ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE  LES ACTES DE LECTURE n° 28 (décembre 19

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE  LES ACTES DE LECTURE n° 28 (décembre 1989) 1 LES FEMMES RURALES AFRICAINES ET L'ALPHABÉTISATION Krystyna CHLEBOWSKA Nous avons pu lire, sous le titre de "Cheli Beti Story", une présentation d'un programme de scolarisation des filles des régions rurales du Népal par Krystyna CHLEBOWSKA, spécialiste des programmes d'éducation dans les zones rurales à l'Unesco (A.L. n° 27, septembre 1989, p. 88). On lira ci-après, du même auteur, une présentation d'actions d'alphabétisation à destination de femmes africaines, en particulier au Togo, généralement connues des seuls spécialistes. Comme dans le précédent article, on voit surtout dans quel contexte économique et culturel naissent et se déroulent ces projets, à quelles habitudes ils se heurtent, quelles difficultés ils rencontrent, quels intérêts ils mettent en cause. Tout cela conjugué expliquant leur rareté malgré leur caractère d'urgence et leur intérêt prioritaire. Comme chacun sait, le continent africain est essentiellement rural. Près de 90% de sa population survit d'une agriculture traditionnelle de subsistance, basée sur l'utilisation d'une technologie rudimentaire et sur le travail des familles. Les femmes qui, en Afrique, représentent plus de 50% de la population adulte, jouent un rôle prépondérant dans la production agricole. Elles assurent à ce titre la plupart des travaux dans les champs, aussi pénibles soient-ils. La division sociale ou sexuelle du travail les obligent également à s'occuper des travaux ménagers, de l'éducation et de la santé des enfants, de la corvée quotidienne de ravitaillement en eau potable et en bois, de la basse-cour et du petit élevage, de la vente des produits alimentaires et de bien d'autres tâches qui les occupent du matin au soir et ruinent leur santé. À titre d'exemple, voici le calendrier type journalier de la femme en milieu rural au Mali (qui d'ailleurs est similaire à celui de la plupart des femmes rurales en Afrique, bien qu'il varie en fonction des pays, des ethnies, des saisons, du lieu, des zones écologiques, des castes, des corporations, du nombre de co-épouses et des enfants, dans chaque foyer). 4h30 : Réveil 04h30-06h00 : Corvée d'eau Préparation du petit déjeuner Toilette des enfants 06h00-l0h00 : Vaisselle Pilage du mil Collecte de légumes ou de feuilles pour le repas Lessive Trajet au marché 10h00-15h00 : Transport du repas au champ Travaux agricoles sur son lopin ou aider l'homme à labourer. Sarcler, désherber, planter ou guider la charrue 15h00-18h00 : Ramassage du bois pour le dîner Cueillette de fruits sauvages ou d'amandes de Karité 18h00-20h00 : Corvée d'eau Pilage du mil Nettoyage de la cour Préparation du dîner Cardage et filage du coton ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE  LES ACTES DE LECTURE n° 28 (décembre 1989) 2 Les femmes rurales constituent le pilier de la survie alimentaire familiale et leur rôle d'éducatrice des enfants est indéniable. Et, pourtant, dans la plupart des pays africains, elles sont analphabètes à plus de 95% ! Leurs filles, quant à elles, ne fréquentent pas, ou peu l'école, leur éducation étant considérée par les parents comme un investissement inutile. Condamnées à aider leurs mères dans les tâches domestiques ou à vivre dans la famille de leur futur mari, elles n'ont que peu de chances d'entreprendre des études, une grossesse ou un mariage précoces les empêchant définitivement de les poursuivre. Abandonnant très tôt l'école, ces filles viennent gonfler les rangs déjà considérables des analphabètes, qui, de surcroît, ne cessent de croître. L'importance de l'éducation des femmes et ses effets positifs sur la condition des femmes n'est plus à démontrer. Elle entraîne en premier lieu une évolution dans leur comportement, valorise leur image à leurs propres et ceux de leur entourage, leur donne une plus grande confiance en elles-mêmes et permet une prise de conscience du rôle qu'elle qu'elles jouent ou peuvent jouer dans la société, ainsi que des droits dont elles ont ou pourraient avoir la jouissance. Il est à noter que les changements que subit la société ont une influence sur la condition des femmes et peuvent accroître leur charge de travail. L'introduction et l'expansion des cultures de rente comme le coton, le café, le thé, le cacao, la canne à sucre, l'arachide, etc., modifie la division sociale et sexuelle du travail, quelquefois au détriment des femmes et des revenus qu'elles obtenaient dans les tâches traditionnellement réalisées par elles. L'adoption de variétés à haut rendement dans certains pays asiatiques a privé les femmes des classes dépourvues de terres des tâches qu'elles accomplissaient traditionnellement à titre lucratif, telles que la préparation des champs, les récoltes, etc. Ces travaux ayant été mécanisés, elles doivent passer plus de temps dans les champs en tant que main-d'oeuvre de famille. L'exode des hommes, temporaire ou permanent, vers d'autres zones rurales, vers la ville ou à l'étranger, met la femme en position redoutable de chef de famille et l'oblige à assumer des responsabilités et des tâches supplémentaires. La concurrence des produits manufacturés oblige les femmes à multiplier, accélérer et améliorer la production locale et provoque également une charge additionnelle de travail. Il existe également une relation directe entre le niveau d'éducation des femmes et la santé, l'hygiène, la nutrition des enfants, la planification familiale, l'accès des fillettes à l'enseignement. Toutes ces considérations devraient militer pour une action urgente et prioritaire en faveur de l'alphabétisation des femmes rurales. Et pourtant les programmes et les projets visant spécifiquement à éliminer l'analphabétisation des villageoises sont rares. Les décideurs - presque toujours des hommes - hésitent à se lancer dans "l'aventure" d'alphabétisation des femmes, rarement prévues dans les plans de développement et de surcroît coûteuses (en moyenne $ 100 par personne, alphabétisation et post-alphabétisation comprises). Par ailleurs les stratégies et les méthodologies adaptées au public féminin rural ne sont encore que peu maîtrisées et les projets modèles rares. Une des raisons essentielles pour lesquelles il est difficile d'aborder une action d'alphabétisation des femmes rurales est le temps libre limité dont elles disposent. Confrontées à des préoccupations plus immédiates qui relèvent souvent de la simple survie, les femmes rurales ne considèrent pas toujours l'alphabétisation comme une priorité. ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE  LES ACTES DE LECTURE n° 28 (décembre 1989) 3 Elles ne saisissent pas toujours non plus l'intérêt des projets d'alphabétisation qui leur sont proposés, surtout si elles n'ont pas été directement associées à leur élaboration et leur mise en ouvre. Les réticences des femmes à participer à des cours donnés par des hommes encore très majoritaires parmi les alphabétiseurs, les programmes d'alphabétisation dont les thèmes sont trop éloignés des préoccupations et des intérêts réels des femmes rurales ne sont pas non plus de nature à les encourager à suivre des cours d'alphabétisation. L'alphabétisation permet aux femmes l'accès à l'information qui les aidera à améliorer les techniques de production agricole qu'elles utilisent et qui engendreront non seulement un meilleur rendement, donc des possibilités supplémentaires de revenus, mais également un "crédit de temps" qu'elles pourront utiliser à leur guise. La polygamie pourrait à première vue apparaître comme un moyen d'alléger les tâches et d'améliorer la condition et le sort des femmes. En réalité, très peu d'entre elles acceptent avec sérénité ou soulagement la venue d'une co-épouse (en KISMIYA "la jalouse"). Un proverbe nigérien est à cet égard très parlant : "La fille de la co-épouse, la tresseuse, ne peut prétendre à de belles tresses". Il n'est pas inutile toutefois de mentionner que c'est grâce à la polygamie que des femmes peuvent participer à des activités de formation, l'époux acceptant de les libérer car, en son absence, la co-épouse assurera les responsabilités familiales à sa place. Il est plus difficile et moins spectaculaire de mettre en œuvre des opérations d'alphabétisation que de construire des écoles ou des hôpitaux. La tâche est encore plus ardue quand il s'agit de mettre en œuvre des projets dans les zones rurale du Tiers Monde surtout ceux qui touchent les femmes des villages et des communautés. L'expérience du passé démontre que, pour obtenir des résultats plus satisfaisants, la meilleure stratégie de développement rural est celle des micro-projets. La coopération technique basée sur des petits projets qui tiennent compte du contexte, mobilisent les énergies locales et correspondent à la logique des communautés, semble le mieux convenir aux femmes rurales. D'autres contraintes s'imposent à elles quotidiennement : - la contrainte du mari qui voit d'un mauvais œil son épouse sortir de la routine quotidienne et partir le soir pour suivre des classes d'alphabétisation ; - l'enfant ou les petits enfants dont il faut s'occuper ; - la fatigue au terme d'une journée harassante. À cela s'ajoute le problème du choix de la langue dans laquelle la formation sera donnée, celui du manque de matériel de lecture indispensable à la phase obligée de tout programme d'alphabétisation : la post-alphabétisation, qui permet d'entretenir les connaissances acquises et de donner une vraie signification à toute action d'alphabétisation. Le Togo est un des rares pays africains à avoir entrepris, au niveau de la nation, une action programmée et soutenue destinée à alphabétiser les femmes. Jusqu'en 1976, 1e programme d'alphabétisation du Togo s'adressait aussi bien aux femmes qu'aux hommes. En 1977 démarre un projet uploads/Finance/ al28p67.pdf

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  • Publié le Mar 26, 2021
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