Capitalisme cognitif et fin de l’économie politique Sur "Sommes-nous sortis du
Capitalisme cognitif et fin de l’économie politique Sur "Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ? ", édité par Carlo Vercellone Mise en ligne le mercredi 15 octobre 2003 par Toni Negri Cet ouvrage rénove l’analyse traditionnelle concernant les mutations du capitalisme, fondée sur l’hypothèse du rôle structurant des mutations de la division du travail. Sur la base de l’actualisation de cette hypothèse, le questionnement porte sur l’éventualité d’un « crépuscule » du capitalisme industriel. Les auteurs qui acceptent de se poser la question, à partir de ce point de vue, sont une vingtaine : afin de livrer un aperçu du développement de la discussion, nous sommes obligés de ne prendre en compte que quelques entrées spécifiques, et particulièrement stimulantes pour le débat, au détriment d’autres qui méritent tout autant l’attention. Les articles réunis dans cet ouvrage sont organisés autour des questions suivantes : l’évolution actuelle de l’organisation du travail et de l’économie de la connaissance montre-t-elle l’épuisement de la logique selon laquelle, depuis Adam Smith, la division technique et organisationnelle du travail est déterminante pour la productivité ? Dès lors que la réponse à cette question est positive, il faut se demander en quel sens la diffusion et le rôle moteur du savoir définissent l’ouverture d’un XXIème siècle post-smithien. De quelle manière aussi les différents modèles qui décrivent l’économie de la connaissance rendent-ils compte des mutations actuelles de la division du travail et de nouveaux dualismes sur les marchés du travail internes et globaux ? À ces questions s’en ajoutent d’autres : quel est le rôle de la monnaie dans la transition vers le capitalisme cognitif ? Quelles sont les formes d’articulation et de captation des valeurs cognitives de la part du capital financier ? Quels sont les scenarii possibles d’évolution de la régulation du rapport salarial ? Le modèle néo-libéral américain est-il le seul possible ou existe-t-il des alternatives ? En ce qui concerne la transformation des sphères productives et financières, s’ouvre-t-il une voie vers de nouvelles normes de répartition de la richesse ? En particulier, la thématique d’un revenu garanti, indépendant de l’emploi, trouve-t-elle de nouveaux fondements théoriques dès lors que l’on prend en considération le caractère de plus en plus socialisé de la croissance de la productivité et les externalités positives liées à la diffusion du savoir et à l’excédent de valeur non mesurable qu’il engendre ? Pour répondre à ces questions, l’ouvrage dirigé par Carlo Vercellone se propose de conjuguer de nouveaux apports théoriques avec le savoir historique de l’économie capitaliste. Il renouvelle ainsi une vision qui porte sur la dynamique de longue période du développement. Lorsque l’on assume le rôle structurant de la division du travail, on est, en quelque sorte, contraint à une étude historique approfondie. La polémique entre continuité et discontinuité du développement économique (en particulier celle concernant le passage actuel du moderne vers le post-moderne) se ravive continuellement. Il en va de même pour ce qui est de champs d’analyse proches de la politique économique, c’est-à-dire en sociologie et en sciences politiques : l’enjeu de l’analyse de la division du travail est en fait la clarification des transformations de la nature du travail lui-même, c’est-à-dire, lorsqu’on souligne l’intensité de la thématique, la mutation radicale de l’ontologie et de l’anthropologie du travail. Quelques contributions portant sur la définition d’une époque nouvelle de la division (interne et internationale) du travail. Carlo Vercellone et Remy Herrera s’interrogent sur « Transformations de la division du travail et general intellect », en mettant en évidence, dans la dynamique longue du capitalisme, l’actualité de l’hypothèse du general intellect développée par Marx. Par ce concept, Marx anticipe une nouvelle phase post-industrielle, dans laquelle le savoir, en se socialisant, devient la principale force productive. Il en résulte une crise de la logique de la subsomption réelle, propre à l’hégémonie du capitalisme industriel, et par conséquent un déplacement de l’opposition entre capital et travail, dans le sens d’un antagonisme nouveau entre le savoir vivant du travail et le savoir mort du capital. Les auteurs montrent l’impuissance des renouvellements théoriques de l’économie néo- classique face aux nouvelles filières du capitalisme cognitif ; ils montrent également à quel point le monde capitaliste de la subsomption réelle est traversé et mis en contradiction par les luttes ou tout simplement par les comportements de la nouvelle force de travail cognitive. Pierre Dockès, dans son article « Métacapitalisme et transformations de l’ordre productif » se trouve sur le même terrain d’analyse : la crise du modèle fordiste de régulation du rapport salarial et de son encadrement étatique, résulte d’une dialectique historique complexe de conflits et d’innovations et conduit à une refonte profonde du capitalisme lui-même : celui-ci n’est plus industriel, mais transnational et libéral, social et communicationnel. Cette nouvelle conjoncture historique met en crise le contexte que Karl Polanyi a décrit en termes de dépassement définitif du marché auto-régulé dès les années 1930. L’aspect crucial qui, selon Dockès, doit être compris est celui de l’acuité des contradictions ouvertes par la formidable croissance des connaissances incorporées dans le capital humain face au pouvoir de la finance et de l’organisation juridique du capitalisme. Nous avons là un ensemble nouveau de contradictions, entre la liberté du travail immatériel et sa disciplinarisation, entre créativité du travail intellectuel et contrôle. Nous nous rapprochons ainsi, de manière impressionnante, des déterminations explicatives de la crise productive actuelle. Par sa contribution, Patrick Dieuaide s’inscrit dans ce cadre descriptif et critique : le capitalisme financier et les marchés boursiers ne représentent pas une expression parasitaire mais une expression structurelle de la transformation des sphères de la production et de l’échange. Les processus de valorisation, en fait, ne peuvent plus être identifiés par la mesure du temps de travail, ils doivent plutôt être décrits à travers une logique fondée sur les temps de circulation du capital. Les valeurs qui se forment sur cette base nouvelle sont garanties et assurées par de nouvelles méthodes de contrôle et de gestion : nous sommes là aux frontières d’une socialisation définitive du circuit productif des valeurs cognitives et partant d’une socialisation complète des valeurs produites. En fait, la forme même de la coopération, dans l’organisation post-fordiste du travail, est à la base de la définition de la productivité et de son exploitation. C’est d’ailleurs fort à propos que Carlo Vercellone intervient de nouveau à ce sujet dans l’article « Mutations du concept de travail productif et nouvelles normes de répartition ». Il se propose d’aller au-delà de l’approche dominante propre aux définitions d’un « revenu social garanti et suffisant » et demeurée jusqu’ici prisonnière des normes traditionnelles de mesure de la richesse et de sa répartition. Si l’analyse construite jusqu’ici est pertinente, et elle semble l’être, il faut reconnaître que, dans le capitalisme cognitif, la nouvelle figure de la richesse sociale repose sur les mutations profondes qui ont ébranlé le concept et la réalité du travail productif. Le « revenu social garanti » ne peut plus, dès lors, être conçu comme un revenu de transfert, prélevé sur d’autres sources d’activités : il devrait, au contraire, être conçu comme un revenu primaire déterminé directement par le caractère social de la production. Il en résulte la nécessité d’un salaire social collectif, fondé sur la reconnaissance que la source de la richesse des nations et des gains de productivité découle désormais d’une coopération productive qui se développe à l’échelle sociale. Mais ce raisonnement signifie aussi faire correspondre le « revenu social garanti » à une sorte de rente sociale collective. Nous avons là une logique de socialisation du capital radicalement alternative à toutes les formes de socialisations imparfaites que le capital a jusqu’ici inventées, qu’il s’agisse de la société par action ou de la mise en œuvre des fonds de pensions. En dépit du caractère schématique de sa contribution, l’article de Yann Moulier Boutang, « Capitalisme cognitif et nouvelles formes de codification du rapport salarial », développe avec force ce type de raisonnement. La crise structurelle de la norme salariale canonique « à plein temps et à durée indéterminée » et l’essor des formes précaires et atypiques d’emploi représentent une mutation radicale du mode de production capitaliste. En analysant les nouvelles conditions de la production, Moulier Boutang aboutit à la conclusion selon laquelle la structure formelle du salariat non seulement va désormais au-delà de la rémunération du temps de travail, mais met aussi en crise toute mesure du travail (nous verrons plus loin d’autres conséquences de l’analyse de Moulier Boutang). Les cinq contributions que nous venons d’exposer sont fondamentales pour la pars constuens de l’ouvrage. Elles développent la thématique du general intellect en décrivant un scénario de l’économie post-fordiste qui réalise pleinement la subsomption réelle de la société au capital tout en identifiant les contradictions que ce processus engendre. Cette démarche permet ainsi de commencer à définir la nouvelle consistance du travail cognitif et la nouvelle composition anthropologique des subjectivités productives. Comme nous le verrons plus loin, nous avons là une base théorique riche d’implications extrêmement importantes. Quelques exemples de critique de la tendance décrite jusqu’ici Partageant depuis des années déjà les thèses que uploads/Finance/ capitalisme-cognitif-et-fin-de-l-x27-economie-politique.pdf
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- Publié le Mar 03, 2021
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