1 Commerce électronique et régulation des échanges internationaux Philippe BARB

1 Commerce électronique et régulation des échanges internationaux Philippe BARBET Université de Paris 13 et CEPN-CNRS Introduction La principale particularité du commerce international est que la notion de frontière reste pertinente car les pays peuvent toujours protéger leurs offreurs domestiques derrière des barrières tarifaires (droits de douane) et non tarifaires (normes, restrictions quantitatives…). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la tendance est à la réduction du protectionnisme mais les Etats-Nations gardent un rôle non négligeable dans la régulation des échanges internationaux au travers en particulier des politiques tarifaires, fiscales et commerciales. Le développement du commerce électronique remet en question la notion de distance et en particulier le rôle des frontières. Il contribue, avec le développement des firmes transnationales et la croissance du pouvoir de L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à accélérer le recul du rôle des Etats-Nations dans la régulation des échanges internationaux. Au delà, la diffusion internationale du commerce électronique perturbe le fonctionnement du système traditionnel de régulation des échanges et soulève de nouvelles questions. Comme nous le montrerons dans un premier temps, l’importance des échanges électroniques internationaux est actuellement relativement faible mais son potentiel de croissance est important. En outre, l’existence de certains biens dits « numérisables » obligent à redéfinir les nomenclatures traditionnelles et en particulier la différence entre biens et services qui fonde les négociations commerciales internationales. Dans un second temps, nous analyserons les conséquences de l’effort de démantèlement des droits de douanes sur le commerce électronique international sur les recettes douanières et nous analyserons les principales conséquences de la création de ce « duty free cyberspace ». Enfin, nous montrerons que le halshs-00206108, version 1 - 16 Jan 2008 Manuscrit auteur, publié dans "Annales des Telecommunications - Annals of Telecommunications 58, 1-2 (2003) 251-265" 2 commerce électronique oblige à une réflexion profonde sur les questions de fiscalité directe, indirecte et au-delà sur certains fondements de la relation d’échange. 1 – L’importance du commerce électronique international et les enjeux de la classification des échanges entre biens et services Le commerce électronique est en phase de décollage et son importance dans l’ensemble des échanges internationaux reste faible. Toutefois, nous montrerons dans un premier temps que le potentiel de croissance est important et que ce phénomène ne restera sans doute pas marginal. Une grande partie des échanges de biens et de services sera peu affectée par la numérisation mais pour certains biens qui peuvent être vendus à la fois sous forme tangible et électronique, nous montrerons dans un second temps qu’il est nécessaire de conduire un indispensable effort d’analyse et de classification. 1-1- Le commerce électronique international : situation actuelle et évolutions L’OMC définit le commerce électronique comme « la production, publicité, vente et distribution de produits par les réseaux de télécommunication » [OMC 1998] Pour l’Union Internationale des Télécommunications (ITU) a croissance forte de la diffusion de l’Internet avec plus de 141 millions d’ordinateurs connectés et près de 500 millions d’internautes en 2001(600 millions prévus en 2002) [ITU 2001] est largement liée à l’utilisation de plus en plus fréquente de ce réseau pour des transactions commerciales (figure 1). Ainsi, pour la Commission des nations Unies pour le Commerce et le Développement [CNUCED[2000] le commerce en ligne devrait représenter entre 10 et 25% des flux d’échange internationaux en 2003. Figure 1 L’évolution du commerce électronique (en millions de dollars courants) halshs-00206108, version 1 - 16 Jan 2008 3 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000 2002 2003 2004 2005 2006 Reste du Monde Europe Occidentale Asie pacifique Amérique du Nord Sources: FORRESTER dans OMC [2002] L’électronisation du commerce est un phénomène dans lequel on peut distinguer trois étapes principales [SCHUKNECHT 1999]. La première étape est celle de l’échange d’informations préalable à l’achat qui comprend notamment la publicité (flux d’information du vendeur vers l’acheteur) et la recherche d’information sur la qualité ou la localisation des produits (de l’acheteur vers le vendeur). La seconde étape est celle de l’acte d’achat qui comprend en particulier la commande et le paiement. La dernière est celle de la fourniture à l’acheteur du bien ou du service sur lequel porte la transaction. Toutes ces étapes peuvent inclure des flux d’échange électronique et ceux ci sont particulièrement fréquents dans les deux premières. La troisième étape est celle où, à priori, le potentiel d’échanges électroniques est le plus limité. Un certain nombre de services peuvent certes être fournis sous forme électronique (services financiers, conseil…) mais une grande partie des biens doivent faire l‘objet d’une livraison physique. Pour ces biens, la notion de commerce électronique se réduit au deux premières étape et n’est donc pas très différente de la vente à distance. Il existe toutefois un type de biens qu’il est particulièrement intéressant d’étudier dans le contexte du développement du commerce électronique. Il s’agit des biens « numérisables » : c’est à dire des biens qui peuvent être vendus sous forme traditionnelle (physique) mais aussi sous forme numérique. On parle de « biens numérisables » pour désigner les biens d’information comme les livres, les journaux, les logiciels ou certains produits de l’audiovisuel comme la musique et les films. halshs-00206108, version 1 - 16 Jan 2008 4 Les échanges internationaux de biens numérisables ne représentent qu’environ 1% du commerce mondial mais, comme le montre la figure 2, les taux de croissances sont particulièrement importants pour des produits comme les jeux vidéo et les médias enregistrés. Le taux de croissance moyen est d’environ 10% par an soit 1,5 fois la croissance annuelle moyenne des échanges sur la période considérée. Figure 2 Les exportations mondiales des principaux biens « numérisables » (Millions de $ et croissance) Types de biens Millions de $ Croissance annuelle moyenne 1990-1996 en % Films 375,1 4,2 Imprimés 11099,2 7,6 Journaux 4774,9 6,4 Publicité 3864,9 5,6 Autres imprimés 5138 9,6 Jeux vidéo 2983,8 40 Bandes magnétiques enregistrées 1718,6 1,1 Autres médias enregistrés 13774,1 16,8 TOTAL 43729 10,6 Sources : MATOO & SHUKNECHT [2000] L’électronisation est essentielle pour l’internationalisation de certains services et est même souvent à la source du développement transfrontière de services autrefois strictement nationaux comme la santé. Les services juridiques peuvent être fournis par téléphone, les informations peuvent être envoyées par fax, les paiements se font électriquement. Enfin, les télécommunications sont elles-mêmes considérées comme une activité de service. Les flux électroniques transfrontière de services représentaient en 1995 environ 370 milliards de dollars, soit environ 30% des flux totaux d’échanges de services et 6% de l’ensemble des échanges commerciaux. La figure 3 montre que ce sont les échanges électroniques de services entre entreprises qui sont les plus importants, ceci très loin devant les services financiers et d’assurance. On remarque enfin que les services numérisables aux particuliers, qui regroupent essentiellement des services liés aux biens culturels ou récréatifs, sont relativement marginaux. Il convient toutefois de noter que de futurs évolutions dans la libéralisation halshs-00206108, version 1 - 16 Jan 2008 5 internationale des services (santé, éducation…) pourraient servir de base à un développement notable du commerce électronique vers les particuliers. Figure 3 Les exportations internationales de services numérisables (en millions de $) 0 50000 100000 150000 200000 250000 300000 Autres services aux entreprises services financiers Assurances Communication Informatique et information Services aux particuliers Sources : MATOO & SHUKNECHT [2000] Les flux d’échange internationaux de produits numérisables sont présentés dans la figure 4. On retrouve une configuration classique de l’économie contemporaine et en particulier de l’économie numérique caractérisée par une fracture entre les Pays Développés et les Pays en Développement. On constate en particulier que les principaux flux sont de type Nord –Nord ou Nord-Sud et que les flux Sud-Sud sont marginaux. . Figure 4 Les échanges internationaux de produits numérisables (millions de $) Dest. Origine Afrique Amérique latine Asie- Océanie Pays en transition Pays développés Monde Afrique 4 1,1 37 0,1 198,9 242,3 Amérique 0,5 468 88,4 0,8 2331,9 2907,9 halshs-00206108, version 1 - 16 Jan 2008 6 Latine Asie- Océanie 2,4 1,1 1359,7 388,9 2771,4 4581 Pays en Transition 0,1 2,9 65 283,6 1528,4 1890,7 Pays développés 21,7 401,3 2890,2 310 33670,2 37382,1 Sources : CNUCED [2000] d’après la base de donnés COMTRADE des Nations Unies. 1-2 La question de la différenciation et de classification entre biens et services. Le développement des échanges internationaux de biens numérisables n’est pas sans conséquences sur la manière dont sont abordées les questions de régulation des échanges internationaux. Les échanges de biens sont régis par les mécanismes du GATT repose sur les principes de non-discrimination (application de la clause de la nation la plus favorisée) et de la mise en place de concessions tarifaires permettant la réduction des droits de douanes. Pour les services, les accords GATS (Accord Général sur le Commerce de Services) précisent également que chaque Membre « accordera immédiatement et sans condition aux services et fournisseurs de services de tout autre Membre un traitement non moins favorable que celui qu'il accorde aux services similaires et fournisseurs de services similaires de tout autre pays ». Ce principe est toutefois limité par le fait que les pays peuvent maintenir des mesures incompatibles en proposant des uploads/Finance/ commerce-electronique-et-regulation-des-echanges-internationaux.pdf

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  • Publié le Aoû 25, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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