Revue des sociétés Revue des sociétés 2013 p.75 L'impact social du LBO sur la s

Revue des sociétés Revue des sociétés 2013 p.75 L'impact social du LBO sur la société « cible » ou la nécessité de réformer l'abus de majorité (1) Marina Bertrel, Professeur de droit des affaires à Reims Management School (RMS) L'essentiel Si l'intérêt financier et les vertus économiques du montage LBO (Leveraged Buy Out) ne sont aujourd'hui plus à démontrer, ils ne doivent cependant pas conduire le praticien à en ignorer les limites, notamment sur le plan social. A cette fin, l'auteur dresse ici un diagnostic des risques sociaux inhérents à un tel montage d'ingéniérie juridico-financière et suggère, afin d'en réduire les conséquences, un certain nombre de remèdes, passant tous par une plus grande prise en compte de l'intérêt social de la cible Pages Jaunes, Cegelec, Picard, Vivarte, TDF, Courtepaille, Le Printemps, UPC-Noos, Yoplait, Legrand... la liste est longue des entreprises reprises dans le cadre d'un Leveraged Buy Out (LBO) (2) au cours de ces dernières années. Et derrière ces opérations médiatisées se cache une liste tout aussi impressionnante d'entreprises de taille moyenne ou petite qui ont été rachetées via un tel montage à effet de levier. Le quotidien de la majorité des praticiens du droit, avocats et notaires, qui développent leur expertise en droit des sociétés, est en effet davantage constitué de LBO moyens ou modestes que de ces « méga deals » qui fascinent les étudiants, de plus en plus nombreux, se destinant aux « fusions acquisitions » (3). Même les professions libérales qui exercent en société d'exercice libéral (SEL) font aujourd'hui des LBO (4). Le barreau et le notariat voient ainsi prospérer, depuis quelques années, des montages de LBO par lesquels une société de participations financières de professions libérales (SPFPL) d'avocats ou de notaires s'endette pour racheter les parts ou les actions d'une SEL d'avocats ou de notaires, les professionnels libéraux du droit commençant à utiliser aujourd'hui, dans les limites de leur réglementation professionnelle, les techniques d'ingénierie juridico-financière qu'ils se contentaient hier de prescrire à leurs clients chefs d'entreprise. Affublés de sigles anglo-saxons, ces montages de reprise, au gré de l'imagination créative des financiers et des praticiens du droit et de la fiscalité des affaires, ont prospéré sous de multiples déclinaisons : LBO, LBU, MBI ou LBI, MBO ou LMBO (avec cette version réglementée qu'est en France le RES (5)), LMBI, LMBO, BIMBO, FBO, OBO, etc. (6) Nous les désignerons dans les développements qui suivent par l'acronyme générique « LBO ». Commençons par observer que, au-delà de l'intérêt financier évident que présente un LBO pour le ou les repreneurs ainsi que pour les investisseurs en capital et les prêteurs (juniors et seniors) qui les accompagnent, un tel montage ne manque pas de vertus sur le plan économique. En premier lieu, dans la mesure où le capital de la holding de reprise est souvent ouvert à des professionnels du capital investissement, l'union des compétences qui résulte de la mise en place d'un tel partenariat entre un dirigeant (ou une équipe de dirigeants) et des investisseurs souvent expérimentés peut profiter à la « cible » reprise. Il s'agit également d'une technique intéressante vue du côté cédants dans la mesure où elle peut permettre de faciliter des transmissions d'entreprises familiales, notamment à l'occasion du décès ou du départ à la retraite du dirigeant chef d'entreprise, dans l'hypothèse, fréquente en pratique, où il ne trouve pas dans le cercle familial d'héritier capable ou désireux de reprendre le flambeau. Or, avec l'arrivée du papy-boom, on estime que plus de 450 000 PME devraient changer de mains au cours des dix prochaines années en France (7). Les dirigeants ayant du mal à trouver un repreneur au sein de leur propre famille se tourneront parfois plus aisément vers leurs cadres que vers leurs concurrents pour transmettre et pérenniser leur entreprise. La déclinaison « MBO » (« Management buy-out ») ou « LMBO » (« Leveraged management buy-out ») du montage, par laquelle « des investisseurs extérieurs financent l'équipe de management en place dans l'optique d'acquérir la société qui les emploie » (8) en permettant donc le rachat d'une société par ses cadres, constitue ainsi une alternative intéressante pour des dirigeants soucieux de pérenniser leur entreprise. De même, chez les professionnels libéraux exerçant en SEL, même s'il est très encadré et consécutivement structuré différemment sur le plan financier (la holding de reprise ne pouvant être ouverte à des professionnels du capital investissement, du moins en ce qui concerne les SPFPL des professions juridiques), ce type de montages peut faciliter la montée en régime sur le plan capitalistique de jeunes professionnels à l'occasion de la sortie de confrères plus anciens. Le LBO est donc, pour ces professionnels libéraux, un outil d'optimisation de la transmission intergénérationnelle de leur outil de travail. Ce montage permet également parfois le rachat de branches d'activités filialisées de groupes souhaitant se recentrer sur leur métier principal et essaimer. En effet, « les périodes de consolidation actuelles de certains secteurs et l'évolution des portefeuilles d'activité de grands groupes est particulièrement propice aux LBO avec ou sans la participation des cadres dirigeants. Si une filiale rentable ne s'intègre pas à la stratégie d'évolution d'un groupe, les dirigeants peuvent être tout à fait intéressés par un LMBO qui leur permettra de pérenniser la filiale et de se constituer un patrimoine. A défaut, une cession en LBI à des investisseurs extérieurs peut-être aussi intéressante pour désendetter la maison-mère ou ajuster l'actionnariat » (9). En d'autres termes, le LBO participe à la liquidité du capital des sociétés nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme et, plus largement, de l'économie. L'énoncé de ses vertus économiques ne doit cependant pas conduire à en ignorer les limites. Nous avons déjà eu l'occasion de développer certaines d'entre elles, en particulier lorsque la holding de reprise est « activée » pour optimiser financièrement l'opération de reprise (10). L'objet de cette étude est d'éclairer cette fois-ci les aspects pathologiques qu'a parfois cette technique d'ingénierie juridico-financière sur le plan social. Dans cet esprit, après avoir rappelé, en forme de diagnostic, les risques sociaux inhérents aux montages de LBO (I), nous tenterons de prescrire le remède, qui semble devoir passer, compte tenu de cette crise qui n'en finit pas de produire ses effets, par une plus grande prise en compte de l'intérêt social de la société « cible » (II). I. Le diagnostic : les risques sociaux inhérents au montage de LBO Les risques sociaux sont presque consubstantiels aux LBO. La raison en est la philosophie financière de ce type de montages (A) qui génère souvent des contraintes sur la politique sociale de la « cible » (B), les conséquences susceptibles d'en résulter dans ce domaine pouvant être aggravées lorsque, comme cela est devenu fréquent, deux ou plusieurs LBO sont mis en place successivement sur la même société. A. La raison : la philosophie financière du LBO Rappelons que l'objectif du LBO est de « permettre à un [ou des] repreneurs de prendre le contrôle d'une société avec un apport personnel aussi limité que possible, en produisant un effet de levier juridico-financier, grâce à la constitution d'une société dite " holding de reprise" et à un endettement maximum de cette dernière » (11). Toute la philosophie financière du montage consiste ainsi à faire supporter à la société rachetée, appelée société « cible », le coût financier de son propre rachat, en la pressant comme une sorte de citron pour lui faire rendre un maximum de jus (les dividendes (12)). Il s'agit donc d'une véritable machine à optimiser une acquisition de contrôle dont l'originalité réside dans la mise en oeuvre simultanée de différents leviers de l'ingénierie financière (13). Ainsi qu'a pu de contrôle dont l'originalité réside dans la mise en oeuvre simultanée de différents leviers de l'ingénierie financière (13). Ainsi qu'a pu l'écrire un auteur, « il n'existe pas d'autre montage d'ingénierie mobilisant simultanément autant de leviers. Le LBO est une sorte de paroxysme de l'ingénierie financière ! » (14). Cette particularité explique que le LBO ait pu être qualifié de montage de « vampirisme financier » (15) et qu'il mette parfois mal à l'aise le spécialiste du droit des sociétés, naturellement préoccupé par la sauvegarde de l'intérêt social de la société « cible » ainsi ponctionnée. Le risque est évidemment de la fragiliser financièrement. Le LBO peut en effet transformer une entreprise à faible risque en une entreprise à risque élevé puisque « avant l'acquisition, l'entreprise a par définition un profil de risque faible : elle est bénéficiaire, elle a peu de dettes, un cash-flow positif, elle est déjà en croissance en termes de chiffre d'affaires et d'emploi. Ces caractéristiques sont en effet nécessaires pour appliquer à l'entreprise la dette d'acquisition la plus élevée possible. Après l'opération, l'entreprise a un profil de risque dégradé : moins de cash-flow, plus de dettes » (16). Ajoutons que si la « cible » ainsi fragilisée n'est plus en mesure de distribuer les dividendes qui permettront à la holding de reprise d'assurer le service de sa dette, cette dernière peut se retrouver en cessation des paiements et le montage peut s'écrouler uploads/Finance/ l-x27-impact-social-du-lbo-sur-la-societe-cible.pdf

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  • Publié le Jui 27, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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