); • l’octroi de prêts ou le rembour- sement de prêts d’associés ou de personnes proches. L’exé- cution des engagements envers une personne du groupe ayant son siège en Suisse et liée di- rectement ou indirectement au preneur de crédit qui existaient avant la naissance du caution- nement solidaire, en particu- lier les obligations ordinaires préexistantes de payer des in- térêts et des charges d’amor- tissement (let. b), est toutefois licite; • le remboursement de prêts intra- groupes au moyen des fonds reçus en vertu de l’OCas-COVID-19. Il est toutefois licite de remplir les obligations ordinaires préexis- tantes, notamment de payer des intérêts et des charges d’amortis- sement au sein d’une structure du même groupe (let. c); • le transfert de fonds issus de crédits cautionnés en vertu de l’OCaS-COVID-19 à une so- ciété du groupe qui n’a pas son siège en Suisse qui est liée di- rectement ou indirectement au preneur de crédit. Il est toute- fois licite de remplir les obliga- tions ordinaires préexistantes, comme payer des intérêts et des charges d’amortissement au sein d’une structure de groupe (let. d). Globalement, ces restrictions cor- respondent à celles qui étaient prévues à l’art. 6 al. 1 OCaS-CO- VID-19. L’interdiction de procé- Abus aux crédits Covid-19: Julie Zryd Avocate Benjamin Smadja Avocat Au jour où les premières condamnations en matière d’abus aux crédits Covid déferlent, occupant bon nombre de praticiens, un tour d’horizon des conséquences pénales de ces abus et des questions qui restent ouvertes semble indiqué. 1 Se fondant sur l’art. 185 al. 3 Cst. 2 Dans le même sens, Urs Zulauf et Luc Thévenoz, Crédits COVID-19: Pas d’obligation de diligence des banques? publié le 26 mars 2020 par le Centre de droit bancaire et financier (à consulter sur: https:// cdbf.ch/1119/). 3 Statistique montrant les cas dont les organisations de cautionnement ont connaissance, soit parce qu’elles ont elles-mêmes déposé une dénonciation pénale, soit parce qu’elles en ont été informées par des tiers. Elle n’est pas complète en ce qui concerne les dénonciations pénales dont les organisations de cautionnement n’ont pas connaissance (à consulter sur: https://covid19. easygov.swiss/fr/#anchor-12). 4 FF 2020 8165, pp. 8183 et 8184. 20 plaidoyer 4/2021 Droit pénal der à de nouveaux investissements nécessaires à l’exploitation, prévue par l’ordonnance (art. 6 al. 2 let. b OCaS-COVID-19), a toutefois été abolie, pour ne pas aggraver davantage la crise financière liée à la pandémie5. Désormais, l’art. 27 al. 2 LCaS-COVID-19 dispose que si, après l’entrée en vigueur de la loi, les fonds sont utilisés pour de nouveaux investissements il- licites au sens de l’ordonnance mais licites au sens de la loi, cette utilisation ne constitue pas une violation de contrat de la part du preneur de crédit. Malgré le silence de la loi sur ce point, le preneur de crédit qui aurait ef- fectué des investissements illicites avant l’entrée en vigueur de la loi ne devrait ainsi plus faire l’objet d’une poursuite pénale, compte tenu des principes généraux nul- lum crimen, nulla poena sine lege6 et de la lex mitior. Cela étant exposé, il sera dé- taillé ci-après les infractions pé- nales auxquelles le preneur de crédit s’expose en cas d’abus. 3. Tour d’horizon des infractions pénales en cause 3.1 Contravention à l’art. 25 al. 1 LCaS-COVID-19 Les abus lors de l’octroi du crédit ou de son utilisation sont réprimés par l’art. 25 al. 1 LCaS-COVID-197 qui prévoit une amende de 100 000 francs au plus. Cette infraction, pour- suivie d’office, est une contra- vention (art. 103ss CP), de sorte que l’incitation et la complicité ne sont pas punissables (art. 105 al. 2 CP). Il en va de même de la négligence, le législateur ayant considéré que les demandes de crédit à présenter étaient iné- dites et que, vu l’urgence de la situation, les requérants inexpé- rimentés avaient pu commettre des erreurs évitables8. En dérogation à l’art. 109 CP , l’art. 25 al. 2 LCaS-COVID-19 prévoit une prescription de sept ans, qui s’applique également aux infractions à l’ordonnance pour autant que la prescription de l’action pénale ne soit pas encore échue à l’entrée en vigueur de la loi (19 décembre 2020). Contrai- rement à la loi, l’ordonnance ne prévoyait pas de délai de pres- cription spécifique, de sorte que le délai de prescription ordinaire de trois ans s’appliquait. Ainsi, à notre avis, en application du principe de la lex mitior, le délai de prescription de sept ans ne de- vrait pas être appliqué aux infrac- tions commises avant l’entrée en vigueur de la loi9. Finalement, l’art. 25 al. 1 LCaS-COVID-19 réserve expres- sément la commission d’infrac- tions pénales plus graves au sens du Code pénal qui, si elles sont réalisées, priment la contraven- tion (concours imparfait). Reste donc à déterminer quelles sont les infractions qui pourraient entrer en ligne de compte. Sur ce point, on soulignera que si le législateur a choisi d’inclure une infraction pénale directement dans l’ordon- nance (puis dans la loi), c’est pré- cisément parce qu’il doutait que l’on «puisse faire valoir facilement les traditionnels éléments constitu- tifs de l’escroquerie et de faux dans les titres»10. Nous verrons ci-après que cette réserve ne sera pas forcé- ment partagée par les juges. 3.2 Escroquerie (art. 146 CP) Déterminer si le preneur de crédit réalise une escroquerie lorsqu’il obtient un crédit sur la base de fausses déclarations ou qu’il uti- aspects pénaux et pratiques 5 FF 2020 8165, p. 8192. 6 Aux termes de l’art. 1 CP , qui ancre le principe de la légalité, une peine ou une mesure ne peuvent être prononcées qu’en raison d’un acte expressément réprimé par la loi. Un individu ne peut donc pas être condamné pour un comportement qu’une norme pénale en vigueur n’incrimine pas expressément (José Hurtado et Thierry Godel, Droit pénal général, Schulthess, Berne 2019, p. 39 § 79). Ainsi, la position contraire d’Erich Ettlin tombe à faux (bulletin officiel, Conseil des États session d’hiver 2020, séance du 10 décembre 2020). 7 Cette disposition reprend l’art. 23 OCaS-COVID-19, sous réserve de quelques modifications relevant de la systématique législative (FF 2020 8165, p. 8192). 8 FF 2020 8165, p. 8192. 9 Arrêt en ligne de la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud PE18.021432- STB du 18.11.2019, c. 6.2. 10 Commentaire du 25 mars 2020 de l’OCaS-COVID-19 du Département fédéral des finances (DFF), p. 17. 11 ATF 133 IV 25, c. 4.4.3; uploads/Finance/ abus-aux-credits-covid-19.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
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