Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance
Dans cette immense prison surpeuplée, dont chaque cellule abrite une souffrance, parler de soi est comme une indécence. Au rez -de -chaussée, c’est la « division » des condamnés à mort. Ils sont là quatre- vingts, les chevilles enchainées, qui attendent leur grâce ou leur fin(…). Pas un détenu qui ne se retourne le soir sur sa paillasse à l’idée que l’aube ne peut être sinistre, qui ne s’endort sans souhaiter de toute sa force qu’il ne se passe rien(…) Les tortures ? Depuis longtemps le mot nous est à tous devenu familier. Rares sont ici ceux qui y ont échappé. Aux « entrants » à qui l’on peut adresser la parole, les questions que l’on pose sont, dans l’ordre : « Arrêté depuis longtemps ? Torturé ? Paras ou policiers ? » (…) Il ya maintenant plus de trois mois que j’ai été arrêté. J’ai côtoyé durant tout ce temps tant de douleurs et tant d’humiliations que je n’oserai plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire connaitre la vérité c’est aussi une manière d’aider au cessez-le- feu et la paix. Des nuits entières, durant un mois, j’ai entendu hurler des hommes que l’on torturait et leurs cris raisonnent toujours dans ma mémoire. Mais, depuis, j’ai encore connu d’autres choses. J’ai appris la « disparition » de mon ami Maurice Audin, arrêté vingt- quatre heures avant moi, torturé par la même équipe qui ensuite me « prit en main ». Disparu comme le cheikh Tébessi, président de l’association des Oulémas, le docteur Cherif Zahar, et tant d’autres (…..) De l’autre côté du mur, dans l’aile réservée aux femmes, il ya des jeunes filles dont nul n’a parlé : Djamila Bouhired, Hélyette Loup, Nassima Hablal, Malika Khene, et d’autres encore : déshabillées, frappées, insultées par des tortionnaires sadiques, elles ont subi, elles aussi, l’eau et l’électricité. C’est aux « disparus » et à ceux qui, sûrs de leur cause, attendent sans frayeur la mort, et à tous ceux qui ont connu les bourreaux et ne les ont pas craints, à tous ceux qui, face à la haine et à la torture, répondent par la certitude de la paix prochaine et de l’amitié entre nos deux peuples qu’il faut que l’on y pense en lisant mon récit, car il pourrait être celui de chacun d’eux. Henry ALLEG. La Question. Paris, 1980 : Les éditions de Minuit. P.13, 18(399 mots) Presque 64 ans jour pour jour après son assassinat (le 23 mars 1957 par les parachutistes du tortionnaire Paul Aussaresses), le président français Emmanuel Macron a reconnu ce 2 mars 2021 qu’Ali Boumendjel a été torturé et assassiné par l’armée coloniale française après son arrestation. Un assassinat qui fut maquillé en suicide de longues années. Un témoignage de Malika Boumendjel été accordé au journal Le Monde « Je ne connais pas les circonstances exactes de la mort de mon mari. Je n’ai même pas eu le droit de voir son corps... Le23 mars 1957, c’était un dimanche, mon plus jeune frère est arrivé en criant ; « Ali s’est suicidé ! » Il tenait un journal à la main, je me suis sentie comme anéantie et, en même temps, je n’arrivais pas à y croire. Quelques jours auparavant, on nous avait prétendu qu’Ali, arrêté par l’armée quarante- trois jours plus tôt, avait fait une tentative de suicide. Le détenu avait prétendument essayé de se couper les veines avec ses lunettes. Plus tard, j’ai appris qu’il souffrait en réalité de multiples blessures au poignard faites au cours de ses interrogatoires. C’était l’une des méthodes favorites du sinistre lieutenant Charbonnier… Ce dimanche 23 mars, je me suis précipitée à l’hôpital militaire Maillot, puis au tribunal militaire. J’ai expliqué mon histoire à un jeune du contingent. Il est allé s’informer auprès de ses chefs, et, quand il est revenu, il avait l’air troublé et a bredouillé : « Je ne peux rien vous dire, allez voir au commissariat central. » Là, le commissaire Pujol m’a reçue et il m’a dit tout de suite : « Vous ne le saviez pas ? » J’ai eu l’impression de plonger dans des ténèbres absolues. Le jour de l’enterrement a été pire que tout, je suis allée à la morgue. Pendant ce temps-là, on faisait passer en vitesse un cercueil plombé, celui de mon mari, qu’on a chargé à bord d’une fourgonnette, avant de prendre la direction du cimetière, sous escorte policière. Tout a été expédié en un quart d’heure. Ali a été enterré comme cela, sans cérémonie, sans rien. Il avait trente-huit ans.» Je me suis retrouvée seule avec mes quatre enfants âgés de sept ans à vingt mois: Nadir, Sami, Farid et la petite Dalila. J’ai appris peu à peu les activités politiques de mon mari. (…) Rachel .H . Echoroukonline ; 03-03- 2021(399mots) Confession sans repentir d’un tortionnaire «En ce qui me concerne, j’ai simplement voulu dire que torture et exécutions sommaires avaient systématiquement été pratiquées en Algérie, sur ordre de la République Française… Suis-je un criminel ? Non ! Rien qu’un soldat qui a fait son travail pour la France… Je me demande de quoi je suis coupable?» Paul Aussaresses L’homme qui s’exprime ainsi, reconnaît avoir torturé sans regret et par devoir, des centaines d’Algériens. Il avoue même avoir tué de ses propres mains vingt-quatre citoyens faits prisonniers. Devant le tribunal correctionnel de Paris, il comparaissait, non pour les actes gravissimes qu’il a commis, mais pour «complicité d’apologie de crimes de guerre», c’est-à-dire pour avoir relaté dans son livre les souvenirs de «sa» guerre d’Algérie où il justifie de façon éhontée et totalement surréaliste les exactions commises. Tout comme Massu, Bigeard, Le Pen, Papon, Faulques et consorts, Aussaresses sait bien que, quoi qu’il fasse ou dise, il est à l’abri de poursuites judiciaires en raison des lois scélérates d’amnistie, adoptées en 1964, 1966 et 1968, qui couvrent tous les abus commis. Dans une interview accordée au journal Le Monde, il y a de cela une année, le militaire en retraite avouait, sans gêne aucune, avoir torturé et tué sans aucun regret, par devoir, et se disait prêt à recommencer si on le lui demandait. L’exécution de Larbi Ben M’hidi et ses basses besognes sous les ordres du général Massu qu’il rejoindra à Alger en 1957 après avoir excellé dans les massacres perpétrés à Philippeville. C’est même avec un certain orgueil et une certaine satisfaction du «devoir accompli qu’il répond à ses interlocuteurs médusés. «C’est François Mitterrand, alors ministre de l’intérieur, qui demandait de neutraliser tous les agents du FLN liés au terrorisme, en utilisant au besoin tous les moyens appropriés», disait-il. Les massacres d’octobre 61 qui émergent au grand jour ne sont que l’arbre qui cache la forêt des malheurs causés au peuple algérien qu’on se refuse à regarder en face. Maurice Papon, impliqué dans les massacres à Paris, aurait beaucoup de révélations à faire sur le désastre du 8 Mai 1945. Réveiller cette mémoire douloureuse de tout un peuple durement touché par la répression, n’est guère aisé, mais l’Algérie ne doit pas être un non-lieu de mémoire. Après quatre décennies de silence imposé, n’est-il pas temps de lever, une bonne fois pour toutes, le voile sur ce passé cruel qui envenime toujours les rapports entre la France et l’Algérie ? Mohamed Bensalah, Le Quotidien d’Oran, 6 décembre 2020 (417 mots) 19 juin 1956 : pour la première fois dans cette guerre, la guillotine entre en action. Zabana et Feradj ont la tête coupée, au nom de la loi française. Ainsi, le statut de combattants de guerre ne sera pas réservé aux nationalistes. Djamila Briki, qui fut, aux premiers jours de juillet 62, ma première amie de la Casbah, livre ses souvenirs sur les nouveaux rites funéraires qui s’instaurent aux portes de la prison Barberousse : « Les familles des condamnés à mort allaient tous les matins à Barberousse car, lorsqu’il y avait des exécutions, c’étai affiché sur la porte. Nous allons tous les matins pour voir s’il y avait ces fiches blanches sur la porte des fois il y en avait trois, quatre, chaque exécuté avait sa fiche personnelle. Nous n’étions jamais prévenues, il fallait aller lire les noms sur la porte. C’était la chose la plus horrible. Et l’eau !... quand il y avait plein d’eau devant la porte, c’était parce que qu’ils avaient nettoyé le sang à grande eau avec un tuyau. Peu après, un gardien sortait et appelait la famille du guillotiné de l’aube : il rendait les affaires personnelles du mort à sa femme ou à sa mère. Les femmes ne pleuraient pas ; leurs compagnes, venues aux nouvelles, les entouraient et allaient ensuite jusque chez elles pour la veillée religieuse. Le corps de l’exécuté n’était jamais remis aux siens : l’administration pénitentiaire se chargeait seule de l’inhumation au cimetière d’El-Alia. On ne donnait que le numéro de la tombe aux femmes qui s’y rendaient le lendemain » Djamila Briki se souvient encore d’une scène uploads/Finance/ compo-3as-prpop.pdf
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- Publié le Mar 03, 2022
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