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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 À Berlin, un référendum pour déloger les sociétés immobilières PAR THOMAS SCHNEE ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 2021 La hausse du prix des loyers dans les grandes villes allemandes hante la campagne des élections législatives. Après des années de mobilisation citoyenne, un référendum visant à rendre publics 230 000 logements du parc privé aura lieu le 26 septembre à Berlin. Berlin (Allemagne).– Tant pis pour les lendemains sans voix. La jeune Axelle, militante de l’initiative «Exproprier Deutsche Wohnen & Co », hurle joyeusement dans le micro, campée sur l’un des podiums de la manifestation organisée le 11 septembre dans les rues de la capitale fédérale. Le cortège a réuni 20000 personnes venues de tout le pays pour dénoncer la crise du logement qui grandit d’année en année. « Les loyers ne cessent de monter. Plus vite que les salaires. Aujourd’hui, 40 % de mes revenus passent dans mon loyer. Il y a un défaut dans le système. Le 26 septembre, une chance historique s’offre à nous pour que Berlin ne devienne pas comme Paris ou Londres. Votez l’expropriation ! », scande-t-elle sous les applaudissements d’une foule où les étudiants et les retraités semblaient surreprésentés. Le 26 septembre, les Allemands se rendront aux urnes à l’occasion des élections législatives afin d’élire un nouveau parlement fédéral. Les Berlinois voteront en plus pour renouveler le parlement de leur ville- Land et devront aussi décider, dans le cadre d’un référendum consultatif, si les grands gestionnaires privés d’actifs immobiliers – ceux qui détiennent au moins 3 000 logements à Berlin – doivent être rachetés et communalisés. Une pétition en ce sens a recueilli ces derniers mois 346000 signatures, permettant la tenue de ce vote, selon les règles de démocratie locale en vigueur. Elle vise une douzaine de sociétés – dont les deux plus importantes sont Deutsche Wohnen et Vonovia – qui possèdent 230000 logements au total, sur un parc locatif berlinois de 1,5 million d’unités. Bien que le résultat ne soit pas contraignant pour le gouvernement de Berlin, un succès de l’initiative favoriserait une politique publique de rachat des milliers d’appartements privatisés dans les années 2000. « Je me suis engagé dans cette campagne, pour laquelle je récolte des signatures et distribue des tracts depuis des mois, parce que moi aussi, mon loyer a presque été multiplié par deux en moins de dix ans et je ne trouve pas de logement social», explique Marcel, un jeune instituteur qui porte le gilet jaune et violet du mouvement de contestation. Derrière lui, Bertram le retraité, qui a la chance de posséder un 42 m2 via une coopérative, est venu par solidarité avec les jeunes. Son fils de 32 ans travaille à Berlin mais doit habiter dans une chambre à Potsdam, à 30 km de là. Les bataillons jaune et violet du collectif « Deutsche Wohnen enteignen » (« exproprier Deutsche Wohnen »). © Photo TS / Mediapart 1,7 million de logements sociaux perdus sur les trente dernières années Si 103 000 logements sociaux ont été construits outre- Rhin de 2016 à 2019, 112 000 ont été reclassifiés en logements normaux sur la même période. De sorte que l’Allemagne a perdu 1,7 million de logements sociaux sur les trente dernières années. Quant aux loyers modérés déclarés « d’utilité publique », et partiellement défiscalisés, ils ont été supprimés en 1989. Parallèlement, la construction de logements neufs, pilotée par l’État fédéral et les Länder, s’est effondrée entre 2002 et 2010. Avant de remonter très progressivement pour atteindre enfin 300 000 unités l’année dernière, un niveau jugé correct mais qui ne permettra de couvrir les besoins qu’au bout d’une décennie. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 À Munich, 15 000 familles attendent aujourd’hui un logement social pendant que les loyers explosent. « Il y a beaucoup de constructions en cours, mais elles se situent presque toutes dans le segment du luxe avec des loyers d’entrée entre 23 et 28 euros du mètre carré sans les charges », s’insurge Monika Schmid-Balzert, directrice de la section bavaroise de l’Association des locataires allemands, qui est montée à Berlin avec deux bus remplis d’adhérents. En 2019, les Bavarois ont voulu imposer par référendum une proposition de loi pour plafonner les loyers pendant plusieurs années. « Comme à Berlin, notre initiative a été bloquée par la justice parce que c’est à l’État fédéral et non aux Länder de légiférer sur le prix des loyers », précise Monika Schmid-Balzert. Désormais, elle et ses amis se battent pour que le prochain gouvernement légifère au niveau national. La pression démographique urbaine, la construction insuffisante et le manque de logements, mais aussi les faibles taux d’intérêt qui ont conduit à relancer l’attrait des investisseurs pour la pierre, forment un parfait cercle vicieux qui se referme avec la spéculation sur les terrains. « À Munich, le prix du terrain fait jusqu’à 80 % du prix de la construction d’un logement neuf. Comment construire en masse du logement social bon marché ? Cela devient toujours plus cher », confirme Monika Schmid-Balzert. À Berlin, où même trente ans après la réunification, le bâti reste très hétérogène en termes de qualité et de densité, la spéculation débouche sur des situations perverses. La veille de la manifestation, la nouvellement créée fondation Stadtbodenstifung a organisé une petite rencontre devant le n°48 de la rue Habersaat, un immeuble HLM sans fioritures mais propre, planté face à l’imposant ensemble de bâtiments du BND, la centrale des services de renseignement allemands. « Le no48 est un ensemble 5 000 m2 divisé en 106 appartements qui a été construit en 1984 pour loger le personnel soignant du grand hôpital voisin, La Charité. En 2006, la ville l’a vendu pour 2 millions d’euros à un privé, qui l’a revendu plus tard à un fonds immobilier du Liechstentein pour 22 millions d’euros », raconte la directrice de la fondation, Sabine Horlitz. Pendant des années, l’immeuble est resté vide à 90 %. Et en 2018, le fonds a fait une demande de démolition. Ce que la mairie d’arrondissement a finalement bloqué devant la mobilisation. « Nous sommes dans une situation où l’on en vient à bloquer pendant des années la location et à vouloir détruire un bâti convenable alors que la demande pour ce type d’appartement ne fait que monter. C’est évidemment inacceptable et contre l’intérêt public », commente Sabine Horlitz. Des lieux comme celui-là avec des histoires similaires, Berlin en regorge. Et à chaque fois qu’une opération immobilière provoque des déplacements importants de population, c’est la cohésion sociale des quartiers qui s’affaiblit. « C’est pour lutter contre les conséquences financières et sociales de la spéculation que nous avons créé notre fondation, sur le modèle des Community Land Trust que j’ai vus aux États-Unis, à Londres ou en Belgique », explique l’urbaniste. Très schématiquement, le principe du Community Land Trust (CLT ou organisme foncier solidaire en droit français) est de dissocier la propriété du sol de celle des murs afin de freiner la spéculation. Via des dons et des subventions, le CLT se rend propriétaire d’un terrain et en bloque la revente. La spéculation s’effondre et le CLT peut ensuite passer accord avec une coopérative qui va construire sur le terrain et garantir des loyers bas. Pour tous ces militants, la synchronisation des scrutins tombe en tout cas à pic. La crise du logement et la cherté croissante de l’immobilier et des loyers sont l’un des gros points noirs de la fin de règne d’Angela Merkel, symbole d’une fracture sociale croissante. Et grâce à la campagne électorale, ce sujet qui recèle un potentiel explosif certain est abordé par les têtes de liste des grands partis qui promettent tous que, s’ils sont élus, il faudra «construire, construire et encore construire». « Construire, c’est bien, mais encore faut-il que ce soit fait pour les gens qui en ont besoin et pas pour les riches », rappelle Christoph Keller, Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 candidat du parti de gauche Die Linke pour la mairie de l’arrondissement central de Mitte, très soumis à la spéculation. « Ce que demande l’initiative d’expropriation, c’est tout simplement ce que permet l’article 15 de la Constitution qui prévoit que des biens et des terres puissent être socialisés si nécessaire, en échange d’une indemnisation. Pourquoi se formaliser ? » dit-il avec un fin sourire. Stefan Körzel, membre de la direction de la Confédération des syndicats allemands, voit les choses un peu différemment : « L’initiative est l’expression du désespoir des locataires face à la situation sur le marché du logement. Nous, les syndicats, partageons cette préoccupation selon laquelle il doit y avoir plus de logements abordables. Nous devons donc construire des logements abordables à grande échelle et geler les loyers. » Sur le sujet, les points de désaccord sont la fois idéologiques et financiers. Die Linke est résolument pour le rachat des logements « nettement sous le prix du marché », pendant que conservateurs, libéraux et fédérations patronales parlent d’un retour au uploads/Finance/ article-983480.pdf
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- Publié le Apv 23, 2021
- Catégorie Business / Finance
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