L’ÉPREUVE DES FAITS 78 ANNALES DES MINES - JUIN 2000 Dans l’ensemble du discour

L’ÉPREUVE DES FAITS 78 ANNALES DES MINES - JUIN 2000 Dans l’ensemble du discours actuel sur l’évolution des pratiques de gouvernance d’entre- prise, l’objectif d’augmentation de la valeur créée revient comme un leitmotiv. Cet objectif semble exprimer d’abord et avant tout le point de vue d’analystes financiers désireux de maximiser le retour sur les capitaux investis dans telle ou telle firme, en position d’arbitrer entre différents inves- tissements possibles et souvent eux-mêmes soumis à une pression croissante due à l’analyse compara- tive de leurs propres performances, tels les ges- tionnaires de fonds de pension agissant pour le compte de multiples petits porteurs. Mais ce point de vue étroitement financier s’inscrit, en fait, dans un mouvement plus général de montée en puissan- ce des actionnaires dans les mécanismes de pilota- ge des firmes : demande de plus grande transpa- rence sur les comptes, les risques encourus et les politiques engagées, contrôle plus strict des diri- geants, séparation plus nette des fonctions d’éla- boration de la politique générale de l’entreprise (Président) et de management de ses opérations (Directeur général), etc. CRÉATION DE VALEUR ET POLITIQUES DE RÉMUNÉRATION Enjeux et pratiques * PAR NICOLAS MOTTIS (1) ESSEC & Laboratoire d’Économétrie de l’École polytechnique ET JEAN-PIERRE PONSSARD (2) Laboratoire d’Économétrie de l’École polytechnique Cet article présente les résultats d’une enquête menée auprès d’entreprises françaises et américaines sur la mise en œuvre des nouveaux instruments de mesure de la performance (TSR, EVA…) et plus particulièrement sur leur utilisation dans les politiques de rémunération à différents niveaux de l’organisation. La comparaison avec les USA est particulièrement instructive, compte tenu du faible nombre d’entreprises françaises engagées dans des actions aussi radicales. * Ce travail a bénéficié du soutien financier de la FNEGE et du CERESSEC. (1) Email : mottis@essec.fr (2) Email : ponssard@poly.polytechnique.fr Cette importance croissante du marché financier suscite des débats de société sur les objec- tifs même de l’entreprise : poids relatif des action- naires par rapport aux autres « stakeholders », prise en compte de l’intérêt général. Si ce débat est plus récent et marqué en France [voir par exemple Morin 1997, Charreaux et Desbrières 1998, Peyrelevade 1999], il existe également aux États- Unis [Prahalad 1993]. Pour contribuer à ces réflexions, il est intéressant de s’interroger plus directement sur les implications de ces démarches pour le pilotage des entreprises. Cet intérêt est, de fait, renforcé par la diffusion de nouveaux indicateurs financiers, à l’ini- tiative de sociétés de conseil (telles que Arthur Andersen, BCG, Braxton, Mc Kinsey, Stern & Stewart...), indicateurs supposés mieux adaptés que les indicateurs traditionnels pour effectivement servir de base à un bon alignement des objectifs des managers sur ceux des actionnaires grâce à une politique de rémunération adéquate. On peut donc se demander, à juste titre, s’il y a là des pratiques nouvelles susceptibles d’influencer durablement la stratégie des entreprises. En quoi ces démarches sont-elles différentes des démarches tradition- nelles ? Quels sont les principaux outils existants actuellement sur le marché ? Comment sont-ils mis en œuvre dans les entreprises ? Quelles sont les 79 GÉRER ET COMPRENDRE Comment justifier les niveaux très élevés de rémunération, liée notamment aux stocks options, de certains dirigeants de firmes en proportion de leur contribution effective aux opérations de la firme ? Roger-Viollet conséquences associées à leur déploiement dans l’organisation ? L’objectif de cet article est de faire une présentation synthétique de ces questions, sur la base d’une série d’entretiens menés auprès de firmes faisant état d’une mise en œuvre interne, ainsi qu’auprès de sociétés de conseil directement impliquées dans ces démarches. Ces entretiens, auprès de firmes françaises et américaines princi- palement, ont été complétés par des revues biblio- graphiques, ces questions suscitant un intérêt croissant dans le monde académique [Caby et Hirigoyen 1997, Ittner et Larcker 1998, Byrd et al. 1998]. La deuxième section de ce papier porte sur la définition et la mesure de la création de valeur ; la troisième sur sa prise en compte dans les systèmes de rémunération. Enfin, en conclusion, une première typologie des pratiques rencontrées est proposée et discutée sommairement. DÉFINIR LA CRÉATION DE VALEUR Les démarches de création de valeur font de la maximisation du profit de l’actionnaire le seul objectif du dirigeant. Si cette formulation est pré- cise, elle n’en est pas pour autant simple à opéra- tionaliser. En effet, si on assimile cet objectif à la maximisation du cours de bourse, aligner directe- ment les rémunérations sur l’évolution des cours boursiers poserait quelques problèmes : • ces cours connaissent des évolutions du fait de phénomènes macro-économiques sans rapport direct avec l’activité des dirigeants (par exemple, l’évolution des taux d’intérêt, des taux de change, les crises financières...) ; pourquoi les récompenser ou les pénaliser à cet égard ? • la volatilité à court terme des cours de bourse ferait supporter un risque considérable à toute rémunération qui lui serait liée ; • que faire pour les sociétés non cotées et, plus généralement, pour les activités internes des socié- tés cotées ? Ces différentes raisons restreignent considérablement l’utilisation directe des cours boursiers dans la politique de rémunération et invi- tent à décomposer cette démarche en deux volets : • définir des indicateurs externes de création de valeur en se plaçant du point de vue de l’actionnaire ; • définir des indicateurs internes susceptibles de servir de relais opérationnels vis-à-vis des indica- teurs externes. Ce n’est qu’une fois cette décomposition effectuée que nous pourrons revenir à la question de la rémunération, en fonction notamment de la position occupée dans l’organisation. Cette démarche correspond à la position communément adoptée dans la théorie financière de la firme. Elle 80 ANNALES DES MINES - JUIN 2000 L’ÉPREUVE DES FAITS ILLUSTRATIONS NUMÉRIQUES 1° CALCUL DU WACC Le cours de l’action étant de 100 F, le coût des fonds propres de 12 %, le coût de la dette de 6 %, le taux d’endettement e=50 % (100 F d’endettement net par action de 100 F) et le taux d’imposi- tion t=1/3. Le WACC est alors : WACC = 0,5*12 % + 0,5*6 %*2/3 = 8 % 2° LIEN ENTRE RÉSULTAT ET COURS DE L’ACTION Un résultat net stationnaire de 12 F par action est cohérent avec le cours de bourse (12/12 % = 100). Il en est de même d’un résultat opérationnel après impôt de 16 (16/8 % = 200) 3° LIEN ENTRE EVA ET MVA Toujours dans le même cas (100 F d’endettement net par action valant 100 F), on retrouve le lien EVA / MVA en partant d’un capital investi comptable supposé de (FP + dettes) = 150 F par action. En effet la MVA est alors de 50 et est bien égale à la valeur actuelle des EVA. En effet, EVA = 16 - 150*8 % = 4 et VAN(EVA’s) = 4/8 % = 50 4° TRADUCTION D’UN OBJECTIF D’AMÉLIORATION DE TSR EN OBJECTIFS D’EVA Si on se fixe comme objectif un TSR à un an de 15 % au lieu de 12 %, il faut créer 3 F (= 3 %*100 F) de valeur par action sur la période correspondante. Ceci peut se traduire sur le plan interne par un accroissement d’EVA de 3*8 % = 0,24 F par action (en pratique, cet objectif est appelé « stretch goal »). 5° LIEN ENTRE STRETCH GOAL ET BUSINESS PLAN Par exemple, dans le cas ci-dessus (TSR passant de 12 à 15 %), un investissement supplémentaire de 10 F par action générant un flux de liquidités de 1,04 F par an – le fonds de commerce générant tou- jours une EVA de 4 – permet d’atteindre l’objectif. En effet, l’ac- croissement d’EVA généré par cet investissement est égal à : 1,04 - 8 %*10 = 0,24. On a supposé que le coût du capital restait inchangé dans l’opération, ce qui détermine implicitement la structure de financement de l’in- vestissement. permet de bien comprendre l’articulation entre les nouveaux indicateurs et cette théorie. Le point de vue de l’actionnaire Selon la théorie financière classique, la firme peut être représentée comme un actif risqué générant une série de dividendes futurs. La valeur de cet actif correspond à la valeur actuelle de l’es- pérance de ses dividendes actualisés [Modigliani et Miller 1961]. Cette idée théorique a pour contrepartie pratique la notion de TSR [total shareholder return, Rappaport 1986]. Le TSR correspond au taux de rentabilité interne d’une opération d’achat et de revente d’actions, en prenant en compte les flux intermédiaires (dividendes nets, supposés généralement réinvestis en actions). On peut définir un TSR ex ante et un TSR ex post et ceci, pour différentes périodes. Par exemple, le Wall Street Journal publie chaque année les TSR sur un, cinq et dix ans pour les entreprises cotées à Wall Street, en regroupant celles-ci par types d’industries et de services. Ce classement permet d’évaluer la permanence des positions ; il permet aussi à chaque firme de se comparer à ses « pairs ». Un autre indicateur est couramment uti- lisé à propos de mesure externe de la valeur, il s’agit de la notion de MVA (Market Value uploads/Finance/ creation-de-valeur-et-politiques-de-remuneration-enjeux-et-pratiques.pdf

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  • Publié le Jui 16, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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