La responsabilité civile du banquier fondée sur la méconnaissance de son devoir

La responsabilité civile du banquier fondée sur la méconnaissance de son devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti (Note sous CA de Riom, ch.com., 20 novembre 2013, n° 13/00423) Lamia EL BADAWI Maître de conférences à l'Université d'Auvergne Membre du Centre de recherche Michel de l'Hospital - Axe « Normes et entreprises » 1.- La crise économique qui perdure et le surendettement croissant des particuliers ont conduit les juges à renforcer les obligations du banquier dispensateur du crédit. Comme tout professionnel, les banquiers sont en effet soumis à un certain nombre d'obligations, la spécificité des activités bancaires pouvant cependant conduire à les accentuer. En la matière, la consécration d'un devoir de mise en garde est une manifestation d'une certaine volonté de la part des juges de réguler la politique d'octroi des crédits bancaires aux particuliers1. Après une décision annonciatrice du 27 juin 19952, ce devoir de mise en garde a été clairement consacré par plusieurs décisions de la première chambre civile rendues le 12 juillet 20053. Hésitant à reconnaître explicitement ce devoir4, la chambre commerciale a fini par aligner sa position sur celle de la première chambre civile dans une série d'arrêts du 3 mai 20065. Le rapprochement entre ces deux chambres a été définitivement entériné par deux importantes décisions de la chambre mixte du 29 juin 20076. 2.- Ce devoir ainsi consacré donne lieu à une jurisprudence abondante et intarissable. En pratique, il suppose que le banquier alerte son client sur les dangers d'une opération de crédit projetée. Il se situe entre l'obligation d'information qui consiste à transmettre une information objective et exacte au client et l'obligation de conseil qui tend à orienter positivement le choix du client vers ce qui est le plus adapté à sa situation. Il est vrai qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer le conseil de la simple mise en garde tant les deux notions semblent parfois se confondre. La jurisprudence multiplie d'ailleurs les obligations du banquier rendant parfois difficile la détermination des contours de chacune d'entre elles7. 3.- Ces devoirs pesant sur les établissements de crédit ont pourtant leur raison d'être. En effet, les établissements de crédit disposent en général d'un certain avantage par rapport à leur clientèle en raison d'une bonne maîtrise des opérations de crédit et des produits proposés. Cet avantage doit dès lors être compensé par une transmission d'informations aux clients. Le banquier devra alors informer, mettre en garde, voire éventuellement conseiller son client. Bien informé, ce dernier 1 E. Bazin, Retour sur le devoir de mise en garde, Banque et droit, mars-avril 2010, n° 130, p.23. 2 Cass.1re civ. , 27 juin 1995, n° 92-19.212, Bull.civ. I, n° 287 ; Defrénois 1995, 1416, obs. D. Mazeaud ; D. 1995. 621, note S. Piedelièvre ; RTD civ. 1996. 385, obs. J. Mestre ; JCP E 1996. II. 772, note D. Legeais. 3 Cass. 1re civ, 12 juill. 2005, n° 03-10.921, 03-10.770, 02-13.155, 03-10.115 (décision se référant au devoir d'éclairer) : D. 2005, p. 2276, obs. X. Delpech ; RTD com. 2005, p. 820, obs. D. Legeais ; D. 2005, p. 3094, note B. Parance ; JCP G 2005, n° 41, 1875, note A. Gourio ; Banque et Droit 2005, n° 104, p. 80, obs. T. Bonneau ; RLDC, 2005, n° 21, p.15, note S. Piedelièvre. 4 Cass. com., 24 septembre 2003, n° 02-11.362, RTDcom., 2004, p.142, obs. D. Legeais. 5 Cass. com.,3 mai 2006, n° 04-15517, 02-11211 et 04-19315, Bull.civ., IV, n° 101, 102 et 103, D. 2006, p. 1618, note J. François, JCP G 2006. II.10122, note A. Gourio ; JCP E 2006, p. 1890, note D. Legeais, RD bancaire et fin., 2006, comm. 128, obs. F. Crédot et Th. Samin. 6 Cass. ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21,104, 06-11.673, D. 2007, p. 2081, note S. Piedelièvre et p. 1950, obs. V. Avena-Robaret, RCA, 2007, étude 15, note S. Hocquet-Berg, JCP G 2007. II. 10146, note A. Gourio, RTD civ., 2007, p. 779, note P. Jourdain. 7 V. par exemple la consécration d'un devoir d'éclairer et d'expliquer : A. Gourio, D. Legeais, Les devoirs du banquier envers son client et les cautions, RDC, n° 3, 2012, p.1053. 1 pourra prendre sa décision de conclure l'opération en pleine connaissance de cause. 4.- Le processus de transmission d'informations suit ainsi plusieurs étapes et dépend en grande partie de la dangerosité et de la nature de l'opération envisagée, mais surtout des compétences du client. L'intensité des obligations du banquier est ainsi directement liée au risque encouru par ce dernier et à ses compétences particulières. 5.- Lorsqu'un risque ne peut être ignoré, le banquier doit alors alerter son client en le mettant en garde contre les risques encourus. Les juges ont reconnu ce devoir de mise en garde en faveur des cautions, des investisseurs, mais surtout envers les emprunteurs. Cette tendance jurisprudentielle s'inscrit dans un courant de la responsabilité civile qui vise à protéger le faible contre le fort8. Ce qui suppose de distinguer le client averti de celui qui ne l'est pas, seul ce dernier méritant une protection spécifique. Cette prise en compte du caractère averti ou pas est régulièrement rappelée par la jurisprudence. L'arrêt de la cour d'appel de Riom du 23 novembre 2013 s'inscrit à ce titre dans cette jurisprudence désormais classique. 6.- En l'espèce, un jeune homme âgé de 24 ans, militaire dans le cadre d'un contrat de volontariat à durée déterminée et renouvelable, a fait l'acquisition d'un appartement dans un immeuble à usage de résidence pour étudiants moyennant le prix de 240 541, 91 euros, financé au moyen d'un apport personnel de 39 638 euros et d'un prêt consenti par la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin d'un montant de 173 622 euros remboursable en 300 mensualités de 1 053,34 euros. Cette acquisition a été réalisée dans le cadre d'un investissement immobilier proposé par la société I Sélection et combinée avec un bail commercial conclu avec la société gérant la résidence. Ne parvenant plus à assurer le règlement des mensualités du prêt, l'emprunteur engage une action en responsabilité contre la Caisse d'épargne lui reprochant un manquement à son obligation de conseil et de mise en garde en raison de l'inadaptation de l'investissement réalisé avec ses besoins et ses capacités financières et lui réclamant le paiement de dommages et intérêts équivalents au montant de l'encours du prêt restant à courir. 7.- Le tribunal de grande instance de Cusset dans un jugement du 17 décembre 2012 l'a débouté de l'ensemble de ses demandes. Il conteste cette décision en soutenant que le placement immobilier souscrit par l'intermédiaire de la conseillère financière patrimoniale de la société I Sélection était totalement inadapté à sa situation professionnelle et à ses capacités financières. La banque se défend d'avoir proposé un tel investissement en arguant que la conseillère n'est pas sa salariée mais celle de la société I Sélection. La cour d'appel de Riom retient pourtant la responsabilité de la banque et rappelle que "la banque, qui est tenue de consentir un crédit adapté, a l'obligation de s'informer sur les capacités financières de l'emprunteur et lorsque celles-ci sont insuffisantes au regard des charges du prêt, de l'alerter sur les risques de non remboursement encourus". Il appartient dès lors à la banque d'apporter la preuve du respect de son obligation de mise en garde. Par ailleurs, les juges écartent l'argument de défense de la banque, car ils considèrent que la conseillère en immobilier n'était certes pas salariée de cette dernière, mais était domiciliée sur sa carte de visite professionnelle à l'adresse de la banque et avait traité le placement litigieux dans ses locaux, l'emprunteur a pu ainsi être trompé par l'apparence ainsi créée et croire qu'elle avait la qualité de salariée de la banque. 8.- Seule déception pour l'emprunteur, les juges ont refusé de lui accorder le montant de l'indemnisation réclamée, ils lui allouèrent toutefois une décharge partielle des intérêts. En soi, il s'agit d'une décision classique qui fait application d'une jurisprudence désormais établie. La motivation de l'arrêt et les circonstances particulières entourant la conclusion du crédit présentent 8 Th. Bonneau, Droit bancaire, 10e éd., LGDJ-Lextenso édition, 2013, p.382. 2 cependant une certaine originalité qui méritent d'être analysées. Pour une analyse méthodique de la décision, il convient de suivre le raisonnement des juges en examinant dans un premier temps l'étendue de la responsabilité du banquier qui a manqué à son devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti (I) et, dans un second temps, il convient de examiner la question de la réparation du préjudice subi par l'emprunteur du fait du non-respect de ce devoir de mise en garde (II). I - L'étendue de la responsabilité du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti 9.- Le banquier qui accorde un prêt est tenu à une obligation d'information éventuellement complétée par un devoir de mise en garde. Ce devoir n'est pas un droit absolu, il est soumis à un certain nombre de conditions qui doivent être remplies (A). Si, en l'espèce, il uploads/Finance/ commentaire-droit-bancaire.pdf

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  • Publié le Sep 07, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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