1. Abby avait chaud, ses pieds lui faisaient mal. Pour le tournage, on lui avai

1. Abby avait chaud, ses pieds lui faisaient mal. Pour le tournage, on lui avait demandé de marcher dans le sable sur des talons de douze centimètres. Elle s'était fait piquer au bras par elle ne savait quel insecte, et le maquillage censé cacher la piqûre ne l'empêchait pas d'avoir envie de se gratter comme une folle. Comme si cela ne suffisait pas, cerise sur le gâteau, son 4x4 était tombé en panne. Au départ, elle aurait dû se trouver dans le premier 4x4, celui qui l'avait amenée de la capitale d'Aarifa jusqu'à ce spot dans le désert, mais la styliste s'était arrangée pour lui prendre sa place et faire le voyage avec l'assistant de Rob, le photographe, pour lequel elle en pinçait ferme. Résultat, à cause de ce béguin, Abby se retrouvait coincée au milieu de nulle part avec Rob, son éclairagiste, Jez, et Terry, leur chauffeur et homme à tout faire. Les deux derniers s'agitaient à l'extérieur du véhicule, passablement énervés. Elle serra les dents. La bonne stratégie, pour l'instant, c'était de faire comme Rob : en profiter pour piquer un somme dans le 4x4 en panne. Hélas ! la température commençait à grimper dans la voiture, et Rob à ronfler. Fort, en plus. Maudit photographe, qui lui avait fait remonter la dune de sable des dizaines de fois avant d'être enfin satisfait d'une prise ! Elle prit une bouteille d'eau dans le sac à dos qui ne la quittait jamais. Depuis le temps qu'elle travaillait et se déplaçait comme mannequin, elle ne réussissait toujours pas à voyager léger. Elle avait à moitié débouché la bouteille quand elle se ravisa. Si l'attente devait se prolonger, mieux valait qu'elle se rationne. Avant de s'endormir, Rob lui avait assurée, optimiste, qu'on viendrait bientôt à leur secours. Depuis que ses grands-parents s'étaient fait gruger par un escroc, qui n'était autre que son petit ami, elle avait appris à se méfier. Le visage de Gregory, avec sa bobine d'enfant de chœur et son sourire charmeur, se matérialisa dans sa tête alors qu'elle rebouchait la bouteille et la remettait dans son sac. Comme chaque fois qu'elle pensait à lui, sa culpabilité lui noua la gorge. Car c'était sa faute si Nana et Pops avaient perdu toutes leurs économies. Si elle n'avait pas été assez folle pour tomber amoureuse du sourire faussement sincère et des yeux bleus de Gregory, puis pour l'amener chez ses grands-parents, ceux-ci vivraient confortablement aujourd'hui avec les économies qu'ils avaient travaillé dur pour amasser. Au lieu de cela, ils étaient totalement démunis. Comme toujours, elle eut du mal à ne pas pleurer. Mais les larmes n'arrangeaient rien. Ce qu'il fallait, c'était un plan. Et elle en avait un. Pleine de confiance, elle releva le menton. Selon ses calculs, si elle acceptait tous les boulots qu'on lui proposait, sauf ceux où elle devait poser nue – et il y en avait beaucoup… –, elle serait d'ici dix-huit mois en mesure de racheter la maison que ses grands-parents avaient achetée en vue de leur retraite et perdue à cause de son voyou d'ex. Après les avoir embobinés, il s'était volatilisé avec tous les avoirs de ses malheureux grands-parents. Il avait eu ensuite l'aplomb de la narguer en lui envoyant une photo de lui avec un homme, sur laquelle il avait écrit : « Tu n'es pas vraiment mon genre. » Note inutile : à voir le cliché, elle avait tout de suite compris vers quel « genre » allaient ses préférences… Sa volonté d'attendre qu'elle soit « prête à aller plus loin » avait pris tout son sens ! Refoulant les souvenirs humiliants liés à cet escroc avant qu'ils la submergent et qu'elle craque, elle prit une lingette humide dans une des poches de son sac. Les yeux fermés, elle se la passa sur le visage et le cou, retirant la poussière et ce qu'il lui restait de maquillage. À cet instant, elle aurait donné cher pour une douche et une bière bien fraîche. Elle répétait l'opération quand Terry plongea la tête dans l'habitacle. Il regarda sous le volant et tripota quelque chose. — Bon sang ! grogna-t-il. Cela fait des heures qu'on essaye d'ouvrir ce fichu capot ! Il tira sur la manette et cria à Jez : — C'est bon, j'ai trouvé ! En fait d'heures, cela faisait tout au plus dix minutes qu'ils étaient là. — Des heures ? Tu veux dire des jours ! rétorqua-t-elle. Dehors, à en juger par le bond en arrière que venaient de faire les deux hommes, les choses ne s'arrangeaient pas. Un jet de vapeur brûlant s'échappait du radiateur. Jez et Terry, mines dépitées, secouaient la tête. Abby donna un petit coup de pied à Rob. — On devrait peut-être aller aider, dit-elle. Et les empêcher de s'entre-tuer, compléta-t-elle in petto. Rob entrouvrit un œil, fit un vague signe de tête et recommença à ronfler. Abby noua ses cheveux en queue-de-cheval. Elle poussa la portière. Il faisait un peu moins chaud dehors que dans la voiture. — Alors, les gars, c'est quoi le verdict ? demanda-t-elle d'un ton qu'elle voulait enjoué. Mais les deux hommes n'étaient pas d'humeur à plaisanter. Même pas Jez, avec qui elle avait déjà travaillé et qui avait d'habitude toujours une blague en réserve. Mais pas aujourd'hui. Suant et soufflant, il releva la tête du moteur dans lequel il avait replongé et laissa retomber le capot. — Elle ne veut rien savoir. Et ne me demandez pas ce qu'elle a, je n'en sais rien. Je suis incapable de réparer. Si quelqu'un le sent, bienvenue ! — Ne te fais pas de mauvais sang, Jez, dit Terry en s'adossant au capot. — Ils vont bien finir par se rendre compte qu'on ne suit pas et revenir nous chercher, enchaîna Abby. Elle s'efforçait d'être positive, malgré le soleil qui déclinait déjà et l'ombre qui gagnait peu à peu le désert autour d'eux. — On n'aurait jamais dû s'arrêter, marmonna Jez en donnant un coup de pied dans un pneu. C'était Rob qui l'avait exigé, ayant repéré un rocher à la forme bizarre sur lequel se dorait un lézard et qu'il voulait photographier. — Qu'est-ce qu'il fiche, lui ? demanda Terry en montrant Rob d'un signe de tête. Le « génie de la photographie », comme il se baptisait lui-même, dormait, épuisé sans doute par l'effort que lui avait demandé la réalisation de ses clichés, d'un grand intérêt artistique à n'en pas douter… Le temps qu'une de ses photos lui convienne, les deux véhicules de tête de leur petit convoi avaient redémarré en direction de la capitale, d'où ils étaient partis plus tôt dans la journée. — Il dort. La réponse d'Abby les laissa abasourdis. — On rêve ! s'exclamèrent-ils en chœur. Puis ils se regardèrent et éclatèrent de rire. — Quelqu'un a du réseau ? Abby secoua la tête. — Pourquoi ? demanda-t-elle. Que risque-t-on ? — De mourir lentement et douloureusement de soif, ici. C'était la voix de Rob, qui s'était réveillé et les avait rejoints. — Au moins, on aura quelque chose à raconter dans les dîners mondains quand on sera rentrés, ajouta-t-il. — Eh les gars ! Ils se tournèrent d'un bloc. Jez pointait du doigt un panache de poussière, au loin. — Ils reviennent nous chercher ! jubila Terry. Abby s'essuya le front en soupirant. — Merci, mon Dieu ! Mais elle plissa le front, intriguée. — C'est quoi, ces véhicules ? Aussi perplexe qu'Abby, Jez hocha la tête. Rob et Terry échangèrent un coup d'œil inquiet. — Tu ferais peut-être mieux de remonter dans la voiture, Abby chérie, lui dit Rob. Quelques claquements ébranlèrent l'air étouffant du désert. — Vous entendez ? C'est quoi ? On dirait des coups de feu, murmura-t- elle. — Pas de problème, dit Jez. Tout va bien. On est à Aarifa. C'est sûr, ici. Tout le monde sait ça. Une nouvelle salve de coups de feu retentit. Il regarda Abby, l'air paniqué. — Rob a raison, dit-il. Pour plus de sécurité, monte dans l'auto et baisse-toi. Monté sur son pur-sang arabe, Zain galopait dans l'obscurité qui enveloppait maintenant le désert. Seule sa djellaba blanche se détachait dans l'obscurité. Le couple cavalier et animal, lancé au galop en harmonie parfaite, avalait en souplesse les dunes de sable. Ils ralentirent à l'approche d'une barre rocheuse que le cheval aborda, naseaux fumants. Zain arrêta sa monture pour admirer le panorama qui s'offrait au regard. Incroyable à n'importe quelle heure du jour, il était particulièrement saisissant la nuit. La falaise qui tombait à pic se détachait sur un ciel velouté, bleu profond, piqué de millions d'étoiles. Au loin se dressaient les murs illuminés du palais, et ses tours si hautes qu'on les voyait à des kilomètres à la ronde. La vue était belle à pleurer. Mais ce soir, Zain n'était pas d'humeur à s'émouvoir. Tout au plus pouvait-il détendre les muscles de ses cuisses qu'il avait serrées contre les flancs de la bête pendant le galop. Le palais était plus éclairé qu'à l'ordinaire. Toutes ces uploads/Finance/ harlequin-le-protecteur-des-sables-pdf.pdf

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  • Publié le Nov 08, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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