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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 En Italie, le Sud veut tirer profit du télétravail PAR CÉCILE DEBARGE ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 7 DÉCEMBRE 2020 Elena Militello et Martina Derito, les membres de l'association "Southworking". © CD Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreuses entreprises italiennes ont adopté le télétravail. Une association palermitaine y voit la possibilité de mieux répartir la population active sur le territoire, fortement marqué par un déséquilibre entre le Nord et le Sud. Palerme (Italie).– Giorgia est originaire de Taranto dans les Pouilles. Elle a étudié à Rome et travaille depuis trois ans et demi à Milan pour une entreprise de marketing numérique. Depuis le début du confinement, au mois de mars, elle télétravaille. Alors, en juillet, lorsqu’elle entre dans les Pouilles pour les vacances, elle décide d’y rester. C’est l’une des nombreuses southworkers dont Martina Derito fait défiler les témoignages sur l’écran de son téléphone. À 28 ans, cette graphiste a étudié à Turin avant de revenir à Palerme. Elle fait partie du noyau dur de l’association de promotion sociale Southworking – Travailler au Sud, un groupe d’une dizaine de bénévoles, de 25 à 35 ans, qui a rêvé une Italie différente pendant les mois de confinement. Ensemble, ils tentent de donner forme à un concept nouveau, le southworking – dérivé du terme télétravail, qui est désigné en italien par l’expression anglaise «smart working» –, c’est-à-dire de développer la présence dans le Sud des actifs qui peuvent travailler à distance en les soutenant et en les conseillant. S’il a fallu un néologisme pour désigner le phénomène, c’est qu’il n’a rien d’évident pour les Italiens. Ces vingt dernières années, le Mezzogiorno a perdu plus de 2 015 000 actifs, selon le dernier rapport de la Svimez, l’Association pour le développement de l’industrie dans le Mezzogiorno. La moitié d’entre eux a moins de 34 ans, un cinquième est diplômé de l’enseignement supérieur. Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit. En Italie, c’est le nord du pays qui les attire, en particulier Milan. Ces vingt dernières années, la riche et dynamique capitale lombarde a attiré près de 100 000 résidents d’autres régions italiennes, en particulier du Sud, selon les calculs du quotidien économique Il Sole-24 Ore. Au premier semestre 2019, le Centre- Nord du pays a créé 137 000 emplois, alors que le Sud en a perdu 27 000. Y faire revenir vivre de jeunes actifs relève de la gageure, plus encore quand ils sont partis travailler à l’étranger. Manque d’opportunités, de dynamisme, services défaillants, infrastructures à la traîne : la liste des tares du sud du pays est longue. Pourtant, après des années passées « dehors » – l’expression est souvent utilisée par les Italiens des régions du Sud lorsqu’ils quittent leur région d’origine –, nombre d’entre eux regrettent la proximité avec leur famille et leurs amis, mais aussi la qualité de vie : le coût de la vie est encore inférieur au reste du pays tout en profitant de la mer, du soleil et d’une vie moins stressante, une bonne partie de l’année. «Les bénéfices doivent être mutuels pour l’employeur et l’employé : pour les travailleurs, c’est la possibilité de vivre dans un endroit différent de celui où ils travaillent normalement, avec un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle, et une amélioration du bien-être et de la qualité de vie perçue », argumente la présidente de l’association, Elena Militello. Cette idée, c’est la sienne. Après plusieurs séjours à l’étranger, dont le dernier en tant que chercheuse en sciences sociales au Luxembourg, elle est autorisée à passer les mois de confinement à Palerme, sa ville natale qu’elle a quittée dix ans auparavant, et de suivre les activités à distance. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 «Pour l’employeur, c’est une meilleure productivité et, éventuellement, une baisse du coût du travail », poursuit-elle. En Italie, l’année dernière, le télétravail a permis une augmentation de la productivité des salariés de 15 % en moyenne, selon les chiffres avancés par l’école de management de Polytechnique Milan, qui a lancé un observatoire du phénomène en 2012. 35 % des salariés sont également plus motivés en télétravail, selon la même étude, et l’absentéisme est moindre. «En Italie, où le taux de productivité est l’un des plus bas d’Europe, ça peut changer la donne et attirer de nouveaux investissements », espère la présidente de l’association. Si les salariés italiens en télétravail n’étaient que 570 000 en 2019, le premier confinement a complètement changé la donne. En quelques jours, près de 6,58 millions d’Italiens ont travaillé de chez eux, soit près d’un tiers des actifs. Depuis la rentrée, ils sont encore près de 5 millions. « C’est une occasion historique qui peut nous amener à une nouvelle normalité, avec des bénéfices non seulement sur le travail mais sur tout l’écosystème des services, des villes et des territoires», analyse Fiorella Crespi, directrice de l’Observatoire du télétravail de Polytechnique Milan lors d’une conférence en ligne, début novembre. C’est précisément l’ambition du projet Southworking. «Nous ne voulons pas être relégués au rang d’utopie du confinement, défend Elena Militello, mais que ça devienne l’objet de politiques publiques, d’amendements aux textes de loi sur le télétravail en vigueur et encore très limités». Surtout, les jeunes bénévoles souhaitent mettre au cœur de leur démarche une meilleure répartition des actifs sur le territoire italien. Par exemple, les entreprises qui installent leur centre d’exploitation dans le sud du pays peuvent bénéficier d’un allègement des cotisations de 30 % pour leurs salariés. L’association propose que cette mesure soit étendue aux entreprises qui permettent, à salaire égal, le télétravail dans le Sud pour leurs employés. «On voudrait prendre le contrepied des politiques classiques de développement du Mezzogiorno, c’est- à-dire développer d’abord des infrastructures comme dans le nord du pays ou à l’étranger, ensuite attirer les entreprises et seulement en dernier lieu attirer les travailleurs et lutter contre le chômage », explique la jeune femme. L’association en est convaincue, de nombreux actifs sont intéressés, voire disposés à déménager pour revenir dans leur région natale ou dans des zones plus rurales, même si les infrastructures ne sont pas au niveau de celles des grandes métropoles. Pour vérifier cette hypothèse, 1 800 actifs ont répondu à un questionnaire mis en ligne par l’équipe de Southworking. Plus de 80 % des personnes interrogées sont prêtes à travailler dans le Sud si leur poste de travail était maintenu. «Le Sud est un contexte relatif, précise Elena Militello. Nous avons aussi été contactés par des habitants des vallées autour de Bergame, par des villes en périphérie de Milan ou par de petits villages. Ce qui est central, c’est la meilleure répartition des ressources sur le territoire.» Avec moins de 6 000 habitants mais une vue sublime sur la mer turquoise depuis les murailles de la vieille ville, Otranto, dans les Pouilles, veut faire ce pari. La mairie de la ville a noué des partenariats avec les hôteliers et restaurateurs, ouvert une bibliothèque communautaire, renforcé sa connexion en wifi, promettant des mois d’hiver ensoleillés aux travailleurs à distance. Une manière aussi de prolonger la saison touristique, mise à mal par la crise sanitaire, en attirant un autre type de voyageur. Dans la province de Grosseto, en Toscane, Santa Fiora, qui compte 2 500 habitants, veut devenir un « smart village ». À travers un appel à projets, les travailleurs à distance désireux d’y emménager peuvent s’inscrire jusqu’à la fin de l’année et bénéficieront d’une aide d’un montant de 50 % de leur loyer, pour un maximum de six mois et de 200 euros par mois. Sur leurs réseaux sociaux, les bénévoles de Southworking invitent leurs plus de 7 300 abonnés à recenser tous les lieux propices à l’échange, au partage et au travail à distance… en groupe, convaincus que le télétravail ne doit pas isoler le travailleur mais, au Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 contraire, favoriser la rencontre et l’émulation. Plus d’une centaine ont déjà été épinglés sur une carte interactive, du nord au sud du pays. «Tout le monde ne peut pas télétravailler, reconnaît Martina Derito, mais le déménagement de certains actifs dans le Sud pourrait stimuler la croissance économique et faire naître de nouvelles entreprises locales, y compris dans des secteurs qui actuellement ne sont pas concernés par ce phénomène. » Ce sera l’un des défis majeurs si la tendance du télétravail dans le Sud devait se confirmer : ne pas créer un développement à deux vitesses qui pénaliserait une partie des habitants. Elena Militello est consciente de la difficulté, avec en tête l’exemple de Lisbonne, au Portugal : «La ville a attiré une grosse communauté de nomades digitaux, mais cela a aussi provoqué la gentrification de certains quartiers, l’augmentation du coût de la vie pour les locaux et on a encore du mal à comprendre l’impact que ça aura à long terme.» Lancée initialement pour promouvoir l’idée du télétravail dans le Sud et créer un espace d’échanges entre les travailleurs uploads/Finance/ article-921263.pdf

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  • Publié le Nov 11, 2021
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