Éthique et économique/Ethics and Economics, 8 (2), 2011 http://ethique-economiq
Éthique et économique/Ethics and Economics, 8 (2), 2011 http://ethique-economique.net/ Commerce équitable et équité : Quête de sens et sens pratiques By/Par Jérôme Ballet* et Corinne Gendron** _ *Institut de Recherche pour le Développement, UR/UMI Résiliences ** Université du Québec à Montréal, CRSDD ABSTRACT Fair Trade aims at promoting fairness through the market. However, in Fair Trade, fairness is far from being clearly defined. Furthermore, Fair Trade has to tackle new trends, such as sustainable development. It is also facing changes as North-North Fair Trade or questionings concerning partnership. All these new perspectives call out the very meaning of fairness in Fair Trade. Keywords: Fair Trade, Fairness, Market RÉSUMÉ Le commerce équitable vise à promouvoir l’équité par le marché. Mais la notion d’équité au sein du commerce équitable est loin d’être évidente. Le commerce équitable se confronte de plus avec des nouvelles tendances comme le développement durable. Il est aussi en prise avec des transformations comme le commerce équitable Nord-Nord ou des interrogations comme le sens à donner au partenariat. Ces nouvelles perspectives interpellent la notion d’équité. Mots clés : Commerce équitable, équité, marché JEL Classification: F59 Quête de sens Éthique et économique/Ethics and Economics, 8(2), 2011, http://ethique-economique.net/ 2 INTRODUCTION Les entrelacs de la globalisation et du commerce ont pour conséquence d’appauvrir les plus pauvres et d’enrichir les plus riches. Les inégalités se sont en effet accentuées depuis les années 1970. La globalisation a contribué à cette accentuation, non seulement au sein des pays mais aussi entre les pays (Krugman et Venables, 1995 ; Sala-i-Martin, 2003). Ce phénomène ne concerne pas seulement les pays développés mais également les pays en développement, quel que soit le continent (Kohl, 2003 ; Cling, 2005 ; Cogneau et al., 2006). Tenant compte du fait que les inégalités provoquent de multiples manières des pertes de bien-être, effectives ou potentielles (Lovell, 1999), le dernier rapport du PNUD (PNUD, 2010) introduit ainsi un ajustement de l’Indice de Développement Humain par les Inégalités, l’IDHI. Plus la différence entre l’IDH et l’IDHI est forte et négative et plus les inégalités sont considérées comme affectant le développement humain. Stiglitz (2003) souligne que la globalisation du commerce et de la finance a provoqué une redistribution négative, des plus pauvres vers les plus riches, et qu’en ce sens le processus de globalisation du commerce et de la finance est fondamentalement in- éthique. Pour nous limiter à la globalisation du commerce, il souligne que la libéralisation a procédé d’une asymétrie entre les pays du Sud qui se sont vus contraints de réduire les barrières aux échanges tandis que les pays du Nord n’ont guère fait preuve de réciprocité (Oxfam, 2002). Non seulement cette asymétrie a profité aux pays du Nord qui ont gagné le plus à l’échange, mais surtout elle a appauvri les pays du Sud. Les gains au Nord se sont réalisés au détriment des pays du Sud, notamment depuis l’Uruguay round. L’agriculture a bien sûr été une des premières victimes de cette libéralisation. Les subventions des pays du Nord à leur agriculture et les barrières non tarifaires ont causé du tort aux pays du Sud. Ces désavantages ne concernent cependant pas que l’agriculture mais l’ensemble des biens et services. A contre courant de cette tendance, le commerce équitable vise à concilier l’économie et l’éthique dans une quête d’un commerce qui soit plus juste et à participer ainsi à la réduction de la pauvreté et des inégalités1. Pourtant, les relations du commerce équitable à l’équité restent largement inexplorées (Ballet et Carimentrand, à paraître). D’un point de vue pratique, bien que l’impact du commerce équitable sur les producteurs soit considéré comme positif (Vagneron et Roquigny, 2010), l’impact sur les inégalités elle, est discutable (Ballet et Carimentrand, 2010) ; la mise en œuvre de filières de commerce équitable pouvant 1 Bien sûr la montée des inégalités depuis plus de trente ans appelle aussi à de nouvelles politiques, que ce soit dans le domaine fiscal (Bozio et al., 2005 ; Krugman, 2006, Landais et al. 2011) ou celui de l’aide au développement (AFD 2005 et 2006 ; Cogneau et Naudet, 2007). Quête de sens Éthique et économique/Ethics and Economics, 8(2), 2011, http://ethique-economique.net/ 3 même dans certains cas accroître les inégalités, au moins au niveau local (Carimentrand et Ballet, 2010). Une des raisons de l’ambivalence des effets du commerce équitable sur les inégalités est certainement l’utilisation de critères de sélection des producteurs variés au sein du mouvement. Diaz Pedregal (2007, 2009) relève par exemple que les pratiques de sélection des bénéficiaires du commerce équitable se font à partir d’un mixte entre des critères impersonnels (l’égalité, le temps et l’efficacité) et des critères individualisés (le statut, le besoin et le mérite). Il faut noter également que les limites de la demande équitable restreignent l’accès des producteurs à cette filière de distribution, et que s’érigent en conséquence des barrières à l’entrée qui écartent ceux des petits producteurs qui sont le plus défavorisés, ne disposent pas de l’information requise, sont moins organisés, etc. Les exigences de qualité du commerce équitable qui s’est professionnalisé à la faveur de la labellisation et de son entrée dans la grande distribution (Le Velly, 2004) jouent également en leur défaveur, à moins qu’ils ne soient supportés par d’autres programmes plus traditionnels d’aide au développement (Audet, 2006). Si l’objectif, au moins un des objectifs, du commerce équitable est bien de réduire les inégalités et de produire plus d’équité, alors il importe d’interroger sérieusement la conception de l’équité dans ce mouvement. Ce numéro participe à combler l’insuffisance d’analyses sur les relations entre commerce équitable et équité à partir de trois perspectives. Tout d’abord, le commerce équitable n’a pas l’apanage de l’équité. Il doit donc donner sens à la notion d’équité en se situant par rapport aux différentes traditions philosophiques. En quoi l’équité promue par le commerce équitable est-elle significativement différente ou similaire d’autres formes d’équité, en particulier l’équité du marché ? Ensuite, le commerce équitable n’est pas le seul mouvement social, il est un mouvement social parmi d’autres se référant plus ou moins aux mêmes valeurs que d’autres mouvements sociaux (Gendron, 2001 ; Gendron et al., 2008). Certaines valeurs s’imposent désormais de manière globale, tel le développement durable. En quoi ce type de valeur interroge sur la notion d’équité et comment le commerce équitable se situe par rapport à celles-ci ? Enfin, les autres mouvements se situent plus ou moins en chevauchement avec le commerce équitable. Ce dernier peut s’assimiler à d’autres mouvements ou au contraire affirmer sa spécificité à travers de nouvelles orientations stratégiques. Quelles pistes sont aujourd’hui à l’œuvre ou peuvent être pensées ? 1. QUEL SENS POUR L’ÉQUITÉ ? Le commerce équitable se veut une alternative à la mondialisation économique telle qu’elle a pris forme depuis les années 1980, dans l’espoir d’en atténuer les impacts négatifs. Mais il ne rejette pas le marché puisqu’il est d’abord et avant tout une forme de commerce. Pouchain (2011, dans ce numéro), à la suite de Le Velly (2004, 2006), Quête de sens Éthique et économique/Ethics and Economics, 8(2), 2011, http://ethique-economique.net/ 4 discute ainsi de toute l’ambiguïté d’apparaître à la fois comme un mouvement contestataire des effets du marché et d’utiliser le marché comme force principale de promotion des plus pauvres. Cette ambiguïté est d’autant plus forte que l’on peut considérer que la globalisation n’est pas une donnée extérieure aux actions des institutions mais bien le produit de celles-ci et que le commerce équitable participe en ce sens à une certaine forme de mondialisation des échanges. Dans ces conditions il est d’autant plus important d’affirmer la singularité du commerce équitable. Mais cette singularité doit s’afficher en regard d’une conception de l’équité qui se différencie de celle promue par le marché et l’économie libérale. Il serait en effet erroné de considérer que l’économie de marché sous sa forme libérale n’a pas de référentiel éthique renvoyant à l’équité. Il est plus juste de dire qu’elle développe, d’un point de vue historique, un référentiel éthique particulier2. Un des éléments essentiels de ce référentiel est la liberté d’entrer volontairement dans l’échange. Il s’agit là d’une forme essentielle d’égalité dans le sens où personne ne doit être traité de manière différente et ne peut être forcé à échanger. Cette prétention peut être contredite en montrant que le marché n’est pas un système d’échange libre mais bien un lieu de confrontation des pouvoirs (High, 1985), sans compter qu’en sortant d’un système d’autoproduction, les populations n’ont eu d’autre choix que de recourir au marché pour subvenir à leurs besoins même fondamentaux. Il faut ajouter que l’équité ne se résume pas à l’égalité de traitement, certains pouvant avoir un désavantage de départ qui suppose au contraire un différentiel de traitement pour obtenir une équité minimale3. L’équité peut même désignée une justice procédurale ajustée qui combine à la fois une égalité des chances et une recherche d’égalité de résultats, en donnant une priorité aux plus mal lotis (Rawls, 1971, 2001). Quoiqu’il en soit, au-delà de la démonstration de l’iniquité du marché concurrentiel, il convient de s’interroger sur l’équité du commerce équitable par rapport à celle-ci. Audet (2011, uploads/Finance/ ballet-amp-gendron.pdf
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- Publié le Jui 21, 2022
- Catégorie Business / Finance
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