245 ACTIONNARIAT SALARIÉ ACTIONNARIAT SALARIÉ : RÉALITÉ ET PERSPECTIVES CHANTAL

245 ACTIONNARIAT SALARIÉ ACTIONNARIAT SALARIÉ : RÉALITÉ ET PERSPECTIVES CHANTAL CUMUNEL* U n des faits marquants de l’écono- mie française, au cours de cette décennie, est incontestablement le développement de l’actionnariat salarié. Qu’elles soient cotées ou non, qu’elles fassent appel public à l’épargne ou non, les sociétés portent de plus en plus d’intérêt à la démarche et en vantent les vertus, n’hé- sitant pas à déclarer que « si c’était à refaire, elles la referaient »1. Auprès des salariés, elle connaît un succès attesté par le poids financier acquis. Pour autant s’agit-il d’un engouement passager ? Notre approche du capital et du travail, et au-delà notre conception de l’entreprise évoluent-elles fondamentalement ? L’actionnariat salarié se développe dans un contexte de financiarisation des écono- mies, marqué tout à la fois par la bonne santé des marchés financiers et la multipli- cation des offres publiques. Mais qu’en est-il des risques et des droits liés à la détention d’actions ? Ces questions appellent une réflexion. Celle-ci s’articule, d’une part sur l’analyse des textes et des pratiques, d’autre part sur les perspectives. ANALYSE DES TEXTES ET DES PRATIQUES Une société par actions peut décider de donner à ses salariés, et à ceux des sociétés qui lui sont liées au sens de la loi, la possibilité de devenir actionnaires, soit en achetant en bourse des actions, soit en souscrivant à une augmentation de capital qui leur est réservée. Un environnement juridique complexe Deux corps de textes juridiques, diffé- rents dans leurs finalités, organisent l’ac- tionnariat salarié. La loi du 27 décembre 1973 en a insti- tué le principe et relève du droit des socié- tés. Les offres s’exercent dans le cadre d’un plan d’actionnariat. L’ordonnance du 21 octobre 1986 s’insère dans le Code du travail car elle vise à permettre aux salariés, en s’appuyant sur leur épargne salariale, de se constituer un portefeuille de valeurs mobilières fran- çaises et/ou étrangères. Mais c’est la loi sur l’épargne du 17 juin 1987 qui a inclus dans ces valeurs les titres de l’entreprise employeur. Le support est le plan d’épar- gne d’entreprise ou de groupe. Les deux formules ont en commun pour toutes les sociétés la possibilité d’abonder les apports du salarié, et pour les sociétés cotées d’accorder, lors d’une souscription, une décote sur le prix de l’action (maximale de 10 % ou de 20 % selon le plan retenu), l’indisponibilité des titres pendant cinq ans (sauf offre d’achat * Membre de la Commission des Opérations de Bourse RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE - 1999 246 1973). Enfin, les aides financières de l’en- treprise et les investissements du salarié sont assortis d’exonérations fiscales et so- ciales, plus substantielles dans le second dispositif. Les modes de gestion sont prévus dans le plan Si les actions sont gérées individuelle- ment, elles sont confiées à un intermé- diaire financier teneur de compte choisi par l’entreprise ; le salarié est un action- naire à part entière. Si les actions sont gérées collectivement, un Fonds commun de placement d’entre- prise (FCPE) est constitué à cet effet. Les salariés sont porteurs de parts du Fonds, lequel est juridiquement l’actionnaire de l’entreprise. Il existe deux régimes de FCPE rendus homogènes par la loi du 25 juillet 1994 . Le FCPE article 20 a vocation à gérer l’épargne salariale ; son portefeuille est donc naturellement diversifié. Néanmoins le Fonds peut être constitué en vue de recueillir exclusivement des titres de l’entreprise employeur. Son conseil de sur- veillance compte au minimum 50 % de salariés représentant les porteurs de parts. Le FCPE article 21 est habilité à recevoir les seuls titres de l’entreprise. La composi- tion de son conseil de surveillance est ex- clusivement salariale. La représentation salariale au conseil de surveillance s’opère soit par élection, soit par désignation des comités d’entreprise ou des syndicats. L’achat d’action est, selon le cadre juridique, la nature de l’offre ou le mode de gestion, personnel ou délégué Les salariés font acte d’actionnariat pour les seules offres d’achat régies par la loi de 1973 en retournant un bulletin spécifique. Pour toutes les autres offres, l’intermé- diaire financier ou la société de gestion du FCPE agit au lieu et place du salarié au vu des engagements pris dans le plan d’actionnariat ou d’épargne d’entreprise. Les droits liés à l’actionnariat sont définis spécifiquement Les droits de vote aux assemblées générales sont déterminés par le mode de gestion retenu. Ils sont représentés collectivement par le conseil de surveil- lance du Fonds article 20 si la composition de son portefeuille est diversifiée. Ils sont exercés directement par les salariés action- naires et par les porteurs de parts lorsque le Fonds détient exclusivement des titres de l’entreprise (en cas d’article 20 le règle- ment doit prévoir cette disposition). La représentation dans les organes de gestion relève de la loi du 25 juillet 1994. Un poste d’administrateur est de droit dans les sociétés privatisées. En revanche, elle est facultative pour les autres sociétés, la loi leur imposant seule- ment de l’envisager tous les cinq ans si le capital détenu par les salariés est égal ou supérieur à 5 %. Le ou les administra- teurs (deux au maximum) ne sont pas pris en compte dans le quota autorisé d’administrateurs titulaires d’un contrat de travail. Enfin, les salariés actionnaires peuvent se regrouper en association. Un développement certain et continu L’actionnariat salarié date réellement de 1986, impulsé par les privatisations et l’ordonnance du 21 octobre. Mais c’est surtout depuis 1995 que celui-ci suscite un réel intérêt et connaît un véritable es- sor, conforté par la volonté des entreprises de trouver, dans un contexte de politiques salariales très strictes, de nouvelles formes de motivation. 247 ACTIONNARIAT SALARIÉ Au regard des pratiques, les préférences des sociétés vont au plan juridique à l’ordonnance de 1986, au plan de la nature des offres aux augmentations de capital réservées, au plan de l’aide finan- cière à la décote, au plan de la gestion à un portefeuille diversifié FCPE article 20. Un intérêt soutenu des sociétés La réalité des sociétés ayant ouvert leur capital est difficile à cerner car il n’existe pas de système centralisant les données. Toutefois plusieurs signes attestent de leur intérêt croissant. Les premiers ont trait aux opérations de marché intervenues en 1997. Sur 68 introductions en bourse, 12 ont été accompagnées ou suivies de la mise en place de l’actionnariat salarié et sur 148 émissions de titres de capital réalisées par les sociétés du premier marché, 36 étaient réservées à leurs salariés. Les seconds sont apportés par une en- quête réalisée auprès de 560 sociétés co- tées2 : sur 150 réponses, 75 % ont ouvert leur capital ou envisagent de le faire d’ici deux ans. Le processus se révèle indépen- dant du secteur d’activités, ou du marché de cotation même si on note sur le pre- mier marché que 39 des sociétés du CAC 40 l’ont mis en place. Enfin, les sociétés de dimension européenne ou internatio- nale tendent à élargir leurs opérations aux salariés de leurs filiales. Pour autant, l’actionnariat salarié n’est pas une caractéristique des sociétés cotées puisque les non cotées s’engagent elles aussi dans la démarche. Un poids économique réel Fin 1998, 102 milliards de francs, soit 44 % de l’épargne salariale logée dans les FCPE, étaient investis en titres (cotés ou non) des entreprises employeurs. Mais cette réalité se situe en-deçà de la réalité car les investissements des salariés gérés individuellement, ne sont pas globale- ment connus. Analysé en termes de participation au capital, l’actionnariat salarié donne une image extrêmement diversifiée. Il varie de 1 % à 100 % dans les start-up. Dans les entreprises du CAC 40, iL dé-tient en moyenne 2 % du capital mais peut aussi s’imposer premier action- naire : Société Générale avec 9,5 %. Dans les autres sociétés cotés, il avoisine les 5 %, voire les franchit : CCF 5 %, Seita et Bouygues 6 %, Essilor international 18 %, comme il peut s’affirmer action- naire de référence : Sagem 75 %. Dans les sociétés non cotées, il atteint aussi des pourcentages significatifs : Auchan et GT Location (Bordeaux) 14 %, groupe Léon Doras 50 %. La représentation dans les organes de gestion est rarement prévue ; dans l’affir- mative, elle est le plus généralement assurée par le président du conseil de surveillance du FCPE. Les finalités de la démarche D’après les sociétés, l’actionnariat salarié répond tout à la fois à leurs préoccupations et aux attentes de leurs salariés3. L’intérêt des sociétés4 La finalité affichée est prioritairement sociale. La motivation est renforcée en raison des revenus complémentaires ap- portés. Le fonctionnement de l’entreprise est mieux compris. La cohésion interne est donc accrue. L’intérêt économique est plus relatif bien que certaines sociétés y voient également un moyen anti-OPA ou un élément de constitution d’un noyau d’actionnaires stable. Au vu de leurs expériences, les entre- prises déclarent la démarche très positive pour elles-mêmes et pour leurs salariés. RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE - 1999 248 La motivation des salariés La motivation première des salariés est de réaliser dans d’excellentes conditions un uploads/Finance/ actionnariat-salari-eacute-r-eacute-alit-eacute-et-perspectives.pdf

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  • Publié le Aoû 01, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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