ANALYSE ÉNONCIATIVE COMPARÉE DES SYSTÈMES HYPOTHÉTIQUES EN SI EN FRANÇAIS DE CO

ANALYSE ÉNONCIATIVE COMPARÉE DES SYSTÈMES HYPOTHÉTIQUES EN SI EN FRANÇAIS DE COTE D’IVOIRE ET EN Sε EN BAOULE DANS UN DISCOURS FICTIONNEL Béatrice Akissi Boutin CNRS - UMR 5263, Université Toulouse 2 ILA, Université Cocody-Abidjan & Kouakou Kouamé Université de Bouaké Introduction Dans le dispositif [si p, (alors) q], si pose le cadre situationnel sans l’asserter et la valeur de vérité de l’apodose q dépend de celle de la protase p. Avec le discours fictionnel hypothétique, le locuteur entre dans une modalité déclarative très particulière puisque l’assertion (apodose) est conditionnée par une situation irréelle et/ou fictionnelle (protase). L’objectif est ici d’explorer les possibilités discursives qu’offrent l’opérateur de fictionalité français si suivi de l’Imparfait et son correspondant baoulé1, sε suivi du Constatif, dans une forme hypothétique à visée optative. Les travaux d’Adam (1992) et d’Adam et Bonhomme (1997) portant sur le fonctionnement de la forme française, commandé par l’Imparfait montrent qu’il existe une forte corrélation entre l’Imparfait et le si dans la construction d’un discours fictionnel hypothétique, le dispositif en [si p, (alors) q] jouant le rôle d’opérateur de fictionalité dans un tel contexte. L’Imparfait est un véritable temps du passé lorsqu’il est ancré dans la situation de l’énonciation, mais il prend une valeur modale, généralement fictionnelle, lorsqu’il est débrayé de la situation d’énonciation ; dans ce dernier cas, il est soit relié au passé, soit relié à l’irréel. En est-il ainsi pour le baoulé, avec sε et les flexions verbales (désignées globalement par « temps-aspect-modalité » (TAM)) avec lesquelles il est employé ? Si oui quelles sont les modalités énonciatives qui régissent cette forme lors d’une construction discursive fictionnelle ? De fait, vu que le baoulé et le français sont deux langues typologiquement éloignées et que le français de Côte d’Ivoire est une variété dialectale de français en contact avec le baoulé, nous pensons que faire une étude comparée portant sur les emplois hypothétiques de si ~ sε, dans le cadre d’une fiction dans ces deux langues, revient à rechercher d’une part, les « homologies structurales » que présentent si ~ sε, hypothétiques fictionnels en français de Côte d’Ivoire et en baoulé et, d’autre part, les points de ressemblance mais aussi les différences qui régissent la grammaire énonciative du si hypothétique fictionnel en français de Côte d’Ivoire, et en français standard. 1 Le baoulé est une langue décrite mais non encore fixée par l’écrit, située au centre de la Côte d’Ivoire et dont on peut estimer le nombre de locuteurs à environ 4 millions. 72 B.A. Boutin & K. Kouamé Notre étude se base sur un corpus recueilli en juillet 20082 auprès de quatre témoins ivoiriens baoulé dans le cadre du projet CFA (‘Contemporary french in Africa and in the Indian Ocean’, <http://www.hf.uio.no/ikos/forskning/forskningsprosjekter/skattum/ingse_CFA>). Le discours fictionnel hypothétique en français Les onze possibilités de structures verbo-temporelles en si de Adam et Bonhomme (1992)3 ne seront pas retenues ici. On peut cependant opérer un classement des hypothèses en distinguant essentiellement deux protases orientées différemment par rapport au réel selon le TAM qui suit si, si ayant un rôle de subordonnant dans de tels énoncés4 : - Si p (Présent) [protase de l’ordre du réel], alors q (Présent, Futur, Impératif) - Si p (Imparfait, Plus-que-parfait) [protase rejetée du réel], alors q (Conditionnel Présent ou Passé). Si pose le cadre situationnel sans l’asserter mais, dans le cas d’une protase de l’ordre du réel ou à valeur potentielle, le TAM du verbe qui suit si est le Présent, alors que dans le cas d’une protase rejetée du réel ou à valeur d’irréel, le TAM du verbe qui suit si est l’Imparfait en français standard. On observe dans ce rôle après si, le subjonctif en espagnol ou dans d’autres langues romanes ; par ailleurs, le conditionnel est attesté en France dans des variétés non standard. L’Imparfait dénote un procès situé hors de l’actualité. Cependant, sa valeur est temporelle lorsque le procès est décalé dans le passé, mais modale lorsque le procès est envisagé en dehors de la réalité. Ces deux valeurs peuvent se trouver après si pour des protases de même forme (si j’avais de l’argent), et ce sont en fait les marques TAM du verbe principal qui permettent de différencier ces deux possibilités : (1) Si j’avais de l’argent, je le dépensais vs. Si j’avais de l’argent, je le dépenserais. La même bivalence sémantique peut être observée avec le Présent. Lorsque si est suivi d’un verbe au présent, la situation est envisagée comme un possible à venir. Selon le rapport avec le procès de la principale, nous aurons, s’il est postérieur, le Futur, et s’il est (quasi) simultané, le Présent : (2) Si tu as de l’argent, tu le dépenseras (un jour) vs. Si tu as de l’argent, tu le dépenses. Présent et Imparfait utilisés en parallèle dans la protase et l’apodose permettent d’exprimer une valeur itérative appliquée à la situation dénotée. 2 Outre les auteurs, ont participé à l’enquête Jean-Martial Kouamé et André-Marie Beuseize, de l’Université de Cocody ; nous les remercions ici. 3 Il s’agit des constructions de type : a- [si (Imparfait), (Conditionnel)] b- [si (Plus-que-parfait), (Conditionnel passé)] c- [si (Présent), (Impératif)] d- [si (Présent), (Futur proche ou simple)] e- [si (Présent), (Présent)] f- [si (Présent + ALORS Ø] ; g- [si (Imparfait), Ø] h- [si (Plus-que-parfait), Ø] i- [Ø + (Conditionnel)] ; j- [si (Présent), (Conditionnel)] k- [si (Imparfait), (Futur antérieur)]. 4 Nous utilisons les majuscules pour les tiroirs ou « temps » verbaux, pour distinguer ceux-ci des valeurs sémantiques générales souvent de même nom, qui elles sont en minuscules. Les systèmes hypothétiques en français ivoirien et en baoulé 73 En français standard, une valeur conditionnelle est difficilement associée à l’auxiliaire aller. En tant qu’auxiliaire d’aspect, aller suivi d’un verbe à l’infinitif porte une valeur d’imminence, avec éventuellement une visée prospective ou intentionnelle. Il peut former, au présent, l’équivalent du Futur et, à l’Imparfait, l’équivalent d’un passé proche d’être réalisé5. Cependant, dans une structure hypothétique en français standard, alors que le Futur Périphrastique en aller peut facilement remplacer le Futur (simple), la périphrase en aller ne peut pas toujours remplacer efficacement le conditionnel dans la principale : (3) Si tu as de l’argent, tu vas le dépenser (4a) Si j’avais de l’argent, j’allais le dépenser. La valeur conditionnelle de cette dernière phrase est peu accessible en français standard : allais est plus facilement interprété comme un verbe de mouvement que comme un auxiliaire d’aspect, avec une valeur itérative. Lorsque si introduit une protase à valeur temporelle, il peut être substituable par quand en français standard, comme c’est le cas en (4a). En français de Côte d’Ivoire, le Conditionnel est peu représenté. Nous n’observons pas, par exemple, d’emploi du Conditionnel dans la protase (Si j’aurais de l’argent). Comme il a déjà été relevé, le français de Côte d’Ivoire utilise l’auxiliaire aller en concurrence non seulement du futur, mais aussi du subjonctif (Boutin 2007, 2008) et du conditionnel, comme nous allons le voir. Knutsen (2007 : 216-217) relève cette forme en concurrence du conditionnel sans en proposer d’analyse. Dans l’exemple (4a) par exemple, l’interprétation conditionnelle de j’allais le dépenser est la plus normale. Cet emploi de [allerImp Vinf] a pris, dans la variété de français étudiée ici, une valeur modale équivalente à celle du Conditionnel, dans un tour que l’on peut même appeler ‘Conditionnel Périphrastique’. En effet, l’interprétation des structures [si (Imparfait), (‘Conditionnel périphrastique’)], avec une valeur à la fois prospective et rejetée du réel, prime sur l’interprétation temporelle dans les énoncés du type de (4). Une valeur temporelle / itérative n’est pas possible sans adverbe itératif : (4b) Si j’avais de l’argent, j’allais le dépenser à chaque fois. La valeur modale de [allerImp Vinf], qui associe la valeur irréelle de l’Imparfait à la valeur prospective de l’auxilliaire aller, n’est ni incongrue6, ni totalement absente du français standard, mais cette forme est peu courante dans le dispositif hypothétique [si p, (alors) q]. Le discours fictionnel hypothétique en baoulé Le baoulé n’a bénéficié jusque-là d’aucune étude consacrée à la grammaire énonciative des hypothétiques. Le système TAM du baoulé et les structures hypothétiques ont cependant été décrits par Creissels et Kouadio (1977, pp. 377-393 et 507-509 respectivement). En baoulé, les valeurs modales et aspectuelles se structurent en modes « Constatif » (ou Indicatif), « Intentionnel » et « Injonctif », et 5 Riegel et al. (2008 : 253) évoque cette forme comme concurrente du «Conditionnel Présent» pour une action postérieure dans le passé. La valeur du « Conditionnel Présent » envisagée par l’auteur est plus proche d’un futur du passé que d’un conditionnel. 6 Molière écrit : « J’allais nettoyer votre corps et en évacuer entièrement toutes les mauvaises humeurs » (Malade imaginaire, III, 5). 74 B.A. Boutin & K. Kouamé en aspects « Progressif », « Continuatif », « Accompli » et « Résultatif ». La langue baoulé construit le discours hypothétique en deux propositions dont la forme logique est : [sε p, (uuun) q], p étant le conséquent et q la conséquence de p. Antéposé à la subordonnée, sε a le rôle de uploads/Finance/ akissi-boutin.pdf

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  • Publié le Jui 03, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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