1 Commerce électronique : éléments théoriques et empiriques Thierry PENARD (CRE
1 Commerce électronique : éléments théoriques et empiriques Thierry PENARD (CREREG, Rennes 1) septembre 2001 1. Introduction « On voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques » disait Solow à propos de l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur la productivité et la croissance. Sur le commerce électronique, on aurait envie de dire que l’« on voit peu de commerce électronique sauf dans les statistiques ». En effet, si le commerce électronique n’est pas encore rentré dans les habitudes et le quotidien des consommateurs, en revanche, il suscite depuis quelques années une intense activité d’études et de prévisions, émanant des cabinets de conseil (IDC, KPMG, Forrester, Jupiter,…). Ces « statistiques » et prévisions doivent être accueillies avec la plus grande prudence, compte tenu du peu d’informations dont on dispose sur les méthodes et les sources utilisées par ces cabinets. D’ailleurs, le montant actuel des achats en ligne et les prévisions sur les dix ans à venir, diffèrent fortement d’un cabinet à l’autre1. Au delà de la fiabilité des méthodes de prévision, on peut aussi s’interroger sur la définition même du commerce électronique. Que cherche-t-on à mesurer précisément ? Les statistiques peuvent fortement varier selon que l’on retient une définition restrictive ou extensive du commerce électronique. Au sens strict, ne sont comptabilisées dans le commerce électronique que les transactions en ligne (paiement en ligne). Au sens plus large, il faudrait aussi intégrer les transactions pour lesquelles la mise en relation de l’acheteur et du vendeur s’est faite par l’intermédiaire d’Internet (même si le paiement s’est fait par un autre canal – rencontre physique ou contact téléphonique). On a avec cette dernière définition une mesure plus pertinente du e-commerce et de son impact sur les transactions. Enfin, pour bien aborder le commerce électronique, il est important d’établir une distinction entre : • le B to B (business to business) qui correspond à des transactions inter-entreprises (achat de biens intermédiaires auprès de fournisseurs), 1 On peut aussi émettre des doutes sur l’objectivité de ces cabinets de conseil et de marketing qui ont pour client des entreprises susceptibles d’investir dans le commerce électronique. Dans ce contexte, les cabinets ont tout intérêt à surestimer les prévisions de vente en ligne (Brousseau [2000]). 2 • le B to C (business to customers) qui correspond à de la vente au détail à des consommateurs. (commerce de détail, service aux particuliers), • et le C to C (customer to customer) qui correspond à des transactions entre consommateurs ou particuliers (vente de biens d’occasions entre particuliers) Généralement, Tous les analystes s’accordent pour dire que le B to B représente un volume de transactions bien supérieur au B to C et que cet écart devrait s’accentuer avec les années. A l’heure actuelle, seuls les Etats-Unis offrent des statistiques fiables, provenant du Département américain du Commerce et indiquant que le commerce électronique a représenté 0.8% du commerce de détail sur l’année2 2000. En France, on ne dispose que d’estimations non officielles. Au premier semestre 2000, les ventes en ligne auraient représenté 1.6 milliards de francs, et sur l’ensemble de l’année 2000, 4 milliards de francs, soit une progression de 250 % par rapport aux 1.3 milliards de francs de l’année 1999. Mais, les revenus du e-commerce sont encore très inférieurs à ceux du Minitel et sont négligeables par rapport à l’ensemble du commerce (2 200 milliards de francs environ), soit moins de 0.2 % du commerce de détail. Le montant modeste des achats en ligne expliquent en grande partie les difficultés actuelles de nombreux sites de commerce électronique. Ces sites sont contraints de revoir à la baisse leur plan d’affaire et de développement. Les investisseurs sont aussi devenus plus prudents et plus sélectifs sur le financement de ces sites. La faillite en mai 2000 de Boo.com, un site suédois de vente de vêtements en ligne, qui avait réussi à lever et à dépenser en quelques mois 135 millions de dollars, a fortement contribué à cette défiance, qui touche plus largement les start-ups3. Néanmoins, la vente en ligne est promis à un bel avenir si l’on veut bien considérer les taux de croissance sur les dernières années, et rencontre déjà un certain succès dans des secteurs comme les voyages (transport, hôtel), les biens informatiques (ordinateurs, logiciels) et les biens culturels (livre, vidéo, musique). Selon Benchmark Group 4, les voyages représentent en France 47 % des ventes en ligne, les produits informatiques 23 % et les produits culturels 10 %. Sur le plan de la recherche en Sciences Économiques, le commerce électronique est aussi promis à un bel avenir. Notamment, il suscite de très nombreuses questions en matière de stratégies et de concurrence. La vente en ligne se caractérise-t-elle par une concurrence plus intense que la vente sur des marchés physiques ? Les stratégies en prix et hors prix (publicité, différenciation) des distributeurs sont-elles très différentes sur Internet ? Quel est l’impact des intermédiaires en ligne, comme les sites de comparaison de prix, sur les comportements d’achats ? On peut répondre à ces questions en procédant à une analyse théorique des spécificités d’Internet et de la vente en ligne (section 2). On peut aussi procéder à des analyses empiriques ou statistiques, à partir de données recueillies sur des sites de commerce 2 Les dernières statistiques mensuelles donnent une part de 1.1 % sur le mois de décembre 2000 et de 0.9 % sur le mois de janvier 2001. 3 Aux Etats-Unis, près d’un tiers des sites Internet cotées sur le Nasdaq seraient susceptibles de faire faillite en 2001. Citons les faillites de Letsbuyit, site d’achat groupé, en décembre 2000 ou de Boxman dans la vente en ligne de CD en octobre 2000. 4 Source Benchmark Group, http://www.journaldunet.com/chiffres-cles.shtml. 3 électronique (section 3 ). Pour illustrer cette dernière démarche, nous présentons quelques résultats issus d’une étude que nous avons mené sur la vente en ligne des CD5 (section 4). 2. Analyses théoriques sur le commerce électronique Quelles sont les caractéristiques originales ou spécifiques d’Internet qui peuvent influencer les stratégies de vente et les modalités de concurrence entre distributeurs ? Parmi le nombreuses spécificités d’Internet, nous mettrons plus particulièrement l’accent sur les coûts d’information, les coûts d’entrée et les coûts de catalogue. Les coûts d’information Le commerce électronique se caractérise par une transparence élevée sur les prix. Avec Internet, la recherche d’informations sur les prix est facilitée. Certains sites (Shopbots) se sont même spécialisés dans la comparaison des offres (par exemple les sites bravonestor.fr ou kelkoo.fr)6. Les coûts de recherche d’information étant plus faibles que sur les marchés physiques, on peut s’attendre à ce que les vendeurs en ligne se livrent une concurrence plus intense (Stiglitz et Salop (1977), Varian (1980). Ainsi, les prix sur Internet devraient a priori être plus bas et moins dispersés que sur les marchés physiques (Bakos (1997). Mais on peut opposer le fait qu’un marché plus transparent peut favoriser des comportements d’entente entre vendeurs et relâcher la concurrence en prix (Pénard, 1998). En effet, chaque site peut mieux surveiller les stratégies de ses concurrents et réagir rapidement à des comportements agressifs. Il est ainsi possible de mettre en place des représailles rapides et personnalisées à l’encontre de ceux qui ne respectent pas une certaine discipline dans les prix. Une plus grande transparence a donc des effets ambigus sur le niveau des prix et le degré de concurrence (Kuhn et Vives, 1995). Les coûts d’entrée Sur Internet, les coûts d’entrée sont à première vue plus faibles que sur un marché physique. Un site de commerce électronique peut rapidement avoir une présence nationale sans disposer d’un réseau de magasins sur l’ensemble du territoire. Cette facilité d’entrée devrait favoriser la concurrence en prix. Mais, un excès de sites peut créer de la confusion auprès des consommateurs. Ces derniers face à un nombre important de sites peuvent privilégier les sites les plus connus, notamment ceux disposant d’une présence physique. D’autant que le paiement en ligne et la livraison différée du produit rendent la transaction beaucoup plus incertaine que dans le cas d’une transaction physique. Quelles sont les garanties offertes, en cas de non livraison ou de livraison d’un produit défectueux ? Où se situe géographiquement la société exploitant le site de vente en ligne ? L’incertitude ou l’ignorance dans laquelle se trouvent les acheteurs sur Internet avantage les sites de distributeurs implantés physiquement. Par exemple, sur les produits culturels, la FNAC peut jouer sur son image et sa notoriété pour rassurer les acheteurs en ligne. 5 Cette étude réalisée avec Sophie Larribeau s’intitule « Commerce électronique et dynamique des prix : une application à la vente en ligne de CD », 2001. 6 D’ailleurs certains sites de CD sur Internet empêchent les agents intelligents (programmes spécialisés dans la recherche d’information) d’entrer sur leur site et de collecter des informations sur leurs différents prix. 4 Pour les nouveaux venus (pure player – sans présence physique), la nécessité d’investir dans la publicité pour se faire connaître et se créer une réputation, renchérit les coûts d’entrée. De même, la qualité « technique » uploads/Finance/ ecommerce 2 .pdf
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- Publié le Oct 26, 2022
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