QUELS FUTURS SOUHAITABLES POUR LE MÉTIER DU CAPITAL-INVESTISSEMENT ? Une nouvel
QUELS FUTURS SOUHAITABLES POUR LE MÉTIER DU CAPITAL-INVESTISSEMENT ? Une nouvelle librement inspirée de l’inspire lab, notre atelier de prospective, imaginée et écrite par Gilles Malençon. 2042 2 1. Le jour d’après Camille exécuta une culbute l’élançant pour les dernières longueurs de ses deux kilomètres quotidiens de natation. Ce rituel matinal constituait non seulement le socle de chacune de ses journées, que Camille déclarait alors officiellement réussie dès huit heures du matin, quoiqu’il puisse se produire ensuite dans le reste de la journée. Mais ce bassin était également le lieu où, tandis que son corps exécutait un crawl impeccable sans bruit ni éclaboussure, son esprit s’ac- tivait le mieux. Quarante longueurs de cinquante mètres avaient le pouvoir de lui permettre de traiter sans effort des problématiques parfois complexes, que des heures de réunion n’étaient pas toujours parvenues à aboutir. Comme si ça n’était finalement qu’une question de lieu, donc d’espace, et de temps, donc de moment. À l’origine physicienne de formation, Camille était venue à l’univers de l’entre- prise «par hasard», le hasard, c’est-à-dire «la somme de nos ignorances» selon la formule du mathématicien Henri Poincaré. Les recherches de Camille, qui por- taient alors sur l’énergie osmotique (une énergie capable de produire en conti- nu de l’électricité durable par différence de salinité entre l’eau de mer et l’eau douce des fleuves) avait débouché sur une potentielle application commerciale. Ne connaissant rien à la gestion des entreprises, Camille avait suivi le conseil avisé de faire un tour rapide mais nécessaire par un MBA spécialisé. Elle s’étonna que ses formateurs soient surpris de son niveau : - Ce ne sont que des maths... Camille avait certes quelques facilités : lorsqu’elle voyait une forme, elle voyait l’équation, et voyant une équation, la forme lui apparaissait alors. Et trouver ainsi une forme simple aux choses et aux concepts parfois complexes était devenu chez elle une seconde nature. Camille s’était alors passionnée pour l’investis- sement. Davantage que le chemin solitaire de la recherche scientifique, cette aventure collective lui donnait le sentiment de la rapprocher de son idéal de vie, à savoir changer le monde, très humblement à son niveau, afin de reconstruire un monde plus durable où tous les équilibres naturels seraient de nouveau res- pectés. Changer le monde, certes, mais par quel bout commencer... là était toute la question. Avalant sa dernière longueur, elle repensa à cette matinée du 13 mai 2022, où en compagnie d’une quarantaine de personnalités issues de l’univers professionnel qui était à présent le sien, celui du capital-investissement et d’entrepreneurs, ils avaient ainsi consacré une matinée entière à réfléchir, ensemble, au futur de leur profession. Cette matinée avait débuté par une déroutante mise en condi- tion mentale joyeusement orchestrée par l’écrivain de science-fiction Bernard Werber, au cours de laquelle l’écrivain leur avait fait provisoirement laisser le mode de réflexion qui leur était familier pour les convier à expérimenter le sien, celui d’un imaginaire libre et décomplexé. Répartis alors selon trois perspec- tives convergentes, celle de l’humain, celle de la transition écologique, et celle 3 de la technologie, ils avaient alors imaginé le fonds d’investissement idéal de 2042 et en avaient esquissé les grandes lignes. Bien sûr, les idées qui avaient été émises n’étaient pas toutes abouties - ça n’était d’ailleurs pas l’objectif - mais ils avaient tous eu le sentiment d’entrouvrir une porte, qu’il fallait maintenant franchir. Ce soir, Camille allait assister à la présentation des résultats de cette matinée fondatrice. Et la perspective de devoir donner une suite concrète à l’exercice de prospective la réjouissait. Comme à son habitude, Olivier arriva très tôt à son bureau. Très, c’est-à-dire plus tôt que les horaires dits «de bureau». Il avait pris cette habitude au cours de son tout premier job, il y a une vingtaine d’années de ça, et elle ne l’avait plus quitté. Il s’était rendu compte que ces deux heures précoces, alors que les bu- reaux étaient majoritairement encore déserts, étaient parfaites pour traiter les routines incontournables et incompressibles d’une journée ordinaire, comme le reporting et les tombereaux d’e-mails quotidiens qu’avait produit l’apparition du digital. Cette arrivée à sept heures présentait un autre avantage, celui de devoir se déplacer à une heure encore paisible avec un podcast ou un livre audio dans les oreilles. Boulimique d’apprentissages depuis sa plus petite enfance, Olivier considérait qu’une journée où il n’aurait rien appris de neuf était une journée de vie gâchée. L’enfant qu’il avait été avait dévoré tous les livres de la maison de ses parents, puis avait enchaîné avec les magazines qui passaient à sa portée, notamment Science & Vie, le magazine selon lui «le plus optimiste du monde», chaque article se terminant par un conditionnel évoquant un monde enfin débarrassé de ses problèmes d’énergie, de maladies, de pollution, etc., donc un monde plus beau et mieux vivable. L’apparition de l’internet et des smart- phones, faisant passer l’information de rare et localisée, à délocalisée, illimitée et accessible immédiatement, avait comblé ce diplômé de grande école de com- merce passé par un parcours presque classique dans le capital-investissement. Presque, car Olivier avait jugé utile de faire un passage de trois ans dans un ca- binet ministériel pour observer ce qu’il appelait l’envers du décor. Associé d’un fonds d’investissement tourné vers un futur que ce fonds voulait absolument rendre sinon désirable, au moins vivable, Olivier se définissait volon- tiers comme «chasseur de momentum». Momentum, c’est-à-dire ce moment de bascule où une technologie répondant à un besoin spécifique transmettait le bâton de relais à une autre technologie émergente, comme cela avait le cas pour les industries de la musique et celle de la photographie argentique, pulvérisées par l’arrivée du digital. S’asseyant à son bureau, il lut le nombre d’e-mails qu’il aurait à traiter ce matin : 193. Une brève réminiscence traversa alors son esprit, la réplique prononcée par le comédien Edward G. Robinson, tenant l’une des rares tomates disponibles sur Terre dans le film d’anticipation Soleil Vert de 1973, supposé se dérouler en... 2022 : - Mon Dieu, mon Dieu... comment en sommes-nous arrivés là... Il se dit que la réunion qui allait boucler sa journée, et qui devait prolonger cette matinée du 13 mai 2022 qu’ils avaient consacrée à imaginer l’exercice de leur 4 métier, celui du capital-investissement, allait peut-être commencer à ressem- bler à un début de réponse... Lorsque son taxi freina une nouvelle fois derrière la benne à ordure, Colin lâcha un juron. Son taxi était prisonnier de cette ruelle parisienne comme dans une seringue. - Bloody Hell ! Ils font des tournées le matin, maintenant ? demanda-t-il au chauffeur, trahissant son accent britannique. - Vous avez vu la quantité ? Il devait y en avoir trop hier soir, c’est comme ça tous les jours... soupira le chauffeur, fataliste. Même s’il prenait des marges de temps confortables, l’Anglais sentait la pression monter. Il devait rejoindre une gare pour prendre un train direction le Loiret où il devait visiter la nouvelle chaîne de production d’un site industriel d’une société dans laquelle il avait investi. Pour lui, c’était ça les fondamentaux de son métier : accompagnement et performance, la qualité du premier devant être le garant de la qualité de la seconde. Cet Anglais de cinquante-cinq ans était demeuré en France à la suite de son premier stage. En jouant vaguement au britannique de service, il n’avait alors aucun effort à produire pour devenir un personnage singulier, volontiers pro- vocateur. Mais au-delà de cette posture soigneusement entretenue, il était un professionnel reconnu du capital-investissement. Son caractère imperméable à toute forme d’influence lui avait fait traverser les moments d’hypnose collective générés par ladite nouvelle économie sans dévier de cap d’un seul demi-degré, ce qui lui avait gagné l’estime de ses LPs (Limited Partners). Colin ne cachait à personne qu’il ne croyait pas au «bullshit de la finance verte» selon ses propres mots. Non par déni d’un changement que lui-même obser- vait et reconnaissait volontiers, mais parce que la durée moyenne d’un cycle d’un fonds de capital-investissement, à savoir dix ans, et celle des enjeux cli- matiques qui étaient d’au moins le double, fonctionnaient selon des échelles de temps différentes et non compatibles. Cependant, il était persuadé que l’ob- session pour le bio, le végétal, et plus largement l’écologie allait désormais de- venir la culture dominante, et qu’il faudrait de gré ou de force, composer avec. Son pragmatisme forcené lui commandait donc d’aller observer le phénomène depuis le cœur du dispositif, en allant sur place, auprès des entrepreneurs, voir comment ils créaient, comment ils raisonnaient, et comment ils calculaient en tenant compte de cette nouvelle donne qui s’imposait à tous. Colin balaya l’écran de son smartphone pour checker une fois encore le planning de sa journée. Celle-ci devait se conclure par une réunion faisant la synthèse d’une demi-journée qu’une quarantaine de ses collègues français et lui-même avaient consacré à imaginer l’avenir du capital-investissement à l’horizon 2042. Les positions idéalistes de certains de ses collègues l’avaient sacrément amusé - fonds d’investissement fonctionnant à la bonté humaine, gouvernance démo- cratique du fonds avec les citoyens, etc. - uploads/Finance/ france-invest-histoire-2042.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Business / Finance
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